Il est peu probable que le désarmement démarre la semaine prochaine et les élections présidentielles prévues au mois d’octobre prochain et censées rétablir la paix dans ce pays d’Afrique de l’ouest sont une chimère.
« Nous n’irons pas aux élections, c’est sûr », a fait remarquer Oregean Delesse, un informaticien au chômage, qui vit à Abidjan, la capitale économique de la Côte d’Ivoire. « Nous sommes obligés de passer encore par la guerre pour arriver à la paix ».
La Côte d’Ivoire est coupée en deux après l’échec de la tentative de renversement du président Gbagbo par le mouvement des forces rebelles, il y a trois ans ; le sud du pays est contrôlé par les forces armées loyalistes et le nord par les forces rebelles.
Depuis, plusieurs médiateurs internationaux ont tenté en vain de mettre fin à la crise en Côte d’Ivoire, premier producteur mondial de cacao.
Le dernier médiateur en date, le président sud-africain, Thabo Mbeki, avait été mandaté par l’Union africaine (UA). Depuis le sommet de Pretoria, organisé en avril dernier, d’importants obstacles à la paix ont été surmontés, mais certains problèmes majeurs n’ont toujours pas été résolus.
Et de nombreux ivoiriens pensent que Mbeki devra intervenir à nouveau le 27 juin, la date prévue pour le démarrage du programme de désarmement, déjà reporté à plusieurs reprises.
« Le désarmement ? Je n’y crois pas. Les rebelles ne veulent pas désarmer parce que, grâce aux armes, ils ont pris goût à la belle vie. Ils ont des villas, de l’argent et des filles », a lancé José Bru, un homme d’affaires de 58 ans qui vit à Yopougon, un quartier d’Abidjan reconnu comme étant le fief des nombreux partisans de Gbagbo.
« Et comment peut-on aller aux élections quand il y a encore des gens armés ? », a renchéri son voisin, Jean Hie.
Au-delà de la zone de confiance contrôlée par les 10 000 forces onusiennes et françaises de maintien de la paix, les habitants des villes du nord tenues par les rebelles sont aussi pessimistes, même si la plupart des personnes interrogées accusent le président d’être responsable de la détérioration de la situation.
Les rebelles désarmeront-ils le 27 juin ? |
La date du 27 juin a été retenue pour le démarrage du processus de désarmement au cours d’une réunion entre le gouvernement et les responsables de la rébellion, à la mi-mai. Aujourd’hui, les responsables des forces rebelles nient publiquement avoir pris l’engagement de restituer leurs armes à cette date.
Selon eux, d’importantes réformes du code de la nationalité n’ont pas encore été votées à l’Assemblée nationale à Abidjan et les milices pro-gouvernementales doivent être désarmées avant que les forces rebelles ne restituent leurs armes aux forces de maintien de la paix de l’ONU.
Les affrontements intercommunautaires qui ont éclaté en début de mois dans la région instable du Grand ouest, la ceinture du cacao, peuvent aussi être à l’origine de l’aggravation de la situation. Plus de 100 personnes ont été tuées par balle, à la machette et brûlées vives dans un village proche de la ville de Duékoué.
Des milices pro-Gbagbo et des rebelles se sont accusés mutuellement d’être à l’origine de cette série de représailles meurtrières.
Inquiets de ce qui pourrait se passer
Selon certains diplomates et observateurs d’organisations de défense des droits de l’hommes, les deux camps utilisent ces attaques meurtrières comme prétextes pour conserver leurs armes. Mais ces massacres n’ont fait que renforcer le sentiment de peur chez une population qui éprouve déjà bien des difficultés à vivre au quotidien.
« Nous sont tous très inquiets de ce qui peut nous arriver. Ce qui s’est passé à Duékoué peut s’étendre à tout le pays », a indiqué Adama Touré, un ancien employé du port d’Abidjan qui, depuis l’année dernière, passe ses journées à boire du thé avec des amis désœuvrés.
« La classe politique a oublié le peuple. Elle ne sert que ses intérêts personnels. Nous sommes stressés et avons peur que la situation dégénère ; mais où et quand cela se passera-t-il, nous n’en savons rien », a indiqué Touré, 29 ans. "On se lève chaque matin en se demandant ce qui va nous arriver".
Pour certains ivoiriens, même si le processus de désarmement démarrait lundi prochain, comme prévu, il n’est pas sûr que les élections aient lieu.
« Et si l’échéance du 27 juin était respectée, il serait difficile d’organiser les élections le 30 octobre. Aujourd’hui, de nombreux ivoiriens n’ont toujours pas de carte d’identité et le fichier électoral n’est pas à jour », a expliqué Christian Assemian, un fonctionnaire qui vit dans la quartier ouvrier d’Abobo, un fief de l’opposition à Abidjan.
Mais comme l’a indiqué avec insistance la mission des Nations unies en Côte d’Ivoire (ONUCI), les élections sont la seule solution de sortie crise. C’est le même message que Gbagbo a fait passer vendredi dernier dans son discours télévisé à la nation. Toutefois, le président a également déclaré publiquement qu’il se maintiendrait au pouvoir si, pour une raison quelconque, les élections n’avaient pas lieu en octobre.
« L’opposition ne tolèrera pas cela. Si cela arrivait, je pense que la situation deviendrait plus grave. Une reprise des hostilités est possible et les rebelles seront obligés d’agir autrement », a indiqué Touré, l’ex-employé du port au chômage.
Inquiet de voir que le processus de paix en Côte d’Ivoire s’enliser de nouveau, Mbeki a invité les leaders ivoiriens à prendre part à un nouveau sommet en Afrique du sud, appelé déjà Pretoria II.
Las des nombreux sommets
Mais de nombreux ivoiriens sont las de ces sommets et doutent de leur réelle efficacité.
« Il y a trois ans que nous souffrons de cette crise. On est fatigué de tous ces accords. C’est toujours deux pas en avant puis trois en arrière. Rien ne change », s’est plaint Hamed Karamoko, un serrurier vivant à Abidjan.
Comme Hamed, de nombreux ivoiriens ne croient plus aux négociations politiques |
« Moi je ne suis ni pour Gbagbo ni pour les rebelles. Je suis pour la paix et l’emploi. Nous aurions pu être tellement accaparés aujourd’hui par notre travail que nous n’aurions même pas eu le temps de vous accorder une entrevue. Mais voilà ! A cause de la crise, nous sommes là, assis, à attendre de voir ce que la vie nous réserve », a-t-il lancé, dépité, en haussant les épaules. "Si j’avais de l’argent, je quitterais ce pays".
Pour Zoumana Ouattara, enseignant à Bouaké, fief des forces rebelles, le président détient la solution à la crise ivoirienne.
« Mon souhait, c’est que Gbagbo comprenne que notre pays va droit dans le mur et qu’il fasse en sorte que nous nous retrouvions dans un cadre plus convivial », a expliqué Ouattara.
Pour d’autres, la communauté internationale devrait jouer un rôle plus important et plus coercitif.
« Le monde est un village planétaire. Si l’instabilité s’installe en Côte d'Ivoire, elle risque de s’étendre aux autres pays de la région. La communauté internationale devrait même nous imposer la paix », a conclu Assemian, un fonctionnaire d’Abobo.
Pour Mariam, la crise politique n'est pas sa préoccupation immédiate |
Mais les nombreux pauvres qui vivent dans ce pays d’Afrique de l’ouest ne se sentent pas concernés par cette crise politique. Leurs préoccupations sont plus immédiates.
« Cette crise m’exaspère, et je ne suis pas la seule à le penser. Tout le monde autour de moi pense la même chose. Je ne suis pas l’organisation des élections. Je n’y comprends rien. Je ne suis pas instruite et toutes ces histoires me donnent le vertige », s’est plainte Mariam Koné, une commerçante de 30 ans.
« C’est ma vie au quotidien qui m’intéresse. J’essaie tout simplement de gagner ma vie en vendant des ignames et des bananes », a-t-elle ajouté. « Quant à la paix, tout ce qu’on peut faire c’est prier Dieu ».
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