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A la frontière, des jeunes filles en danger

Dès la sortie de l’école et en dépit de l’épidémie de VIH/SIDA qui ravage la région, les jeunes filles affluent vers le poste frontière qui sépare le Bénin du Togo, proposant des bonbons, du pain et parfois plus au millier de voyageurs qui, chaque jour, traversent la zone de transit ou y font halte. Selon le dernier rapport de l'ONUSIDA paru en novembre 2004, près de 60 pour cent des personnes vivant avec le VIH et le sida en Afrique sub-saharienne sont des femmes. Parmi les plus jeunes, la situation est encore plus grave : 76 pour cent des 15-24 ans vivant avec le virus dans cette région du monde sont de sexe féminin. «Regardez ces jeunes filles et dites-moi si vous ne les trouvez pas attirantes… toutes aussi sexy les unes que les autres,» fanfaronne Alassane Washidou, un apprenti chauffeur originaire du Togo, dont le camion est stationné devant le hangar du poste de douane. Durant le week-end, c’est une foule cosmopolite qui se presse dans ce quartier d’Aneho, la première ville togolaise après la frontière. Mais les lycéens, filles et garçons, sont les plus nombreux à venir tenter leur chance, sollicitant les routiers qui attendent patiemment l’autorisation de poursuivre leur chemin. Certains sont là depuis des heures tandis que d’autres y passeront des jours, bloqués par un douanier récalcitrant ou des papiers manquants. Les fouilles de camions sont longues et les files de semi-remorques venus du Ghana ou du Nigeria s’étirent sur plusieurs centaines de mètres. “Nous allons à Cotonou,” la capitale du Bénin voisin, explique Abdallah, un apprenti de 19 ans qui accompagne son patron sur les routes depuis quatre ans. La Côte d’Ivoire, le Bénin, le Togo, le Burkina Faso et le Tchad n’ont plus de secret pour lui, dit-il. Ce sont près de 14 millions de voyageurs, sur une population de moins de 200 millions d’habitants, qui circulent chaque année entre Abidjan, la capitale économique de la Côte d’Ivoire, et Lagos, le grand centre urbain du Nigeria. L’axe routier, long de 825 kilomètres, traverse cinq pays et les principaux centres économiques de la région. “Nous faisons halte dans les grandes villes pour vendre nos marchandises, parfois on s’arrête,” poursuit Abdallah l’apprenti. Pour tuer l’ennui, il tente de séduire les filles qui rôdent autour des camions. A Aného, point de maisons closes : la prostitution y est exercée clandestinement par les jeunes filles de la localité, les élèves, les apprenties en formation, les femmes seules, les marchandes de caramels ou de beignets qui viennent chercher dans ces relations épisodiques et dangereuses de quoi faire subsister la famille. "Quelques pièces, un coca cola, quelques fois un billet, les filles se contentent bien souvent de ce qu'on leur donne," explique une habitante de Sanvee Kondji. Ces femmes et ces jeunes filles, bien souvent mineures, franchissent régulièrement la frontière et s’intéressent surtout aux forces de sécurité, agents de police ou de douane, aux voyageurs en transit et aux chauffeurs routiers. “Je suis un homme et quand une fille me plaît, je lui parle,” dit Abdallah. S’il affirme connaître les risques de transmission du VIH en cas de rapport sexuel non protégé, il admet néanmoins que l’usage des préservatifs est loin d’être régulier. “Des fois, quand je ne trouve pas de préservatif, je fais l’amour sans me protéger,” explique t-il, ajoutant très vite : “Mais je sais reconnaître une fille sérieuse.” Dans son hamac accroché sous le camion qu’il a la lourde charge de surveiller, Abdallah n’est pas le seul à prendre des risques. Comme lui, Allassane peut tomber à court de préservatifs. «Des fois, on discute et quand vient l’envie de faire l’amour, on n’a pas le temps d’aller chercher des préservatifs,» dit-il. Pour tenter de limiter les risques sanitaires que ce corridor routier fait courir aux populations riveraines ainsi qu’aux professionnels de la route, un projet régional, doté de 16 millions de dollars, a été mis en place fin 2003 pour une période de quatre ans par l’ONUSIDA et la Banque mondiale, son partenaire financier. Pourtant, à Sanvee Kondji, aucune structure sanitaire n’accueille les patients et ceux qui souhaiteraient connaître leur statut sérologique. Pour cela, il faut traverser la frontière jusqu’à Hillacondji, au Bénin, où un centre de dépistage, soutenu par l’ONG américaine Population Services International (PSI), offre gratuitement soins, tests et conseils. Mais selon l’infirmière qui rôde dans des locaux vides, rares sont ceux qui viennent pour le dépistage. « Ils viennent voir la télévision, les spots de prévention, mais ils ne reviennent jamais pour le dépistage malgré leurs promesses, » explique Nelly. A Sanvee Kondji, les responsables du projet corridor semblent tout aussi démunis. «Nous leur distribuons des préservatifs assez régulièrement pour éviter qu’ils en soient dépourvus et qu’ils aient des comportements qui peuvent leur être dommageables,» a dit à IRIN Ebénezer Agodome. Selon Agodome, si les jeunes filles et les hommes de la localité disent être informés des modes de transmission et des conséquences que peut avoir le virus sur leur santé, peu respectent les règles élémentaires de protection. “C’est une question d’argent, la loi des billets de banque,” raconte un transitaire dans un sourire. “La plupart des filles ne veut que de l’argent et si je décide que c’est sans capote, ce sera sans capote.” Lors d’une séance de démonstration du port du préservatif samedi à Sanvee Kondji, des hommes ont ouvert les emballages de préservatif avec les dents ou avec des objets tranchants, tandis que d’autres ont oublié de regarder la date de péremption, a dit Agodome. «Nous savons qu’il y a encore énormément de travail à faire et nous faisons régulièrement de la sensibilisation ici,» a t-il dit. Selon une étude préliminaire effectuée en 2002 à l’initiative du projet corridor, la situation sanitaire à Sanvee Kondji est explosive. «L’utilisation des préservatifs n’est pas répandue, les IST sont légion, les malades préférant se soigner eux-mêmes plutôt que se faire traiter dans des structures sanitaires, » dit le rapport qui conclue : « la situation qui prévaut ici requiert que quelque chose soit fait rapidement». Les plus récentes données, issues des dépistages effectués à l’hôpital central d’Aného en 1998, révélaient un taux de prévalence bien supérieur à la moyenne nationale, avec 24,16 pour cent de personnes vivant avec le VIH et le sida contre six pour cent dans l’ensemble du pays. Pour Marguerite Yawo Gouna, qui travaille pour l'ONG togolaise Espoir Vie Togo, "ce sont les hommes qui rendent les femmes vulnerables." "Les routiers ont au moins une femme dans chaque ville qu'ils traversent. Quand ils rentrent chez eux, ils mettent en danger la vie de leur femme et de leurs enfants," dit-elle, ajoutant que "la femme n'a aucun pouvoir economique et ca la fragilise enormement vis-a-vis des hommes." A l’instar de la Côte d’Ivoire voisine, le pays de la région le plus affecté par la pandémie, le Togo supporte les conséquences des mouvements de populations venant des pays pauvres et enclavés du nord, de l’accès difficile aux messages de prévention et d’une paupérisation croissante de la société qui pousse les jeunes à trouver eux-mêmes les moyens de leur subsistance. “Pour aider ma famille et avoir un peu d’argent, je passe mes week-end à vendre du pain sur la frontière,” raconte une jeune fille, lycéenne la semaine à Aného. Sa mère, Da Essi, vendeuse au poste frontière, lui lance un regard sévère : “J’ai informé mes filles sur les risques qu’elles courent. Elles doivent avoir une vie saine car elles sont ma seule richesse.”

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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