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Nostalgie et gratitude - l’expérience du réfugié

Il fait nuit noire; le soleil ne s’est pas encore levé, mais Achta Abakar Ibrahim est accroupie devant sa hutte en paille, dans le camp de réfugiés de Djabal, dans le sud-est du Tchad. Elle prie.

Elle prie pour remercier Dieu de lui avoir permis d’échapper à la guerre au Soudan et de se réfugier au Tchad, où sa famille et elle-même sont aujourd’hui en sécurité. Elle remercie Dieu de l’hospitalité franche du peuple tchadien et de l’aide des travailleurs humanitaires, qui lui ont permis de reconstruire sa vie ici, temporairement.

Mme Abakar porte encore sur le dos les marques des coups que lui ont infligés des individus armés alors qu’elle était enceinte ; ces hommes, qu’elle appelle les « Janjawids », avaient pris d’assaut son village, dans l’ouest du Soudan, incendiant les habitations, massacrant les hommes et violant les femmes.

« Jusqu’à maintenant, je ne suis pas en paix », a-t-elle confié à IRIN en janvier, dans la petite cour de sable qui entourait sa case de paille. « Je pense que ce qui s’est passé arrivera de nouveau, même au niveau des camps [de réfugiés] ».

Selon la Hebrew Immigrant Aid Society (HIAS), qui apporte actuellement un soutien psychosocial à une partie des 250 000 réfugiés darfouris que compte le Tchad, les traumatismes sont un problème courant.

« Ils disaient qu’ils faisaient des cauchemars, qu’ils n’arrivaient pas à dormir, qu’ils entendaient les bombardiers, ils parlaient des orphelins qu’ils avaient trouvés sur leur route en venant du Soudan », raconte Rachel Zelon, ancienne vice-présidente des opérations de programme, qui travaillait au Tchad en 2004, lorsque la plupart des réfugiés soudanais sont arrivés.

Quatre ans plus tard, les traumatismes sont toujours là, mais sous une forme différente. Au début de l’année, Julie Grier travaillait avec les réfugiés, en tant que chef de l’équipe de la HIAS à Goz Beida (sud-est du Tchad), la plus grande ville située près du camp de réfugiés de Djabal.

« Il est difficile de se rendre compte qu’on a probablement quitté son pays pour toujours », a-t-elle expliqué à IRIN. « C’est presque un traumatisme en soi ».

« Quand on se rend compte qu’on va devoir dépendre indéfiniment de l’aide d’autrui, on peut se sentir désemparé, découragé », a-t-elle ajouté, en évoquant un processus « d’impuissance apprise », consistant à désapprendre à s’aider soi-même.

« Je sens que je vis dignement »

Malgré les sentiments qu’elle éprouve, Mme Abakar dit avoir de nombreuses raisons de se réjouir. À Tandoussa, leur village du Soudan, ses enfants n’étaient jamais allés à l’école : leur père ne considérait pas cela comme une priorité.

Aujourd’hui, ils sont scolarisés, comme ils en ont le droit, en tant que réfugiés internationaux. Les enfants trop jeunes pour être scolarisés vont à la crèche. Les personnes trop âgées ont le choix de suivre des cours d’alphabétisation.

Dans leurs villages d’origine, certains Soudanais parcouraient plusieurs kilomètres pour aller chercher de l’eau insalubre, selon les travailleurs humanitaires. Aujourd’hui, les réfugiés peuvent aller chercher de l’eau salubre au point d’eau public construit pour eux, à cinq minutes de là à peine.

Au Soudan, Mme Abakar payait auparavant à chaque fois qu’elle se rendait à l’hôpital, où l’intervention de « médecins traditionnels » faisait souvent partie du traitement. Aujourd’hui, lorsque ses enfants tombent malades, elles les emmènent au centre de santé gratuit du camp.

« ...On ne peut pas dire que [les réfugiés] vivent dans un monde merveilleux. Leur place est dans la région d’où ils viennent. On ne peut que leur souhaiter un rétablissement de la sécurité [dans leur région d’origine], pour qu’ils puissent y retourner ... »
Et chaque mois, elle est assurée de recevoir une ration de farine, d’huile, de sel et de sucre. « Je sens que je vis dignement », déclare-t-elle. « Les enfants vont à l’école, ils jouent au ballon, ils s’amusent, ils ont accès à l’eau. Je remercie Dieu ».

« Encore beaucoup à faire »

Mme Abakar ne vit pas dans le luxe, mais en termes d’accès aux services, elle n’avait jamais vécu ainsi auparavant, même avant le début des affrontements dans son Darfour natal ; et aujourd’hui encore, bon nombre des Tchadiens qui accueillent les réfugiés soudanais ne vivent toujours pas dans de telles conditions.

« On ne peut pas dire que [les réfugiés] vivent dans un monde merveilleux. Leur place est dans la région d’où ils viennent. On ne peut que leur souhaiter un rétablissement de la sécurité [dans leur région d’origine], pour qu’ils puissent y retourner », a dit à IRIN Stéphane Godin, en janvier, lorsqu’il dirigeait le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF) à Goz Beida. « [Mais] aujourd’hui, ils ont des salles de classe, des enseignants, des dispensaires sur place. Ils ont accès à des services dont la plupart d’entre eux n’avaient jamais bénéficié auparavant ».

En se rendant dans la ville de Goz Beida, à 10 minutes du camp de réfugiés, en voiture, on comprend vite pourquoi. Au cœur de la ville, le long des sentiers jonchés de déchets d’un labyrinthe de huttes en paille, où vivent des Tchadiens d’ici, Mahamat Saleh Saboun, quatre ans, marche seul, nu-pied dans le sable, des mouches collées à la morve de son nez.

Il conduit IRIN jusque chez lui : un lopin de sable, une grande hutte en paille de millet, et quelques bûches chaudes en guise de fourneau. Ses frères et sœurs boivent une soupe à base de farine.

« Ce n’est pas que les réfugiés aient trop de choses », a récemment déclaré à IRIN Serge Malé, directeur du Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) au Tchad. « Mais certaines personnes autour d’eux […] reçoivent un degré de soutien […] qui ne correspond pas aux normes acceptées à l’échelle internationale ».

« Il y a encore beaucoup à faire dans leurs pays [le Tchad et le Soudan] pour que leurs conditions de vie soient normales », a estimé M. Godin, de l’UNICEF. « On y travaille. [Mais] il est toujours plus facile de récolter de l’argent pour les crises d’urgence que d’en obtenir pour financer les projets de développement ».

Selon M. Malé, du HCR, les organisations humanitaires ont une « capacité limitée » à répondre aux appels, qu’il qualifie de « légitimes », lancés par les populations locales pour solliciter une aide plus importante. « Nous n’avons pu répondre qu’à une partie de leurs besoins ».

Les populations locales bénéficient de soins de santé et ont accès aux écoles ouvertes pour les déplacés tchadiens et les réfugiés soudanais. En revanche, ils ne reçoivent pas de nourriture, bien que certains aient partagé leurs champs avec les nouveaux arrivants, ce qui a entraîné une réduction de leur propre production céréalière.

« À cause de cela, certaines personnes sont aujourd’hui très vulnérables et se retrouvent dans le besoin », a expliqué à IRIN Khazin Hassan, chef du village de Koubigou, situé dans la région. « Si nous sommes contrariés, ce n’est pas la faute des populations déplacées. C’est la faute des organisations non-gouvernementales (ONG), qui nous avaient promis que nous recevrions une partie de [l’aide aux] déplacés ».


Photo: Heba Aly/IRIN
Dans un camp de réfugiés soudanais de l'est du Tchad
Quand bien même, malgré les lacunes en termes d’aide, M. Malé estime que les réfugiés ne reçoivent pas autant de soutien qu’ils le devraient. « Nous n’en faisons probablement jamais assez ».

Les réfugiés soudanais ont des moyens extrêmement limités pour pouvoir couvrir leurs propres besoins et dépendent donc de l’aide externe.

Selon les estimations, seul un quart des Soudanais réfugiés au Tchad perçoivent des revenus externes, d’une manière ou d’une autre, qui leur permettent de ne pas être entièrement dépendants de l’aide, a indiqué M. Malé, ajoutant que la sécurité précaire et le manque de ressources étaient les principaux obstacles à la mise en œuvre d’une approche plus axée sur le développement.

« Grâce à la connaissance, le monde peut changer »

Mme Abakar s’est adaptée à la vie au Tchad : elle passe ses journées au marché, à acheter et revendre des tomates pour gagner un peu d’argent en plus. Elle est aussi membre d’une coopérative de femmes qui, grâce à un prêt contracté auprès d’une ONG du nom de Shora, achète des vivres pendant la période des récoltes, les garde en stock, et les revend pendant la période de soudure.

Mais elle rêve toujours de retourner au Soudan, de retrouver ses propres champs, ses propres bêtes et sa propre communauté.

« Je ne pense pas qu’aucun [réfugié] vous dirait qu’il se sent chez lui, ici », a noté Mme Grier, de la HIAS.

Malgré tout, Mme Abakar a expliqué que son expérience de réfugiée l’avait changée en mieux, à bien des égards. « Je suis consciente des choses, aujourd’hui. Si je suis malade, je vais à l’hôpital. Je ne reste pas chez moi ».

Selon Mme Grier, les réfugiés sont aussi plus conscients des questions liées à la violence sexospécifique. « C’est un changement qui se fait lentement, et je ne pense pas qu’il soit encore tout à fait assimilé, mais on voit déjà des petites différences », s’est félicitée Mme Grier.

« Nous ne connaissions pas les bienfaits de l’éducation, mais ici, on les a découverts. Nous nous sommes rendu compte que toute personne instruite peut changer sa vie », a ajouté Mme Abakar. « Grâce à la connaissance, le monde peut changer ».

ha/nr/cb/nh/ail


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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