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Blaise Compaoré, un président en quête de légitimité

[Liberia-Guinea-Burkina Faso] IRIN
Le président sortant Blaise Compaoré
Il dirige le Burkina Faso d’une main de fer depuis près de 20 ans, mais c’est une nouvelle légitimité qu’est venu chercher Blaise Compaoré en se présentant à l’élection présidentielle du 13 novembre, un scrutin pluraliste qu’il est certain de remporter face à une opposition affaiblie et désorganisée.

Pour convaincre les quatre millions de Burkinabè inscrits sur les listes électorales du bien-fondé d’un vote en sa faveur, le Président sortant n’a pas lésiné sur les moyens : les 45 provinces du pays ont été visitées en hélicoptère et en véhicules tout-terrain flambant neufs, projections vidéo et multiples gadgets à l’appui. Une montgolfière a même survolé les grands rassemblements, comme celui qui a clôturé la campagne de son parti vendredi.

Plusieurs groupes musicaux en vogue et personnalités politiques de la région sont venus prêter main forte aux organisateurs pour faire de cette troisième élection présidentielle une fête populaire et du candidat ‘Blaiso’ – l’aventurier déterminé, chapeau de cow-boy vissé sur la tête et sabre à la main, qui s’affiche sur les autocollants de campagne -- un personnage sympathique.

« Il fallait une telle campagne pour justifier la victoire, pour pouvoir dire : ‘Nous avons gagné parce que nous avons bien travaillé, parce que nous avons battu campagne’. On peut considérer que c’est la première fois qu’il est élu », a expliqué Abdoulaye Diallo, du centre de presse Norbert Zongo, du nom du directeur de publication de l’hebdomadaire L’Indépendant, assassiné fin 1998 alors qu’il enquêtait sur le meurtre du chauffeur du frère de Compaoré.

Et, en effet, pour la majorité des observateurs de la scène politique burkinabè, des électeurs et des personnes qui ont oeuvré pour le maintien au pouvoir du candidat Compaoré, sa victoire ne fait aucun doute.

« Vu la machine qu’on a lancé, on estime qu’il rassemblera 70 pour cent des suffrages au premier tour », a estimé Salif Diallo, le directeur de campagne du candidat du Conseil pour la démocratie et le progrès (CDP) et ministre de l’Agriculture de l’actuel gouvernement – selon lui, la campagne aurait coûté 983 millions de francs CFA (1,8 millions de dollars américains) au parti et à ses bienfaiteurs, dont le Ghana et la Libye.

Dimanche soir, Blaise Compaoré lui donnait raison, en se proclamant en tête du scrutin. «Nous sommes les premiers, les autres sont loin derrière», a-t-il annoncé aux centaines de militants qui participaient à une veillée électorale devant le quartier général du CDP.

Ces tendances ne sont pas encore confirmées par la Commission électorale nationale indépendante, mais Salif Diallo a confirmé la bonne position de son candidat dans les suffrages : « Ca va être un massacre, une fessée électorale pour l'opposition », a-t-il dit aux militants.

Raillée par les détracteurs de M. Compaoré et ses opposants, cette ‘campagne à l’américaine’, menée tambour battant à travers un pays abasourdi par une telle débauche de moyens, avait, selon M. Diallo, une fonction précise : « Il fallait donner du Burkina Faso une image de stabilité et d’ancrage démocratique », a-t-il confié à IRIN.

Mieux, a commenté un proche du président qui a requis l’anonymat, Blaise Compaoré avait « besoin de montrer un visage humain, de l’efficacité et de la performance. C’est ce qui confère de la légitimité à un chef d’Etat. Il fallait donc restituer son côté sympathique car, au fond, c’est quelqu’un de bien ».

Une prise de pouvoir marquée par un assassinat

Arrivé au pouvoir à la faveur d’un putsch militaire le 15 octobre 1987, au cours duquel le capitaine Thomas Sankara, un révolutionnaire marxiste et ancien compagnon d’armes, a été assassiné, M. Compaoré a pu se maintenir au pouvoir grâce à deux élections présidentielles, boycottées par l’opposition, en 1991 et 1998.

Du coup, après dix-huit ans d’un pouvoir traversé par des crises socio-politiques parfois violentes, il est apparu nécessaire, pour son entourage, d’améliorer l’image d’un homme dur, qui apparaissait peu attentif aux réalités de son pays et aux exigences de transparence et d’efficacité imposées par la communauté internationale.

« Blaise Compaoré a subi un certain nombre de secousses, particulièrement après 1998 et le meurtre [toujours non-élucidé] de Norbert Zongo, qui ont mis à mal son pouvoir. Il a sérieusement tangué. Ces élections lui permettent de démontrer qu’il a une assise populaire », a expliqué Chériff Sy, le directeur de publication du très apprécié hebdomadaire Bendré.

Cette légitimité que souhaite acquérir le président Compaoré est garantie par le caractère pluraliste de ces élections, les premières de cette nature au Burkina Faso, selon M. Sy.

Pas moins de 12 candidats se sont ainsi affrontés dimanche, après une campagne menée autant dans les villages que dans les media, privés comme publics -- un ‘nouvel espace démocratique’ qui s’est ouvert, grâce à la presse et à la pression populaire, après l’assassinat du journaliste martyr, a ajouté Chériff Sy.

Une opposition désorganisée

Cette pluralité de prétendants au fauteuil présidentiel a incontestablement servi le chef de l’Etat, lui-même soutenu par 28 partis dont certains de l’opposition. Incapables de s’entendre sur un candidat commun, les prétendants à la présidence de la République se sont rapidement avérés incapables de rassembler sur leur nom suffisamment de suffrages pour inquiéter le leader du CDP.

« A la télévision, les opposants nous font rire », a expliqué Jean-Baptiste, un cadre commercial de 38 ans qui travaille dans une petite société de la capitale burkinabè. « S’ils ne sont pas capables de s’organiser entre eux, comment vont-ils diriger le pays ? Ils se battent devant tout le monde, ils veulent juste le pouvoir, comment leur faire confiance ? »

Au point que Laurent Bado, le candidat du Parti de la renaissance nationale, une formation appuyée à l’origine par des intellectuels éclairés, finisse par lâcher un retentissant : « Je préfère un Blaise au pouvoir à ces gens-là ».

« Nos opposants, c’est surtout la revanche, la critique systématique et ils ne proposent rien. Il n’y a rien de bon et je ne crois plus [en eux] », a-t-il confié à ses militants la semaine dernière.

Selon certains analystes, tels que M. Diallo ou Sy, le président Compaoré a une grande responsabilité dans l’affaiblissement de l’opposition -- unanimement constatée aujourd’hui.

« Blaise Compaoré n’a jamais voulu d’une opposition, il les a acheté un par un et ils se sont laissés faire, c’est ce que M. Zongo a appelé la ‘momification’ du politique. C’est un jeu dangereux car cela ne créé pas les conditions pour un avenir meilleur et stable », a expliqué Diallo.

Mais pour le chef de l’Etat sortant, c’est surtout son bilan, après 18 années d’exercice du pouvoir, qui a neutralisé l’opposition – une situation qu’il a dit néanmoins regretter.

« J’ai travaillé à affaiblir cette opposition », a expliqué Blaise Compaoré aux media internationaux jeudi, arborant, sur son costume blanc, un macaron le représentant. Des excédents céréaliers en 2005, un taux de scolarisation en hausse et une amélioration du système de santé auraient, notamment, « désorienté l’opposition ».

« Nous pensions que [l’opposition] allait mieux s’organiser. Mais sa faiblesse et le bilan du Président ont contribué à l’enthousiasme des populations », s’est réjouit le ministre Salif Diallo, évoquant un excédent céréalier de 1,2 millions de tonnes en 2005 et la construction de 1 500 retenues d’eau dans les cinq ans à venir.

« Avant, le Président était très préoccupé par les questions politiques, pour stabiliser le pays. Maintenant que c’est acquis, ce sont les questions socio-économiques qui l’intéressent », a-t-il ajouté.

Une pauvreté accablante

Le plan cadre des Nations Unies pour l’aide au développement (UNDAF) au Burkina Faso soulignait néanmoins, en mars 2005, « l’ampleur et la profondeur de la pauvreté » dans ce pays sahélien enclavé, où 46 pour cent de la population vit en dessous du seuil absolu de pauvreté, soit moins d’un dollar par jour, contre 45,3 pour cent en 1998.

Très dépendant des cours mondiaux du coton, une culture d’exportation qui nourrit des milliers de personnes dans sa partie sud, le pays souffre depuis quelques années d’une chute des prix qui a poussé de nombreuses familles à aller trouver des revenus ailleurs – et notamment en Côte d’Ivoire, le premier producteur mondial de cacao, selon un membre du gouvernement qui a préféré garder l’anonymat.

« La vie est dure ici, il n’y a pas de travail et tout coûte cher, la nourriture et l’essence, on est trop pauvre », s’est lamenté Issouf, un chauffeur de taxi d’une cinquantaine d’années, incapable de décider, carte électorale en poche, pour qu’il allait voter. « Je peux voter Blaise [Compaoré], mais cela servira à quoi ? Ca fait deux fois que je le vote, et rien ne s’arrange pour moi ».

Pour beaucoup d’électeurs, pourtant, voter Blaise Compaoré aujourd’hui est lourd de sens.

« Les gens se sont exprimés librement, les media comme les opposants. On nous a montré quelqu’un de simple, qui maîtrise la gestion des affaires publiques… Je suis persuadée que c’est une nouvelle personne que nous allons avoir », a expliqué Kenza, une étudiante en économie d’une vingtaine d’années.

Mieux informés, les Burkinabè sont incontestablement plus lucides et plus vigilants sur leur avenir, selon Abdoulaye Diallo, du centre Norbert Zongo.

« Compaoré doit trouver un nouveau souffle. S’il apparaît plus sincère, s’il change un peu, s’il travaille pour le Burkina et non pas pour maintenir son pouvoir, les gens seront prêts à le suivre », a-t-il estimé. « Mais l’unanimisme est un risque, qu’il verrouille tout maintenant qu’il a les clés. Nous serons là pour empêcher les dérives ».




This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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