1. Accueil
  2. West Africa
  3. Mali

Les enfants sont les premières victimes de la crise

Djibril a eu de la chance. Si ce petit bébé famélique n’avait pas été porté par sa mère de leur village, situé dans l’est du Mali, jusqu’à l’hôpital principal de Gao mercredi matin, il n’aurait pas survécu plus de 24 heures, selon les médecins.

La mère de Djibril dorlote son enfant affaibli, assis sur ses genoux, tandis que des infirmières s’activent autour d’eux. Elles préparent des solutions pour sauver la vie de Djibril, déterminent sa taille, son poids, son âge, des données vitales dont l’évolution sera surveillée de près au cours des quatre prochaines semaines. C’est le temps qu’il faudra, selon les médecins, pour que l’enfant retrouve la santé.

Selon les estimations des médecins, Djibril doit avoir environ un an, mais il ne pèse que 4,3 kg. Il lui faudra atteindre 6,2 kg avant de pouvoir quitter l’hôpital.

Moins d’une heure après l’arrivée de Djibril à l’hôpital, le personnel médical le cajolait pour l’inciter à boire, cuillère après cuillère, une solution de réhydration versée dans un gobelet en plastique. L’enfant a même accepté de boire du lait protéiné, le premier aliment digne de ce nom qu’il ait ingurgité depuis plusieurs jours.

« Il s’agit d’un cas classique de malnutrition sévère. Si son état s’était aggravé, il serait mort », a expliqué Clara Marti Mashooka, pédiatre qui exerce à l’hôpital de Gao pour le compte de l’organisation humanitaire française Action contre la faim.

Selon les statistiques officielles, 1,1 millions de Maliens seraient confrontés à la pénurie alimentaire cette année, à la suite d’une sécheresse sévère et d’une invasion de criquets pèlerins qui ont détruit les cultures et décimé les troupeaux.

Les enfants sont les plus touchés, notamment ceux qui ont entre six mois et cinq ans, qui ne sont plus nourris au lait maternel. Ceux-ci sont sujets à la malnutrition car leurs maigres repas ne leur apportent plus les protéines et les vitamines dont ils ont besoin, a expliqué le docteur Mashooka.

La faim a vidé Djibril de toute énergie. L’enfant, affaibli, n’a même plus la force de lever ses grands yeux vers sa mère. Son visage ressemble à celui d’un vieillard ridé. Sa peau plissée pendouille sur ses os minuscules. Lorsqu’on pince son nombril, la peau forme une petite boule, et reste ainsi.

« Lorsque la peau ne se remet pas en place, c’est un signe de déshydratation sévère », a expliqué le docteur Mashooka.

Mais moins d’une heure plus tard, la peau de Djibril a repris un peu de son élasticité.

En revanche, pour que le tissu musculaire de Djibril se régénère, ce qui lui permettra de s’asseoir, il devra passer quelques jours de plus aux soins intensifs, où il est nourri toutes les trois heures.

Après une semaine environ, Djibril devrait pouvoir se lever, en se faisant aider, et retrouver l’énergie nécessaire pour s’intéresser à ce qui l’entoure, et notamment au lait qui lui est présenté : aujourd’hui, il faut ruser et le cajoler pour lui faire boire ce lait. Bientôt, il tendra le bras de lui-même pour l’attraper.

« C’est très satisfaisant de voir les enfants progresser si rapidement », a expliqué le docteur Mashooka, « mais il faut pour cela qu’ils bénéficient de soins intensifs ».

Mardi matin, Sidi Boukoum Adama, la mère de Djibril, a quitté son village de Tondibi, environ 50 km au nord de Gao, pour se rendre à pied à l’hôpital. Elle a marché, sous la chaleur du soleil, jusqu’au fleuve Niger. Puis, elle a pris la pirogue pour regagner l’autre rive et s’est reposée une nuit en ville, chez un proche, avant de se rendre à l’hôpital.

« Mon mari m’a dit de l’emmener à l’hôpital quand il a commencé à refuser de manger », a raconté Sidi. Sidi et son mari sont des riziculteurs sédentaires de l’ethnie Songhaï.

Mais l’année dernière, des essaims de criquets se sont abattus sur les récoltes et aujourd’hui, les réserves de riz sont épuisées. Et même si la saison des pluies a commencé, il faut encore patienter avant la nouvelle récolte, et la faim se fait sentir.

Sidi ne connaît pas son âge, mais l’infirmière devine que la jeune fille a une vingtaine d’années. Elle a eu quatre autres enfants, dont l’un est mort l’année dernière. Les causes de sa mort n’ont pas été déterminées. Peut-être s’agissait-il d’un cas de malnutrition.

Sidi ne semble pas avoir fait le lien entre l’état de son fils et son régime alimentaire.

« Cette maladie est un fléau de Dieu », dit Sidi, en s’adressant à l’infirmière, qui sert d’interprète.

La plupart des enfants qui arrivent à l’hôpital s’en sortent. Mais parmi les quelque 60 enfants qui ont été traités jusqu’ici, trois sont décédés.

L’un d’eux est mort vendredi dernier. « Elle est arrivée trop tard », a expliqué le docteur Mashooka. La petite fille, âgée de deux ans, avait dépéri et ne pesait plus que cinq kilos.

Pourtant, l’enfant ne venait pas d’un village reculé. Elle habitait la ville de Gao, à quelques minutes à pied de l’hôpital et du marché, labyrinthe ombragé où des petits commerçants vendent oranges, patates douces, riz, poisson, viande et bien d’autres marchandises.

Sur les 17 enfants atteints de malnutrition sévère qui se trouvaient dans le service de pédiatrie mercredi après-midi, huit vivent dans la ville de Gao, soit à peu près la moitié d’entre eux.

« Les gens commencent à savoir que le traitement est gratuit, ce qui fait que, maintenant, davantage de mères viennent à l’hôpital », a précisé le docteur Mashooka. Mais le problème reste entier : une partie des habitants de la ville sont trop pauvres pour se procurer la nourriture qu’ils voient au marché.

Touwa Walett Eglas en fait partie. C’est la première fois qu’elle vient à l’hôpital. Elle est accompagnée du plus jeune de ses enfants, Hamamata, qui souffre de malnutrition sévère. Touwa a eu six enfants mais trois d’entre eux sont morts. Elle ne les avait pas emmenés à l’hôpital.

« Les hôpitaux, c’est toujours tellement cher », a-t-elle expliqué. Touwa est une Touareg noire, l’une des communautés les plus pauvres et les plus marginalisées du Mali. Cette communauté est depuis toujours une caste d’esclaves et travaille pour des familles de Touaregs à la peau plus claire qui sillonnent le désert avec leurs bêtes.

Mais Touwa, son mari et les deux enfants qui leur restent ont abandonné leur vie de nomades l’année dernière après avoir perdu une à une la douzaine de chèvres qu’ils possédaient. Les essaims de criquets qui s’étaient abattus sur l’Afrique de l’Ouest en 2004 avaient détruit toute la végétation, et leurs chèvres n’avaient plus rien à manger.

« Nous n’avions plus rien là-bas, alors nous sommes venus ici pour nous construire une vie meilleure », a expliqué Touwa, qui a transporté sa tente de toile, jusqu’au quartier de Château, dans le centre de Gao.

« Mais le problème, c’est que mon mari ne connaît que la vie de la brousse. Il ne connaît pas la ville ». Son mari n’arrive pas à trouver un emploi fixe et Touwa ne sait jamais si sa famille aura de quoi manger au prochain repas. Payer le prix d’une consultation dans ces conditions ? Ce n’est même pas la peine d’y penser.

Néanmoins, après son expérience positive et gratuite à l’hôpital, Touwa a déclaré qu’elle reviendrait si l’un de ses enfants tombait malade. Mais pas avant d’avoir consulté son guérisseur, ou marabout.

« Les médicaments traditionnels sont très efficaces et c’est mieux que l’hôpital », a-t-elle déclaré.


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

Partager cet article

Get the day’s top headlines in your inbox every morning

Starting at just $5 a month, you can become a member of The New Humanitarian and receive our premium newsletter, DAWNS Digest.

DAWNS Digest has been the trusted essential morning read for global aid and foreign policy professionals for more than 10 years.

Government, media, global governance organisations, NGOs, academics, and more subscribe to DAWNS to receive the day’s top global headlines of news and analysis in their inboxes every weekday morning.

It’s the perfect way to start your day.

Become a member of The New Humanitarian today and you’ll automatically be subscribed to DAWNS Digest – free of charge.

Become a member of The New Humanitarian

Support our journalism and become more involved in our community. Help us deliver informative, accessible, independent journalism that you can trust and provides accountability to the millions of people affected by crises worldwide.

Join