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Taylor hante encore les esprits à quelques mois des élections présidentielles

Ce dimanche après-midi, la petite salle de cinéma délabrée de cet ancien bastion rebelle est bondé : les spectateurs sont venus nombreux pour assister à la première projection du documentaire « The Rise and Fall of Charles Taylor ».

Les Libériens s’animent et des acclamations retentissent au moment où l’ancien président monte dans l’avion qui l’emportera hors du pays, marquant la fin d’une guerre civile qui avait duré 14 ans. « Au revoir », crie une femme, en agitant frénétiquement le bras.

Vêtu de son sempiternel ensemble blanc, Taylor s’est exilé au Nigeria un beau jour d’août 2003, se posant en « agneau sacrifié » et rejetant les allégations de la communauté internationale, qui l’accusait d’avoir fomenté plusieurs guerres civiles ouest-africaines.

Mais près de deux ans plus tard, tandis que le Liberia se prépare aux élections présidentielles et législatives et au retour à la démocratie, l’ancien chef de guerre devient très présent dans l’inconscient collectif. Selon les diplomates et les observateurs internationaux, il tire, encore aujourd’hui depuis son lieu d’exil, les ficelles de la vie politique libérienne.

A Zwedru, ancien quartier général du Mouvement pour la démocratie au Liberia (MODEL), un groupe rebelle, des centaines d’hommes, de femmes et d’enfants se sont serrés sur les vieux bancs en bois du shack-cum-cinema pour regarder un documentaire aux images floues et au son approximatif sur la vie de Taylor.

Après avoir fait ses armes en Libye, Taylor lance une guérilla en 1989, le jour de Noël. Sa faction finit par prendre le dessus et Taylor est élu président en 1997. Mais la guerre, elle, ne se terminera que six ans plus tard.

La plupart des habitants de cette ville de l’est du pays, située à 30 km à peine de la frontière ivoirienne, ont été soulagés de voir partir Taylor. Cependant, d’aucuns se souviennent du message d’adieu de l’ancien chef de l’Etat, « Si Dieu veut, je reviendrai », et s’inquiètent à l’idée que ces mots pourraient bien être prophétiques.

« Nous sommes contents qu’il ne soit pas là. C’est une terreur », a déclaré Sam Nuah, un habitant de Zwedru. « Il a fait en sorte que les jeunes n’aient pas d’avenir. Les gosses combattaient au lieu d’aller à l’école”.
Même à Gbargna, au cœur de l’ancien bastion de Taylor, beaucoup d’habitants sont du même avis. Beaucoup reconnaissent avoir combattu aux côtés de Taylor et l’avoir appelé “Pappy”, mais ceux-ci déclarent avoir changé de camp depuis qu’ils ont connu deux ans de paix.

« Je ne veux plus revoir cet homme. S’il revenait, le conflit reprendrait. C’est un homme mauvais, mais il sait bien manipuler les gens », a déclaré Mustapha Konneh, 27 ans.

Le pouvoir de mobiliser l’opinion

Les habitants de Zwedru semblent eux aussi préoccupés par le pouvoir qu’exerce depuis l’étranger ce professeur converti en chef de guerre.

« Taylor a du charisme, il sait mobiliser l’opinion. Rien qu’en parlant à la radio, il peut faire bouger les choses au Liberia », a déclaré Ernest Freeman.

Ces préoccupations sont également celles de certaines grandes figures de la diplomatie.

« L’ingérence continue de l’ancien président Charles Taylor dans les affaires politiques du Liberia engendre des préoccupations croissantes » , a déclaré le Secrétaire général des Nations unies Kofi Annan dans son dernier rapport au Conseil de sécurité, il y a deux semaines.

[Liberia] Liberia's elections are due to be held on 11 October 05, the final chapter in the country's transition to democracy after 14 years of civil war.
Les élections présidentielles sont prévues le 11 octobre



Toute ingérence de ce type constituerait une violation de l’accord qui régit l’exil de Taylor – un accord qui lui permet actuellement d’échapper aux 17 chefs d’accusation auxquels il aurait à faire face devant les tribunaux de Freetown, pour des crimes contre l’humanité dont il se serait rendu coupable en Sierra Leone, durant la guerre civile, qui avait duré dix ans.

Le Tribunal spécial sierra léonais, soutenu par les Nations unies, accuse principalement Taylor d’avoir soutenu la rébellion sanglante menée par le Front révolutionnaire uni (RUF) entre 1991 et 2002, en fournissant à ses leaders des armes et des munitions en échange de diamants importés illégalement. Selon l’opinion générale, il aurait également soutenu une tentative d’invasion de la Guinée, en 2000.

Mais selon les procureurs, Taylor continuerait de chercher à déstabiliser le pays depuis son départ à Calabar, une ville reculée du delta du Niger.

Ceux-ci affirment que l’ancien président aurait fait parvenir 160 000 dollars américains à ses sympathisants, à Monrovia, la capitale libérienne, en octobre dernier, afin de financer l’organisation de soulèvements qui avaient fait 16 morts et des centaines de blessés. Selon eux, bien que le gouvernement nigérian assure que l’ex-chef de l’Etat libérien ne peut pas quitter son luxueux domaine de Calabar, entouré de gardes, Taylor se déplacerait librement dans toute l’Afrique de l’Ouest.

Un rapport publié ce mois-ci par Global Witness, un centre de recherche londonien, accuse Taylor de contrôler ou de soutenir financièrement pas moins de neuf partis politiques parmi les quelque 30 qui présentent leurs candidats aux élections du 11 octobre prochain.

« On dirait qu’il veut s’assurer d’avoir une mainmise sur le pays dans le futur », a déclaré à IRIN jeudi Natalie Ashworth de Global Witness. « De toute évidence, ce serait très inquiétant qu’un candidat soutenu par Taylor remporte les élections. Il est crucial de limiter son influence sur les prochains scrutins ».

Une ingérence continue ?

Au sein du parti de Taylor, le Parti national patriotique, c’est Roland Massaquoi qui a été choisi pour être candidat à la présidence. Certains membres du parti ont déclaré que Taylor, qui avait nommé Massaquoi ministre de l’Agriculture dans l’un de ses gouvernements, avait passé quelques coups de téléphone pendant le processus de nomination afin d’influencer les votes.

Taylor est également accusé de se mêler, encore aujourd’hui, des affaires de l’Etat depuis son lieu d’exil. Le Tribunal spécial l’a publiquement accusé d’avoir été impliqué dans une tentative d’assassinat perpétrée en janvier 2005 sur la personne de Lansana Conte, le président guinéen souffrant. La cour a en outre prévenu qu’il tenterait probablement une nouvelle fois de renverser son rival de toujours.

Selon certains diplomates et travailleurs humanitaires, Conte aurait fourni des armes et offert des bases arrières aux miliciens du LURD (Libériens unis pour la réconciliation et la démocratie), le mouvement rebelle qui a pris Monrovia en 2003 et a précipité le départ de Taylor.

Map of Liberia




En dépit de toutes ces allégations, le président nigérian Olusegun Obasanjo refuse d’expulser Taylor avant d’avoir obtenu la preuve concrète que les dispositions de l’accord qui régit l’exil de l’ex-président libérien ont été enfreintes. Mais Obasanjo est soumis à des pressions plus en plus fortes.

Le dernier appel en date émane d’une coalition composée de quelque 300 groupes africains et internationaux, parmi lesquels figurent Amnesty International et Human Rights Watch. Jeudi dernier, la coalition a publié une déclaration exhortant l’Union africaine (UA), actuellement présidée par Obasanjo, à prendre les mesures qui s’imposent.

« Son extradition permettra non seulement de rétablir la justice au nom des innombrables victimes de Charles Taylor et de leurs familles mais également de montrer que l’UA est véritablement décidée à mettre fin à l’impunité scandaleuse qui règne en Afrique de l’Ouest », selon la déclaration.

La résolution votée la semaine dernière par le Conseil de sécurité des Nations unies n’exigeait pas que Taylor soit livré aux magistrats du Tribunal spécial de Sierra Leone. Toutefois, l’ambassadeur des Nations unies en Grande Bretagne a déclaré à la presse que des débats épineux étaient en cours en Afrique.

« Taylor ne peut pas échapper à la justice. Il ne restera pas impuni. La seule question qui se pose, c’est “comment allons-nous nous y prendre ?”. Nous ne pensions pas que cette résolution était le bonne façon de procéder », a déclaré Emyr Jones Parry, sans plus de détails.

Un jugement, oui, mais devant quelle instance ?

Taylor doit-il être jugé devant le Tribunal spécial de Freetown, soutenu par les Nations unies (un tribunal spécialisé dans les crimes de guerre et composé de juges à la fois internationaux et sierra léonais) ? Les Libériens semblent divisés sur la question.

« Pour le moment, il ne devrait pas aller au Sierra Leone parce que je ne pense pas qu’il serait jugé équitablement à Freetown. Peut-être qu’il devrait être jugé à La Haye », a déclaré un habitant de Zwedru, qui s’était présenté sous le nom de Charles.

D’autres Libériens souhaitent que l’ex-président soit jugé sur le sol national, où ses crimes les plus graves ont été commis. Plusieurs centaines de milliers de personnes ont trouvé la mort pendant la guerre civile, qui a éclaté lorsque Taylor a déclenché une rébellion contre l’ancien président Samuel Doe. .

[Liberia] 'The Rise and Fall of Charles Taylor' -- the Sunday matinee showing at Zwedru's ramshackle cinema. Liberia, June 2005.
"Venez voir un documentaire sur l'ancien président libérien" indique l'affiche



« Il devrait être extradé et jugé ici », selon Tuboy Mulbah, 23 ans, qui vit en face des ruines calcinées de l’ancienne résidence de Taylor, dans la ville de Gbargna. « Mais pas seulement lui. S’il doit répondre de ses actes devant la justice, alors c’est le cas de beaucoup d’autres également ».

L’accord de paix de 2003, qui avait mis fin à la guerre civile au Liberia, prévoyait la création d’une Commission Vérité et Réconciliation chargée de mettre au jour les atrocités perpétrées. Toutefois, il ne prévoyait pas la mise en place d’une cour criminelle pour juger les responsables de ces atrocités.

Obasanjo a promis de renvoyer Taylor à Monrovia afin qu’il puisse y être jugé, si le prochain gouvernement libérien élu venait à porter plainte contre ce dernier et à demander son extradition.

A presque trois mois seulement des élections tant attendues, Taylor ne risque pas de se faire oublier.

Oliver Jellu, le gérant du cinéma de Zwedru, a déclaré qu’il avait décidé de projeter le documentaire sur la vie de Taylor pour informer les gens, autant qu’il le pouvait.

« Les élections approchent. C’est une façon de rappeler aux gens ce qui se passe lorsqu’on confie notre gouvernement à la mauvaise personne », a déclaré à IRIN Jellu, 25 ans. « Cette fois, il faut qu’on fasse attention à ne pas choisir un autre chef de guerre ».

Taylor a remporté une victoire écrasante lors des dernières élections présidentielles au Liberia. Tel était le slogan officieux qui circulait lors de sa campagne de 1997 : « Tu as tué ma mère, tu as tué mon père. Je vais voter pour toi ».

Bien que beaucoup de Libériens aient voté pour Taylor par crainte de le voir relancer le conflit, la guerre n’a pas pris fin après sa victoire. Le gouvernement de Taylor n’a pas investi dans la reconstruction du pays, et les ex-combattants, pauvres et sans travail, ont dû retourner au combat et se livrer à des pillages.

« Bien sûr, nous avons peur que l’histoire se répète », a expliqué Stephen Musa, le gérant d’un des camps pour déplacés internes du Liberia, qui abritent encore quelque 140 000 Libériens. « Mais nous espérons que le nouveau gouvernement fera changer les choses, et agira dans l’intérêt de l’ensemble de la population libérienne ».



This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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