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Dans la rue, des enfants en grand danger face au sida

[Senegal] Talibe beggar children on the streets of Dakar, Senegal. [Date picture taken: 06/01/2006] Pierre Holtz/IRIN
Un talibé dans les rues de Dakar (photo d’archives)
Dans les rues animées de Dakar, la poussiéreuse capitale du Sénégal, des milliers d'enfants en haillons errent en petits groupes, des mineurs à la sexualité précoce, cibles fragiles du VIH/SIDA. Environ 6 000 enfants seraient livrés à eux-mêmes à Dakar, des mineurs qui ne bénéficient d’aucun suivi, d’aucune attention ni information sur les risques qu’ils courent à multiplier les comportements à risque, comme l'explique Adjiratou Sow Diallo Diouf, auteur d'une étude sur les enfants de la rue et le VIH/SIDA parue en juin 2005. “La sexualité des enfants de la rue est précoce”, explique-t-elle. “On voit des enfants de huit ans qui ont déjà plusieurs partenaires masculins et féminins, en général trois ou quatre, plus âgés qu'eux.” Les 30 enfants âgés entre huit et 17 ans qui ont été interrogés dans le cadre de cette étude ont fait état d’une sexualité précoce, pas toujours consentante, à la fois homosexuelle et hétérosexuelle. Les rapports sexuels sont rarement protégés et placent ces mineurs dans une situation de grande vulnérabilité par rapport aux infections sexuellement transmissibles (IST), dont le sida. Le multipartenariat est une des caractéristiques de la sexualité des enfants de la rue : près de 70 pour cent d’entre eux disent avoir des relations sexuelles avec plusieurs partenaires, souvent d’autres enfants, selon l’étude. Un tiers des enfants a reconnu que ces rapports n’étaient pas toujours consentants. “Il y a parfois des rapports forcés, des viols des plus âgés vers les plus petits”, affirme Mme Diouf. Occasionnellement, les enfants se prostituent avec de jeunes femmes, qui lavent le linge dans le quartier populaire de la Médina, à Dakar. “Certaines dames leur donnent travail, mais leur demandent en contrepartie de coucher avec elles”, constate Mme Diouf.
Alcool à inhaler, cigarettes ou herbe à fumer, les enfants usent de tous les stratagèmes pour oublier les violences
Socialement exclus, les enfants des rues, les ‘Fakhmans’ comme ils se nomment eux-mêmes - un mot issu du verbe ‘fakh’, qui signifie ‘s’enfuir’ en wolof, la langue la plus parlée à Dakar --, sont extrêmement vulnérables et exposés aux maladies. On les retrouve dans les recoins les plus sombres du grand marché Sandaga, au coeur de la capitale. Ils y déambulent avec la maladresse des ivrognes, mettant sans cesse sous leur nez leur t-shirt imbibé de ‘guinze’, un diluant industriel qu’ils respirent pour échapper quelques instants au poids de leur quotidien. Le sexe dès huit ans, de la drogue pour tenir Selon Mme Diouf, les ‘Fakhmans’ se droguent systématiquement : c'est une règle pour intégrer le groupe. Pour quelques centaines de francs CFA, mendiés ou chapardés, ils peuvent ainsi s’acheter leur dose quotidienne de drogue et oublier la violence - et les risques -- de leur existence. Plus de la moitié des ‘Fackhmans’ ont leur première expérience sexuelle avant l'âge de 14 ans, souvent autour de huit ans, et rares sont ceux qui appréhendent leur vulnérabilité par rapport aux IST et au VIH/SIDA. Le système sénégalais de santé public est de toute façon incapable de les prendre en charge : ils sont exclus des services de soins et de traitements, faute de tuteurs, et la plupart des programmes actuels d'information et de prévention ne les prennent pas en compte comme groupes vulnérables prioritaires, souligne l’étude, qui décrit leur trajectoire en dents de scie. La plupart des enfants seraient ainsi issus de couples divorcés ; ils auraient quitté volontairement le domicile familial à la suite de violences ou se seraient enfuis d'écoles coraniques où ils étaient maltraités.
Les enfants errent dans les rues à la recherche de quelques jetons, promesses d’un peu de nourriture et de drogue
Le rapport souligne que 60 pour cent des ‘Fackhmans’ ne sont jamais allés à l'école ; ils ignorent par conséquent tout des questions liées à la santé de la reproduction, en particulier ce qui touche aux IST et au VIH. Selon Mme Diouf, si la quasi-totalité des enfants interrogés ont affirmé savoir de quoi il s’agissait, la moitié d'entre eux ne connaissait pas les modes de transmission du VIH et 40 pour cent ignoraient comment se protéger contre l’infection. Alors que les deux tiers des enfants ont reconnu avoir des relations sexuelles, moins de 10 pour cent d’entre eux utilisaient un préservatif. Quant aux autres, “ils ne savaient pas comment les utiliser”, déplore Mme Diouf. “Les Fakhmans ont des pratiques à risque et n'utilisent pas de préservatifs, sauf lorsqu'ils vont voir des prostituées qui leur en fournissent”, explique ainsi Isabelle de Guillebon, qui dirige le Samu Social Sénégal, la seule ONG offrant aux enfants de la rue un suivi socio-médical. Vêtus de haillons aux couleurs passées, délavées par la crasse, ils attendent, tapis dans la nuit, en petits groupes d’une douzaine d’enfants, le passage de la camionnette du Samu social qui, deux fois par semaine, leur apporte un peu de nourriture et des soins pour panser les blessures de la rue. Parler aux enfants à défaut de pouvoir les soigner Entre ces mineurs réputés violents et les équipes du Samu social se sont créés de solides liens de confiance et d'amitié : l'année dernière, alors que des voyous tentaient d'agresser des membres de l’ONG au cours d'une ronde, le groupe d'enfants présents s'est spontanément porté à leur secours, s'interposant en bloc.
Les équipes du Samu social ont su amadouer des enfants réputés violents
Grâce à ce rapport de confiance qui a pu s’établir avec les équipes médicales, les enfants parlent désormais sans tabou de leur sexualité. Même si, reconnaît Isabelle de Guillebon, “les enfants traumatisés en parlent comme s'il ne s'agissait pas d'eux”. “Ils ne sont pas totalement conscients du problème ; ils sont tout le temps shootés, dans un état second. Ce n'est pas dans ces moments-là qu'on pense aux dangers”, précise-t-elle, en faisant référence au diluant industriel que les enfants inhalent. Dans le cadre de son étude, Mme Diouf a organisé des ateliers dans les locaux du Samu social, pour renforcer les connaissances des enfants sur les IST et le VIH. Informer pour prévenir les infections, parler pour éviter les violences et les pratiques dangereuses sont les seules armes que ces femmes utilisent pour protéger les enfants : selon la législation sénégalaise, comme dans de nombreux pays, ils ne peuvent être dépistés au VIH qu'avec l'accord de leurs parents. Or par définition, les enfants de la rue n'ont ni parents ni responsables légaux pour les accompagner dans les centres de santé, une situation que Mme Diouf juge scandaleuse. “Il n'y a pas de programme qui cible les enfants et les enfants des rues ne disposent pas de prise en charge médicale” adéquate, déplore-t-elle. En cas d’infection au VIH, “si on ne peut pas faire le dépistage, on interviendra trop tard. Et si les enfants ne souffrent pas du VIH, ils peuvent être infectés par diverses IST”.
Les enfants souffrent de multiples troubles, psychologiques comme physiques
Sans savoir de quoi ils souffrent, il est aujourd’hui difficile de prendre en charge ces enfants, constate Mme Diouf, rejointe sur ce point par Isabelle de Guillebon : “Il y a un combat à mener sur le dépistage des mineurs, il faut changer la législation”, reconnaît-elle, tout en admettant la difficulté qu’il y aurait à mettre sous traitement à vie des enfants très mobiles, en mauvaise santé et psychologiquement fragiles. En attendant, grâce aux films, aux photos, aux discussions et aux démonstrations pratiques, les enfants, qui étaient un peu sur la réserve au début des ateliers, ont commencé à comprendre. Ils se sont surtout, et progressivement, ouverts aux autres. “Les ateliers ont été une très bonne chose : ils ont pu exprimer des choses et les expliquer à des adultes”, raconte Mme de Guillebon, qui note que les questions liées à la sexualité les intéressent. “Au début, ils ne parlaient pas… Mais après nous sommes devenus amis et ils étaient à l'aise et se défoulaient. Ils m'ont raconté des choses qu'ils ne disaient pas avant”, poursuit-elle. “Un enfant m’a par exemple confirmé les pratiques homosexuelles dans le groupe, alors que jusque-là c'était un sujet tabou pour les enfants.” Pour Isabelle de Guillebon, cette confiance s'explique par le fait que le Samu social représente l'unique lien qu'ont ces enfants avec le monde adulte, parce que le personnel médical qui tourne la nuit est le seul à se préoccuper de leur sort : “malgré la brutalité de leur environnement, ils demeurent des enfants.”

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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