L’Etat tchadien, qui vient de rejoindre le club très restreint des pays africains producteurs de pétrole, a approuvé mardi la modification de la loi sur la gestion des revenus pétroliers, qui comporte un ensemble de dispositions sans précédent visant à lutter contre les détournements de la rente pétrolière et à investir des fonds dans les programmes de réduction de la pauvreté.
Faisant fi des préoccupations de la Banque mondiale, garante du projet pétrolier Tchad-Cameroun, le gouvernement a fait savoir qu’il avait besoin de ces fonds maintenant pour faire face à des problèmes de trésorerie et renforcer la sécurité du pays.
Le mois dernier, le président Idriss Deby avait dissout la garde présidentielle après que de nombreux militaires aient déserté l’armée.
« Le Tchad a de graves problèmes de trésorerie », a indiqué mercredi le ministre de la Communication, Hourmadji Moussa Doumgor. « Nous avons besoin de ces fonds maintenant pour assurer le développement et la paix du pays ».
M. Doumgor a par ailleurs précisé que le projet d’amendement a été soumis à l’Assemblée nationale qui doit délibérer et l’adopter avant sa promulgation par le Président de la république.
Dans le compte rendu du conseil extraordinaire des ministres du 8 novembre – dont IRIN a pu se procurer une copie – le conseil indique que « les retouches opérées sur la loi N°1/PR/99 visent à établir une approche réaliste dans la gestion des revenus pétroliers en intégrant d’une part la satisfaction des priorités présentes, et d’autre part la préparation de l’avenir des populations ».
L’amendement préserve les « fondamentaux » de la loi, indique le compte rendu, « tout en prenant en compte l’impatience et les attentes des populations tchadiennes quant aux retombées concrètes de l’exploitation du pétrole ».
Mais pour certains analystes, en prenant cette mesure, le gouvernement hypothèque l’avenir financier du Tchad.
« Cela ressemble à une stratégie de survie à court terme mais qui aura des conséquences désastreuses à longs termes », a confié à IRIN Ian Gary, expert auprès d’Oxfam Amérique.
La loi sur la gestion des revenus pétroliers du Tchad faisait partie des nouvelles mesures de réduction de la pauvreté exigées par la Banque mondiale en échange de sa participation financière, à hauteur de 3,7 milliards de dollars américains, à la construction d’un oléoduc de 1 100 kilomètres qui part du sud du Tchad pour aboutir au terminal pétrolier off-shore de Kibri au Cameroun, dans l’océan Atlantique.
La loi stipulait que 10 pour cent des recettes de l’exploitation pétrolière devaient être placés sur un fonds spécial destiné aux générations futures, les autres parts devant être consacrées notamment à la santé, à l’éducation, à la construction et la réhabilitation des routes, et à la fourniture d’eau potable dans le pays – classé 173ième parmi les 177 pays les plus pauvres, selon le dernier index de développement humain des Nations unies.
D’après la Banque mondiale, le fonds pour les générations futures s’élevait à 27,4 millions de dollars à la fin du mois de septembre 2005.
Lorsque l’exploitation du pétrole a démarré officiellement en 2003, le programme de répartition des revenus pétroliers était considéré comme un modèle de gestion par rapport aux piètres performances des autres pays africains producteurs de pétrole où la manne des pétrodollars a servi à enrichir l’élite, et n’a pas ou peu bénéficier aux masses.
Mais pour les groupes humanitaires et de défense de l’environnement, cet événement a été « une journée nationale de deuil », car le projet pétrolier ne ferait qu’exacerber les problèmes du Tchad.
Pour tenter d’apaiser les inquiétudes que suscite la modification de la loi sur la gestion des revenus pétroliers, le ministre tchadiens des Finances, Abbas Mahamat Tolli, a déclaré mercredi sur les ondes de Radio France Internationale que son gouvernement entendait investir cet argent dans des projets qui seront utiles aux générations futures.
« Pour nous l’avenir des générations futures procède également des efforts que nous ferons aujourd’hui », a-t-il déclaré. « Pour les générations futures, nous voulons leur léguer de bonnes infrastructures sanitaires, des investissements massifs dans les domaines de l’éducation. Ce sont des efforts que le gouvernement est en train de déployer dans ces secteurs qui finalement permettront d’améliorer davantage les conditions de vie ».
Le projet de modification de la loi permettra également de redéfinir les secteurs prioritaires, de réviser la clé de répartition des fonds rapatriés et d’étendre les champs d’application de la loi aux futurs champs pétroliers, indique le compte rendu du Conseil des ministres.
La Banque mondiale n’a fait aucun commentaire pour l’instant, mais dans un communiqué du 25 octobre dernier, l’institution exprimait déjà ses vives préoccupations à propos du projet de modification de la loi sur les revenus pétroliers du Tchad.
En réponse aux inquiétudes de la Banque mondiale, le ministre de la Communication M. Doumgor, avait alors déclaré que « la Banque mondiale comprend parfaitement la situation du Tchad. Nous avons de grandes difficultés et ils doivent en tenir compte ».
Le pays a fait face ces derniers mois à plusieurs mouvements de grève générale et le gouvernement éprouve souvent des difficultés pour payer ses fonctionnaires.
En outre, l’indice de perception de la corruption publié en octobre par Transparency International, une organisation basée en Allemagne, place le Tchad en tête de peloton des pays les plus corrompus de la planète.
Selon le réseau des organisations de la société civile qui contrôle le projet pétrolier tchadien, la crise sociale et les problèmes de trésorerie que les autorités veulent résoudre avec les fonds pour les générations futures n’ont qu’une seule explication : la mauvaise gouvernance.
Selon les informations recueillies sur un site de la Banque mondiale, en septembre 2005, l’exploitation pétrolière avait rapporté au Tchad 306 millions de dollars de recettes brutes et le pays avait exporté 118 millions de barils depuis le début de la production.
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