1. Accueil
  2. Africa

Le rêve américain, un frein au retour des réfugiés libériens

Bien que la guerre civile libérienne se soit achevée il y a plus de deux ans, des milliers de personnes ayant trouvé refuge dans des camps situés en Guinée voisine n’ont aucune intention de rentrer chez eux, ni aujourd’hui, ni demain.

« J’ai laissé quitté le Liberia. Je n’y retournerai jamais », déclare Betty Farngalo, une jeune femme de 21 ans, qui se tient à l’extérieur de sa maison de banco, dans le camp de réfugiés de Laine. Accueillant actuellement plus de 18 000 réfugiés libériens, ce camp qui a ouvert en 2002, est situé à 75 km à l’est de la ville de Nzérékoré, dans le sud de la Guinée, à un jour de marche de la Côte d’Ivoire ou du Liberia.

Betty n’avait que sept ans lorsqu’elle s’est enfui du Liberia, sa petite sœur de trois ans sur le dos. Elle n’a connu que la vie de camp. Aujourd’hui mère d’un enfant de trois ans, Adolpho, elle n’a aucune intention de retourner dans un village où des combattants rebelles ont exécuté ses voisins sous ses yeux, avant de mettre le feu à leurs maisons.

Mais les bailleurs de fonds, les Etats-Unis en tête, ont l’intention de suspendre les subventions de plusieurs millions de dollars qu’ils accordent au programme d’aide aux réfugiés. Ainsi, le 31 décembre 2006, l’aide alimentaire cessera.

Malgré cela, Betty ne rentrera pas chez elle. « Je me débrouillerai, comme je l’ai fait en Côte d’Ivoire », annonce t-elle. « Le même Dieu qui m’avait protégé alors me protègera dans le futur ».

La plupart des résidents du camp de réfugiés de Laine ont fui le Libéria et trouvé refuge de l’autre coté de la frontière en 1990, lorsque Charles Taylor, un seigneur de guerre qui est plus tard devenu président, a déclenché une insurrection afin de prendre le pouvoir. Nombre de réfugiés ont fui vers l’Est et se sont retrouvés en Côte d’Ivoire. Mais ils furent contraints de fuir à nouveau lorsque la guerre civile éclata dans le pays et d’aller refaire leur vie ailleurs.

Récemment, le Haut commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR) a annoncé qu’il était temps que les réfugiés plient bagages et rentrent chez eux. L’agence a lancé un ambitieux programme visant à rapatrier 35 000 réfugiés libériens vivant dans cinq camps dispersés à travers la Guinée, avant la fin de l’année et avant que les moyens financiers ne viennent à manquer.

[Guinea] A Liberian woman queues up to collect her food ration at Laine refugee camp.
[Date picture taken: 27/02/2006]
Une réfugiée libérienne faisant la queue et tenant sa carte de réfugié pour percevoir sa pension alimentaire

Les autorités du camp de Laine ont alors demandé aux réfugiés de rassembler leurs effets personnels et de quitter ce camp, un ensemble épars de maisons en banco bien aménagées situées au bout d’un chemin de terre et où les réfugiés ont bien plus d’avantages que les Guinéens vivant dans les villages alentours : accès à l’école, à l’hôpital et à l’eau potable.

De l’autre coté de la frontière, au Liberia, les travaux de reconstruction viennent à peine de commencer, après plus de 14 ans de guerre civile.

Selon les représentants du HCR, au mois de janvier, 2 000 réfugiés ont été rapatriés au Liberia en l’espace de deux semaines. Mais le rythme de ces départs s’est rapidement ralenti, particulièrement dans le camp principal de Laine. Selon les autorités du camp, Washington en est le principal responsable.

« L’annonce de l’arrivée d’une mission américaine visant à reloger les réfugiés aux Etats-Unis a influé sur la décision des réfugiés de retourner au Liberia - dans un camp comme celui de Laine, les réfugiés sont très intéressés par ce programme de relogement », explique Salif Kagni, responsable du bureau du HCR à Nzérékoré.

A Conakry, la capitale guinéenne, Louise Bedichek, porte-parole de l’ambassade des Etats-Unis, a confirmé que les Etats-Unis avaient récemment mis en place une mission chargée du relogement des réfugiés en Guinée mais, a-t-elle ajouté, aucune autre mission n’est prévue.

« Les Etats-Unis se sont engagés à soutenir les efforts du HCR pour rapatrier volontairement les réfugiés libériens dans de bonne conditions de sécurité et de dignité humaine. Les Etats-Unis respectent le principe de la réunification des familles de réfugiés. Cependant, compte tenu de l’amélioration de la situation au Liberia, les programmes américains de relogement des Libériens de la région ne sont plus d’actualité », a déclaré Mme Bedichek.

Les Etats-Unis, un pays bien plus sûr pour les réfugiés

A l’entrée du camp de Laine, Ouo-Ouo Zingui Delamou, l’administrateur, met à jour les dernières statistiques du camp sur un grand tableau dans son bureau.

Et sur ce tableau on peut lire que le 21 février, 59 Libériens sont rentrés chez eux en camion, mais que la même semaine, 10 autres ont quitté le continent pour l’Australie ou plus probablement les Etats-Unis.

Selon les statistiques de M. Delamou, plus de 1 700 réfugiés du camp de Laine se sont rendus aux Etats-Unis ou en Australie depuis 2004. Ceux qui se sont installés aux Etats-Unis ont le droit de faire venir leur famille, conformément au programme américain de réunification des familles.

Dans le camp, à l’ombre des terrasses des maisons, là où les familles se réunissent pour se protéger des rayons du soleil de midi, comme elles le font depuis des année, des jeunes filles se tressent et les femmes préparant le repas. Ici, tout le monde sait que des bus spéciaux partent pour les Etats-Unis.

[Guinea] Sidiki Turay, 39, with his mother in the background, are Liberian refugees living at Laine camp near Nzerekore who don't want to go home as it is "not safe" in Liberia. [Date picture taken: 02/27/2006]
Sidiki Turay, avec sa mère en arrière-plan, a entendu parler des bus qui partent pour les Etats-Unis

« Ils y vont. Ils nous ont dit que ça avait cessé, mais ils continuent d’y aller », déclare Sidiki Turay, 39 ans, un ancien maître d’école qui serait heureux d’immigrer aux Etats-Unis. Comme lui, beaucoup de réfugiés refusent de rentrer tout simplement parce qu’ils estiment « ne pas être en sécurité » au Liberia.

« Je ne suis pas en sécurité au Liberia, et je ne suis pas en sécurité en Guinée non plus - nous sommes près de la frontière et pourrions facilement être attaqués ici. Mon seul espoir est que ma famille et moi puissions être transférés ailleurs, là ou nous serions en sécurité », explique t-il.

Les agences de l’ONU tentent de dissiper ces craintes en rappelant que le programme de désarmement initié par l’ONU a permis de démobiliser plus de 100 000 ex-combattants et que 15 000 troupes onusiennes continuent d’assurer la sécurité à travers le pays.

Mais plus loin, à Kissidougou, à 250 km à l’est de Nzérékoré, des représentants de l’ONU ont affirmé qu’ils savaient, par expérience, à quel point la promesse d’une vie aux Etats-Unis pouvait influer sur la décision des réfugiés.

« Nous avons fermé un camp de réfugiés sierra léonais il y a un an, mais plus de 1 300 y sont restés », explique Philippe Creppy, du HCR. Selon lui, les réfugiés ont résolument choisi de vivre dans ce qui reste du camp de Boreah sans le soutien habituel des organisations humanitaires. « Ils rêvent toujours au relogement ».

De l’autre coté de la frontière guinéenne, en Côte d’Ivoire, quelques 6 000 réfugiés guinéens refusent de quitter le camp de Peace Town, situé dans la région ouest très instable, contrôlée par les forces gouvernementales. Malgré le conflit qui secoue actuellement le pays, ils sont convaincus qu’ils doivent être pris en charge par un programme de relogement aux Etats-Unis de plusieurs milliers de Libériens qui, officiellement, a pris fin depuis bien longtemps.

Pendant ce temps, en Guinée, les rations alimentaires ont été réduites cette année, les réfugiés ne recevant plus que 1 600 calories par jour contre les 2 100 recommandés quotidiennement, pour qu’ils se fassent à l’idée que l’aide alimentaire s’arrêtera bientôt, explique David Baduel, le représentant du Programme alimentaire mondial à Nzérékoré.

Selon certains diplomates de pays donateurs, les programmes d’assistance humanitaire aux Libériens auraient dû s’arrêter depuis bien longtemps, même si des hommes d’affaires étrangers soulignent que les camps fournissent du travail à des centaines de Libériens et de Guinéens.

L’insécurité, une réelle préoccupation pour les réfugiés

Pour la plupart, les Libériens refusant de rentrer au pays, appartiennent à l’ethnie Mandingue. Ils vivaient dans le comté de Nimba, d’où est partie le mouvement d’insurrection déclenché en 1990 par Charles Taylor.

A cette période, les Gios et les Manos de Nimba avaient des griefs contre le gouvernement de l’époque qu’ils accusaient de favoriser les Mandingues. Les Gios et les Manos furent les premiers à se joindre au mouvement insurrectionnel de Taylor, obligeant les Mandingues à fuir précipitamment le pays.

« Les personnes qui avaient menacé de tuer les membres de nos familles et nous-mêmes sont toujours là », explique Nyan Minon, un Mandingue de 35 ans qui a quitté le comté de Nimba en 1990 et n’y jamais plus retourné.

Minon, qui arbore un t-shirt sur lequel on peut lire « It takes Courage to be a refugee – Il faut du courage pour être réfugié- » passe ses journées à écouter la radio libérienne en compagnie d’amis qui, comme lui, suivent assidûment l’actualité.

« Vous n’avez qu’à voir ceux qui sont au pouvoir. Nous ne pouvons pas être sûrs que les choses ont changé - Prince Johnson, le Général Peanut Butter, l’ex-femme de Taylor - ils sont tous là ! », déclare Minon, en colère.

C’est Ellen Johnson-Sirleaf qui a remporté les élections libériennes organisées fin 2005 sous l’égide de l’ONU, une victoire largement considérée comme une étape décisive pour le retour à la paix et à la stabilité dans un pays ruiné par des années de combats qui ont fait plus de 100 000 morts et des millions de déplacés.

Mais plusieurs personnages bien inquiétants siègent désormais au parlement. C’est le cas de Prince Johnson, élu Sénateur du Comté de Nimba. Il avait coupé les oreilles du président Samuel Doe avant de le faire exécuter, et ces scènes d’horreur avaient été filmées et distribuées dans tout Monrovia.

[Guinea] Refugees shelter from the sun outside one of the mud-brick homes at laine refugee camp, for Liberian refugees in Guinea. [Date picture taken: 27/02/2006]
Nyan Minon, à droite, avec ses amis - suivent assidûment les informations

Elu lui aussi sénateur du Comté de Nimba, le général Peanut Butter a été l’ancien bras droit de Prince Johnson avant d’être nommé commandant au sein de l’armée de l’ancien président Taylor, en 2003. Et dans le comté voisin de Bong, c’est l’ex-femme de Taylor qui a obtenu un siège de sénateur.

Et dans les villes et villages de Nimba, les maisons qui appartenaient autrefois aux Mandingues sont aujourd’hui habitées par leurs voisins Gios et des Manos qui les avaient chassés.

« Notre maison a été détruite ou occupée. Les membres de notre famille ont été tués », explique Minon. « Ils me disent de rentrer chez moi, mais où dois-je aller et chez qui dois-je aller » ?


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

Partager cet article

Get the day’s top headlines in your inbox every morning

Starting at just $5 a month, you can become a member of The New Humanitarian and receive our premium newsletter, DAWNS Digest.

DAWNS Digest has been the trusted essential morning read for global aid and foreign policy professionals for more than 10 years.

Government, media, global governance organisations, NGOs, academics, and more subscribe to DAWNS to receive the day’s top global headlines of news and analysis in their inboxes every weekday morning.

It’s the perfect way to start your day.

Become a member of The New Humanitarian today and you’ll automatically be subscribed to DAWNS Digest – free of charge.

Become a member of The New Humanitarian

Support our journalism and become more involved in our community. Help us deliver informative, accessible, independent journalism that you can trust and provides accountability to the millions of people affected by crises worldwide.

Join