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Le marché des « librairies par terre»

[Cameroon] Bookshop. Joe Foster
Dans les librairies classiques le livres scolaires sont chers
Allongé sur le lit qu’il partage avec un autre étudiant dans la petite chambre qu’il loue sur le campus de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, Taminou Li, étudiant en première année de lettres modernes lit paresseusement un vieil exemplaire plastifié du « Vieux nègre et la médaille » de Ferdinand Oyono. Devant lui, se trouve de nombreux ouvrages d’occasion disposés à même le sol et qu’il a accumulés au fil du temps et de ses visites aux « librairies par terre ».

« L’accès aux livres est difficile pour nous autres étudiants. La librairie universitaire n’est pas assez riche et on a souvent des difficultés pour en trouver », explique Li, ajoutant que certains de ses camarades ont abandonné leurs études car ils n’avaient pas les moyens de se procurer les livres dont ils avaient besoin.

La plupart des livres de sa collection,; Li les a achetés dans l’un des kiosques de bouquinistes qui se trouvant le long du mur du Service d’hygiène de Sandaga, le grand marché du centre ville. Là, comme dans les différentes « librairies par terre », tout le monde peut s’acheter à moindre coût livres neufs et anciens, manuels scolaires et romans.

Cheikh Sène, un bouquiniste de 65 ans, y règne en maître. A priori, rien ne le distingue des autres bouquinistes, si ce n’est ses quarante années d’expérience dans la vente de livres d’occasion.

Comme la plupart des bouquinistes de Dakar, il ne sait ni lire ni écrire, mais cela ne l’empêche pas d’être un vendeur hors pair qui sait trouver en quelques minutes le livre – ou un ouvrage similaire - que recherche le client.

« Je ne suis jamais allé à l’école, mais je peux orienter les acheteurs grâce à l’expérience que j’ai de la distribution », lance-t-il fièrement. « Je n’ai jamais lu de livres, mais je sais ce que contient chacun des livres que je vends ».

Ayant commencé en vendant les livres à même le trottoir, il a, dans les années 1980, érigé une table sur laquelle il disposait sa marchandise précieuse. En possession aujourd’hui de sa carte de commerçant et d’un document attestant qu’il loue un emplacement sur le trottoir du Service d’hygiène, c’est en toute légalité qu’il exerce son métier.

Une importante fonction sociale

Abdourahmane Mbengue, quant à lui, a commencé à vendre des livres lorsqu’il était en classe de terminale. Ayant très vite compris que ce marché permettait aux Sénégalais d’acheter des livres à des prix abordables et dans un contexte qui leur était familier, il a abandonné ses études pour se consacrer au métier de bouquiniste.

En 1996, il a fondé l’Association des bouquinistes du Sénégal (ABS) – qui compte aujourd’hui 500 membres - pour organiser les bouquinistes, leur donner un statut légal et leur permettre d’exploiter l’énorme potentiel de leur activité.

« On veut toujours copier le modèle occidental, mais ici le contexte socioéconomique joue », explique M. Mbengue. « Les gens sont plus habitués à aller dans les marchés que dans les librairies. Et puis, il faut tenir compte du niveau de vie et du fait qu’ils ont l’habitude de marchander ».

Ces « librairies par terre » jouent un rôle particulièrement important en période de rentrée scolaire parce qu’elles permettent de se procurer des livres à des prix abordables, dans un pays où le salaire moyen est de 45 000 francs CFA (environ 80 dollars américains) et où, selon les derniers chiffres du ministère de l’Education nationale, 82,5 pour cent des enfants sont scolarisés.

« Les livres scolaires sont chers. Dans les librairies classiques, les parents d’élèves payeraient entre 45 000 et 60 000 francs CFA (entre 80 et 110 dollars) pour acheter les livres de chaque enfant », a expliqué Demba Diang, un bouquiniste qui travaille près du Service d’hygiène depuis une dizaine d’années.

« Nous, on vend des livres d’occasion et on fait des échanges. Si un élève entre en 3e , il nous donne ses livres de 4e et reçoit en échange, moyennant une somme modique, les livres de son nouveau programme scolaire. Ainsi, si son nouveau programme comporte sept livres, il peut l’avoir pour sept mille francs (13 dollars) ».

L’union fait la force

Selon les estimations de M. Mbengue, les bouquinistes contrôlent plus de 70 pour cent des ventes de livres et plusieurs experts du livres et de l’édition considèrent qu’ils sont devenus des acteurs incontournables de la distribution du livre au Sénégal.

Sans eux, a expliqué l’éditeur Lamine Diack, lors d’une conférence de l’ABS, « la révolution du livre ne se fera pas ».

« Nous ne pouvons pas considérer leurs activités comme illégales. Disons plutôt qu’elles constituent un mal nécessaire », a commenté M. Wélé du ministère de la Culture.

Et bien que moins de la moitié de la population adulte soit instruite, le goût de la lecture est très prononcé au Sénégal. Mais les éditeurs n’arrivent pas écouler leurs produits dans les librairies classiques qui ne couvrent pas tout le territoire et affichent souvent des tarifs inabordables pour le citoyen moyen.

« Il y a pas beaucoup de librairies ici. En revanche, on trouve les librairies par terre dans les coins les plus reculés du pays où les librairies classiques ne sont pas. Et moi-même, j’achète souvent des ouvrages chez les bouquinistes », a ajouté M. Wélé.

Leur statut a donc bien évolué, depuis leur apparition dans les années 1970, époque à laquelle ils étaient souvent victimes des rafles policières. Aujourd’hui encore, les bouquinistes qui occupent de manière anarchique les trottoirs des rues contreviennent à la loi et sont la cible des actions de la police.

Reconnue par le gouvernement et travaillant en collaboration avec différentes mairies de Dakar et de sa banlieue, l’ABS fournit à ses membres des emplacements afin qu’ils travaillent en toute légalité. Cela leur permet non seulement de limiter les rafles de la police, mais aussi de modifier la perception que les gens ont des librairies par terre.

« Avant les bouquinistes étaient marginalisés. Les vendeurs de livres par terre étaient considérés comme des ratés », a expliqué M. Mbengue. « Mais maintenant, ça évolue et nous sommes inclus dans tout ce qui se fait sur le livre au Sénégal ».

Des projets ambitieux

Présente dans Dakar et plusieurs villes de sa banlieue, l’ABS ne cherche pas uniquement à organiser le métier de bouquiniste. Elle s’emploie aussi à l’améliorer afin qu’elle serve plus efficacement la population.

Mais Mbengue a d’ambitieux projets pour son association. Il voudrait créer une maison du livre pour regrouper les bouquinistes en un seul endroit, ce qui leur permettrait de travailler en toute sécurité et de combattre la hausse des prix des livres pendant les périodes fastes comme celle de la rentrée des classes.

Il envisage même de créer des bibliothèques qui permettraient aux étudiants de réviser dans un cadre favorable et aux jeunes gens qui n’ont pas les moyens d’acheter des livres, de s’en procurer.

« Comme des mosquées ou des églises seraient entretenues par des gens qui se cotiseraient pour qu’elles ne manquent de rien », a indiqué M. Mbengue. « Et elles pourraient assurer des cours d’alphabétisation pour les parents afin qu’ils puissent mieux s’occuper de leurs enfants ».

Les projets de M. Mbengue ont poussé d’autres bouquinistes à demander à adhérer à son association, mais il se veut prudent.

« Mais on prend notre temps, bien que je souhaite qu’on soit présent partout au Sénégal », a-t-il expliqué. « Etre membre, c’est une responsabilité ».

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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