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Des décennies de mauvaise gouvernance et des sanctions laissent un pays exsangue

Assis à même le sol de la place du village, Koffi résume en quelques mots sa vie de paysan au Togo : “Nous menons une existence misérable ici”.

“Nous travaillons si dur la terre pour si peu. Nous avons de grandes difficultés pour trouver de l’argent et envoyer nos enfants à l’école, mais il n’y a pas de travail pour eux. Et lorsque nous sommes malades, l’infirmerie la plus proche est à 4 kilomètres du village”, a expliqué le vieux paysan sur un ton rageur.

Situé un peu en retrait d’un chemin de terre cabossé, Hangoume-Akolisse, le village de Koffi semble bien loin des événements politiques qui se déroulent à plus de 60 kilomètres, dans la capitale Lomé.

Mais comme les 500 autres habitants de son village, Koffi ne quitte plus sa radio depuis l’annonce du décès subit du président Gnassingbe Eyadema, le doyen des chefs d’Etat africain en exercice, le 5 février dernier.

A l’instar des milliers de citadins, les villageois de Hangoume-Akolisse ont vivement critiqué la manière dont l’armée a confié les rênes du pouvoir Faure Gnassingbe.

Tous en appellent à la communauté internationale pour les aider à mettre fin rapidement à cette monarchie républicaine et arrêter le déclin économique et social que le pays a connu sous l’ère Eyadema.

“Nous avons longtemps souffert du régime du père. Avec le fils, maintenant, nous craignons que cela continue", s’est plaint Koffi.

A bien des égards, le village de Hangoume-Akolisse symbolise le drame que vivent les populations du Togo.

Les jeunes gens sont sans emploi et passent leur journée à l’ombre des palmiers. Les champs de manioc qui entourent le village ne donnent pas des récoltes suffisantes pour qu’un paysan puisse nourrir sa famille ou jouir des recettes de la vente du manioc.

L’Etat ne pouvant payer le salaire des enseignants de l’école du village, les habitants déjà démunis doivent en plus trouver de l’argent pour offrir un salaire dérisoire aux maîtres auxiliaires bénévoles.

Et pour les villageois qui ont besoin de se faire soigner, ils doivent d’abord parcourir de très longues distances pour se rendre au dispensaire du village voisin, et se battre après pour payer des médicaments et des traitements.

L’Etat sollicite une aide pour le rapatriement de jeunes enfants

Selon certains diplomates, travailleurs humanitaires, hommes d’affaires et habitants, les 38 années de mauvaise gouvernance du régime d’Eyadema ont ruiné ce petit pays d’Afrique de l’ouest coincé entre le Ghana et le Bénin.

Le gel des subventions de l’Union européenne imposé en 1993 en raison du déficit démocratique du régime et des nombreuses violations des droits de l’homme au Togo, a aggravé la situation de ce pays de cinq millions d’habitants.

“Généralement, le gouvernement fait appel à nous pour solliciter des fonds,” a indiqué Stefanie Conrad, la directrice de l’organisation non-gouvernementale (ONG) Plan Togo, l’ONG la plus importante du pays.

L’’une des principales missions de cette ONG est la lutte contre le trafic des enfants, un problème très sensible dans ce pays où 70 pour cent de la population vivent avec moins d’un dollar par jour.

“Les autorités ont retrouvé et sauvé au Nigeria 30 mineurs togolais victimes de trafiquants d’enfants. Elles nous ont adressé un courrier pour nous demander de financer le rapatriement des enfants au Togo”, explique Conrad à IRIN. “Quand on imagine qu’il s’agit de débloquer 80 000 FCFA (160 dollars) seulement”, fait-elle remarquer avec étonnement.

“Nous avons offert du pain et du beurre à un autre groupe d’enfants parce que les autorités togolaises n’avaient pas les moyens de le faire”, a-t-elle ajouté.

Lorsque l’Etat est réduit à envoyer des courriers pour solliciter de si faibles sommes, il n’est pas surprenant d’apprendre que le financement de secteurs aussi stratégiques que sont la santé et l’éducation pose problème.

Dans le service de maternité du plus grand hôpital de Lomé, les tableaux placardés sur les murs informent les patientes que les frais d’amission sont de 7 550 FCFA (15 dollars).
Et si des complications survenaient en phase de travail, elles devront payer en plus les frais de l’intervention chirurgicale.

“Le kit de césarienne coûte 60 000 FCFA (120 dollars),” indique à IRIN un médecin du service de maternité, sous couvert de l’anonymat. “Sur 10 malades, à peine 5 arrivent à payer les frais d’admission sans difficulté”, précise-t-il.

Des patients obligés de payer le matériel médical pour se faire soigner

Au service des urgences, Jean-Claude sort précipitamment de la salle pour aller chercher du plâtre pour un ami qui vient d’être victime d’un accident de circulation.

“Le médecin me dit qu’il doit lui mettre un plâtre. Il faut donc que j’aille acheter le matériel moi-même,” explique Jean Claude. “Il doit s’occuper de lui et ensuite lui réclamer l’argent des soins, mais pas l’inverse”, ajoute-t-il


Selon certains travailleurs humanitaires, les conditions d’hygiène dans les villes sont très mauvaises. Les habitants jettent leurs ordures ménagères dans les rues démunis d’égouts et créent ainsi un environnement propice au développement de maladies hydriques.

“Nous avons connu des épidémies de choléra au cours des trois dernières années,” a confié Claudine Mensah, représentante de l’agence humanitaire CARE au Togo.

De nombreux togolais n’ont même pas les moyens de s’acheter les médicaments nécessaires pour soigner une simple diarrhée qui, mal traitée, peut s’avérer mortelle.

Gbessiho est plombier, mais au chômage actuellement. Lorsque ses deux enfants sont tombés malades en début de mois, il a dû acheter des médicaments au noir pour les soigner. La famille survit grâce aux maigres recettes du petit commerce de sa femme, même si elles ne dépassent guère 700 FCFA (1,40 dollars).

“Comme nous n’avions pas les moyens d’acheter les médicaments à la pharmacie, nous nous sommes adressés aux marchands ambulants et cela nous a coûté 25 FCFA (5 cents) au lieu de 2 500 FCFA (5 dollars)”, a indiqué Gbessiho qui, à 38 ans, n’a pas connu d’autres présidents qu’Eyadema.

Simple soldat dans l’armée coloniale française, Eyadema a rapidement gravi les échelons après l’indépendance du Togo en 1960. Cet ancien champion de lutte et passionné de chasse apparaissait rarement en public sans ses lunettes de soleil.

Eyadema a accédé au pouvoir en 1967 alors que Lyndon Johnson était encore président des Etats-Unis, Harold Wilson, Premier ministre de la Grande-Bretagne et Charles de Gaulle, président de la France. Agé de 69 ans, il était jusqu’au 5 février, date de sa mort, le doyen des chefs d’Etat en exercice, après le président cubain Fidel Castro.

Le Togo possède des terres agricoles fertiles et tire généralement l’essentiel de ses devises étrangères de l’exploitation minière et de l’exportation du phosphate. Le port autonome de Lomé est aussi un vaste et important entrepôt pour de nombreux pays ouest africains enclavés.

Mais selon certains économistes, le niveau de vie des togolais est actuellement inférieur de 12 pour cent a ce qu’il était lorsque Eyadema accédait au pouvoir, il y a quarante ans.

A Lomé aujourd’hui, la plupart des habitants se déplacent en «zémidjan» (taxis motos) plutôt qu’en voiture car les frais d’entretien sont moins élevés et le coût de la course cinq fois inférieurs.

Le front de mer de Lomé qui, en d’autres circonstances, aurait pu être aménagé pour attirer des touristes, est actuellement le lieu où les riverains viennent faire leur lessive et où militaires et agents de polices flânent à l’heure de la pause-déjeuner.

La descente aux enfers

Les togolais qui retrouvent leur pays après un séjour à l’étranger sont généralement très choqués de voir l’état de délabrement du Togo.

“Le pays a trop régressé,” s’est plaint Georges. Parti en France en 1971, après avoir vécu les quatre premières années de pouvoir d’Eyadema, il est rentré au Togo en 2001.

“On voit maintenant beaucoup plus de mendiants dans les rues quémander juste une pièce de 10 FCFA (2 cents) pour manger”, a-t-il confié à IRIN devant la boulangerie qu’il possède dans le centre-ville de Lomé. “On est dans une situation critique. Et si on ne fait rien, ça continuera ainsi pendant 40 ans encore.”

La plupart des togolais, qui accusent l’élite dirigeante d’être responsable du déclin du pays, en veulent aussi à la France, l’ancienne puissance coloniale, de n’avoir rien fait pour arrêter la souffrance des populations.

Tout au long de ses quarante années de pouvoir, Eyadema est resté un allié inconditionnel de la France dont les présidents successifs ont toujours protégé son régime des récriminations de la communauté internationale et assuré la stabilité de son pouvoir. Des troupes françaises sont encore basées à Lomé et la marine et l’armée de l’air françaises utilisent régulièrement la ville portuaire de Lomé comme poste avancé pour des opérations militaires en Afrique.

Dans le quartier de Bé, le fief de l’opposition, des jeunes en colère et parfois agressifs manifestent ouvertement leur sentiment anti-français.


“M. Chirac, vous avez des français au Togo. Méfiez-vous !” pouvait-on lire sur des banderoles la semaine dernière, lors du rassemblement de près de 10 000 partisans de l’opposition, la plus grande manifestation jamais organisée contre la prise de pouvoir de Gnassingbe.

En pleine guerre froide, alors que se constituaient des blocs d’influence, la plupart des puissances occidentales et la France en particulier n’ont pas réagi à certaines exactions commises par Eyadema. Et lors de son décès, le président Chirac a publiquement déploré la mort d’un chef d’Etat qu’il considérait comme son “ami”.

Aujourd’hui, la communauté internationale, y compris la France condamnent vivement le transfert du pouvoir au fils du défunt et exhorte les nouvelles autorités togolaises à respecter la constitution en assurant une transition démocratique du pouvoir. La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), l’Union africaine (UA), les Etats-Unis, l’Afrique du Sud et de nombreux autres pays influents ont appelé le nouvel homme fort du Togo à rétablir l’ordre constitutionnel et à quitter le pouvoir immédiatement.

La CEDEAO vient d’imposer des sanctions diplomatiques au Togo en suspendant son adhésion à l’organisation. Par ailleurs, elle a interdit les voyages des dirigeants togolais dans la région et demandé aux Etats membres de l’organisation de rappeler leur ambassadeur en poste à Lomé.

L’UA a convoqué jeudi une réunion pour étudier les sanctions politiques à prendre contre le régime de Gnassingbe.

La prochaine étape ?

Les pays africains pourraient décider d’imposer des sanctions économiques contre le Togo, bien que de nombreux diplomates les jugent improbables du fait qu’elles ne feraient qu’accroître la précarité des populations togolaises et affecteraient les pays voisins.

La guerre civile en Côte d’ivoire a ralenti le trafic dans le port d’Abidjan, le plus important port d’Afrique de l’ouest, et permis à Lomé de récupérer une bonne partie du commerce de transit des pays enclavés que sont le Mali, le Burkina Faso et le Niger.

Par ailleurs, l’interruption du commerce le long du corridor reliant Lagos, au Nigeria, à Abidjan, en Côte d'Ivoire, menacerait les intérêts économiques des cinq états côtiers se trouvant sur cet axe routier stratégique.

Mais l’Union européenne a adressé une sévère mise en garde aux autorités togolaises contre les conséquences économiques qui pourraient découler de leur entêtement à ne pas respecter les dispositions de la constitution.


Selon certains diplomates, avant le décès du président Eyadema, le Togo s’était engagé à organiser des élections législatives pour répondre aux conditions fixées par l’UE pour la reprise de son aide financière. Ces élections devaient être organisées au cours des six premiers mois de 2005.

L’UE vient de geler à nouveau l’aide financière destinée au Togo. Bien que Gnassingbe ait accepté d’organiser des élections présidentielles en avril, contrairement à l’amendement de la constitution qui n’en prévoyait pas avant 2008, sa décision de se maintenir au pouvoir jusqu’à la tenue du scrutin a provoqué des vives réactions chez les bailleurs.

"La décision de Faure Gnassingbe isole le Togo sur la scène internationale," a indiqué Louis Michel, le commissaire européen en charge du développement et de l’aide humanitaire.

Les nouveaux événements politiques au Togo soulèvent aussi des questions quant à la poursuite de l’aide financière du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et de la Banque mondiale. Ces deux organismes avaient émis en décembre dernier un protocole de re-échelonnement de la dette du Togo, étape préalable à l’étude de l’allégement de la dette du pays et au démarrage d’importants projets de développement.

“Dans le pire des cas, les événements politiques actuels vont compromettre le re-échelonnement de la dette. Dans le meilleur des cas, ils ne feront que le retarder,” a expliqué à IRIN Fidele Sarassoro, le représentant résident des Nations unies.

Chez CARE, la directrice Claudine Mensah est très pessimiste quant à la capacité du Togo à sortir rapidement du gouffre économique et social dans lequel il se trouve.

“Je ne pense pas qu’il y aura une crise humanitaire qui nécessitera une mobilisation de la communauté internationale”, a-t-elle expliqué. “Mais les choses vont se dégrader progressivement”.


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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