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Il n'y a pas de famine au Niger, il n'y aurait que des affamés

Même lorsque la nature est clémente, la faim et la maladie sont le lot quotidien des 1 500 habitants de Zermo, un petit village de l’est du Niger.

Le village, constitué de cases en terre battue, se trouve à quelque 1 000 km de Niamey, la capitale poussiéreuse du Niger, sur une petite colline entourée d’une mer de sable. Ses habitants, agriculteurs de subsistance, luttent pour survivre en cultivant du sorgho et du mil et en élevant des chèvres et des bovins.

Haoua Maman est assise par terre devant sa case. Elle porte dans ses bras son petit garçon de 15 mois, Ibrahim. Les membres d’Ibrahim sont décharnés et il a peine à respirer. Les seins de sa mère ne donnent plus de lait depuis qu’il n’y a plus de nourriture au village.

« Je suis allée au centre médical d’Ollelewa avec Ibrahim pour demander de l’aide », a expliqué Haoua, « mais je n’avais pas les 700 francs CFA (1,4 dollars américains) qu’ils m’ont demandés pour la consultation ».

Dans l’impasse, Haoua a dû retourner à Zermo, 25 km plus loin, consciente que son fils et elle devraient affronter un autre jour de jeûne. « Qu’est-ce qu’on peut faire ? Mon enfant va mourir, si c’est la volonté de Dieu ».

Zermo fait partie des villages les plus touchés de Zinder, une zone qui a subi de plein fouet l’impact de la crise alimentaire, comme c’est le cas pour cinq autres régions du sud du Niger.

La sécheresse et l’invasion de criquets pèlerins qui ont marqué l’année 2004 ont décimé le bétail et dévasté les champs de sorgho, ébranlant ainsi l’équilibre fragile du pays, à la frontière entre la survie et la mort.

Jan Egeland, coordinateur des secours d’urgence des Nations unies, a averti ce week-end qu’un programme d’aide devait être mis en place d’urgence pour maintenir en vie 2,5 millions d’habitants du Niger. Près d’un tiers de la population est menacé par la faim et « quelque 800 000 enfants de moins de cinq ans ont le ventre vide ».

La malnutrition est un problème endémique au Niger. Aujourd’hui, les travailleurs humanitaires continuent d’affirmer que la crise alimentaire qui sévit cette année dans le sud du Niger ne saurait être qualifiée de famine. Pourtant, cette crise donne un douloureux aperçu de la pauvreté profonde qui touche les 12 millions d’habitants du Niger.

Une pauvreté chronique

« Le vrai problème de ces populations, c’est la pauvreté », a expliqué Moussa Ganaon, le maire du comté d’Ollelewa. « Les gens d’ici n’ont pas d’argent du tout pour acheter de la nourriture ou des médicaments pour leurs enfants. Ils dépendent de l’aide de leurs proches, qui eux-mêmes n’ont pas assez pour survivre ».

M. Moussa a tenté de réconforter quelque 20 femmes qui portaient presque toutes dans leurs bras des enfants mal nourris, dont quelques-uns souffraient de dépérissement sévère. Mais M. Moussa n’avait rien à leur offrir de plus que sa pitié. « Nous ne pouvons pas nous permettre de leur fournir des services et des médicaments gratuits. Notre ville ne perçoit aucun revenu », a-t-il déploré.

Pour les plus jeunes, l’absence d’eau potable ne fait qu’aggraver la situation. Selon les travailleurs humanitaires, lorsque la diarrhée s’ajoute au manque de nourriture, les enfants commencent à dépérir.

« Au Niger, la malnutrition est un problème structurel. Même quand les récoltes sont bonnes, nous sommes toujours confrontés à ce type de malnutrition chez les enfants », a déclaré Adjibade Aboudou Karimou, représentante du Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF).

Selon Mme Karimou, le statut de la femme est un facteur clé : les femmes n’ont que peu de pouvoir au sein du foyer. Ce sont les maris qui gèrent les dépenses de la famille. Leurs épouses « ne reçoivent pas assez de nourriture et, par conséquent, ne peuvent pas s’occuper de leurs enfants tel qu’elles le devraient ».

Pour sortir le Niger de l’insécurité alimentaire, il faut impérativement, dit-elle, permettre aux femmes de s’assumer, et tout d’abord en leur donnant accès à l’éducation. En effet, la non scolarisation des femmes est en partie responsable du taux de fécondité très élevé chez la femme nigérienne qui a en moyenne 8 enfants.

Pas d’aide au développement

Bien que le Niger s’étende sur un vaste territoire, il n’a pas les moyens de nourrir son peuple. En effet, la production alimentaire du pays repose sur un système agricole archaïque qui dépend presque totalement des précipitations, au Sahel, une région aride.

« Nous ne comprenons pas pourquoi ce pays, démocratique, solide et très stable, ne reçoit pas l’attention et l’aide dont il a besoin de la part de la communauté internationale pour amener son peuple sur la voie du développement », a déclaré Michele Falavigna, qui dirige le bureau du Programme des Nations unies
pour le développement (PNUD) à Niamey.

Selon Peter Bieler, agronome pour la Coopération suisse, une organisation humanitaire qui gère des projets de développement dans le pays, le Niger devrait faire de l’agriculture une priorité.

« Le Niger a besoin d’agriculteurs professionnels, pas des chômeurs des zones rurales qui n’ont rien d’autre à faire. Ce pays a besoin de mettre en place une politique qui renforce le système agricole ».

Rien que pour suivre le rythme de croissance de la population, le Niger doit construire 2 000 nouveaux puits chaque année, a-t-il observé.

Dans le petit marché de la ville d’Ollelewa, une femme assise derrière un grand tas d’herbes à vendre donne le sein à un enfant souffrant de malnutrition sévère. Ici, les commerçants vendent des piments, du sel et des médicaments mais presque pas de nourriture.

Le peu de vivres disponibles se vend au triple du prix. Une grande majorité de villageois n’ont pas les moyens de se les procurer. Avec la crise alimentaire, leur bétail, qu’ils troquent habituellement contre de la nourriture, s’est émacié, et sa valeur a dangereusement chuté sur les marchés.

Mais la crise alimentaire au Niger est un problème localisé. Les marchés des principales villes regorgent de marchandises, et des camions chargés de céréales sillonnent les routes.

Selon M. Bieler, des hommes d’affaires habiles profitent de la situation : « On peut toujours se procurer 10 ou 20 tonnes de céréales. Mais les commerçants font exprès de ne fournir que des petites quantités pour que les prix restent élevés. Beaucoup de gens font des affaires ici. Certains commerçants ont acheté de la viande séchée à des éleveurs désespérés et l’ont revendue au Nigeria 20 fois plus cher ».

Le prix d’une réaction tardive

L’année dernière, la production nationale de céréales était inférieure de 11 pour cent seulement à la production moyenne des cinq années précédentes. Ce déficit aurait pu être pallié par une hausse de trois pour cent des importations de céréales, selon le Réseau de systèmes d’alerte précoce contre la famine, une organisation financée par les Etats-Unis.

En janvier, le gouvernement s’était mis d’accord avec ses partenaires humanitaires pour mettre en place une stratégie préventive destinée à venir en aide à la population et axée sur des distributions ciblées et la subvention des ventes de nourriture et de fourrage. Néanmoins, les 33 000 tonnes métriques de céréales commandées à des fournisseurs de la région n’ont pas été livrées.

Selon plusieurs spécialistes agricoles, cet incident était probablement dû à la crainte d’une pénurie alimentaire dans les pays voisins du Niger – au nord du Nigeria, au Mali et au Burkina Faso.

L’incapacité des marchés régionaux à intervenir pour combler le déficit alimentaire du Niger, et la réaction tardive des bailleurs aux appels des Nations unies, dont le premier a été lancé il y a neuf mois, ont fait basculer le Niger dans une situation d’urgence.

« Si on ne peut pas mettre en place une stratégie préventive, il faut revoir sa stratégie et passer à une opération d’urgence, destinée à sauver des vies », a déclaré Gian Carlo Cirri, le représentant du Programme alimentaire mondial (PAM) au Niger.

En mai dernier, les Nations unies ont sollicité les bailleurs de fonds à hauteur de 16 millions de dollars américains pour l’aide au Niger ; la semaine dernière, le PAM a revu cet appel à la hausse, sollicitant cette fois la somme de 56 millions pour nourrir les 2,5 millions de Nigériens les plus vulnérables.

« Cette opération aurait pu coûter au moins cinq fois moins cher. Malheureusement, il est difficile de convaincre les bailleurs de mettre la main au portefeuille pour prévenir une crise. Il faut d’abord qu’ils voient des enfants qui meurent de faim », a déclaré Stephanie Savariou, la porte-parole du PAM.

« La communauté internationale devrait avoir honte », s’est exclamé David Andrews, ancien ministre irlandais des Affaires étrangères et président de la Croix rouge irlandaise alors qu’il se trouvait à Tauoa, une ville du sud du Niger où l’ONG Concern distribuait des compléments nutritionnels à plus de 900 mères et leurs enfants mal nourris.

M. Andrews a appelé à organiser une conférence internationale sur le Niger afin d’aborder les problèmes de développement à long terme qui affectent le pays.

Mais même si les cargaisons d’aide alimentaire, qui ont finalement été envoyées, arrivent à Zermo, les villageois ont peu de chances d’échapper à la pauvreté et à la disette.

Avec la saison des pluies, qui a commencé plus tôt cette année, les premières pousses de sorgho et de mil commencent à germer. Mais beaucoup de paysans ne peuvent plus semer leur grain, qu’ils ont mangé, en désespoir de cause.

« Même si les pluies sont bonnes cette année, la récolte ne sera pas suffisante », a déclaré un ancien du village.

Les opérations humanitaires, qui se mettent en place ça et là, parviennent peu à peu à juguler la crise actuelle. Mais déjà, la prochaine crise semble se préparer.


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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