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Payer le prix des munitions à dispersion non explosées

Joi, neuf ans, ne se souvient pas de la mort de son frère ; seulement de l’explosion et du bruit, qu’il entend encore, trois ans plus tard, lorsqu’il fait des cauchemars. Joi et son frère se trouvaient dans une forêt voisine, où ils étaient partis chercher des vers pour la pêche, lorsqu’ils ont fait exploser une sous-munition à dispersion, vieille de plusieurs décennies.

Son frère a été tué sur le coup, et Joi, grièvement blessé. Des éclats d’obus (essentiellement des roulements à billes encastrés dans ces explosifs, petits mais non moins puissants) lui ont percé la peau et lui ont lacéré la gorge, endommageant ses cordes vocales de façon permanente, de sorte qu’il n’émet plus désormais qu’un murmure à peine audible lorsqu’il parle.

« Ca me fait encore mal », a-t-il confié à IRIN. « Mais surtout, j’ai encore peur […], peur d’aller dans la forêt, peur d’aller jouer là-bas. J’ai peur de ces sous-munitions ».

Les munitions à dispersion comptent parmi les armes de guerre les plus hasardeuses, a récemment déclaré Ban Ki-moon, Secrétaire général des Nations Unies.

« Depuis un certain nombre d’années, les Nations Unies expriment des préoccupations au sujet de l’impact humanitaire des munitions à dispersion. Parce qu’elles sont par nature imprécises et fonctionnent souvent mal, elles sont particulièrement hasardeuses et peu fiables », a indiqué M. Ki-moon.

Une fois lancées, ces munitions en grappe s’ouvrent, dispersant des centaines de « sous-munitions », conçues pour se répandre et tuer sur une superficie maximum équivalente à deux terrains de football. Une sous-munition a, à elle seule, un rayon de destruction de 30 mètres.

Celle qui a tué le frère de Joi faisait partie d’un arsenal aérien largué par les forces américaines sur le Laos entre 1966 et 1975 pour faire barrage à la vague de soldats nord-vietnamiens qui s’infiltraient au Sud du Vietnam en passant par le Laos.

Quinze des 17 provinces du pays avaient été ciblées, selon l’Autorité nationale de régulation (NRA) du secteur de la lutte contre les mines et les munitions non explosées en RDP lao. Selon les registres publiés par les forces aériennes américaines en 1999, environ 277 millions de sous-munitions ont été larguées sur le Laos.


Photo: Wikimedia Commons/NRA
Une carte du Laos montrant les zones bombardées avec des munitions à dispersion
D’après John Dingley, conseiller technique principal du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) sur UXO Lao, le service de déminage du gouvernement, il est communément admis, au sein de l’industrie, que ces armes ont un taux de non-explosion de 20 à 30 pour cent.

Or, a-t-il dit, pas moins de 84 millions de sous-munitions non explosées jonchent encore les régions rurales du Laos, faisant obstacle au développement et, en particulier à celui de l’agriculture.

Eviter les accidents mortels

Quatre-vingt pour cent de Laotiens pratiquent l’agriculture de subsistance et bon nombre d’entre eux risquent d’être blessés ou tués par des munitions non explosées (UXO).

Somphet, chef du village de Ban Ven, à Xieng Khouang, une province du nord du pays, a expliqué à IRIN que les villageois avaient adapté leurs pratiques agricoles de façon à éviter les accidents mortels.

« Nous ne labourons qu’à quelques centimètres de profondeur dans les rizières, et nous employons des charrues, tirées par des buffles, jamais de tracteurs », a-t-il indiqué. « C’est beaucoup plus lent et ça nous empêche d’enfoncer la terre fertile plus en profondeur, mais avec les munitions non explosées, c’est une méthode beaucoup plus sûre ; toujours risquée, mais beaucoup plus sûre ».

D’après Mike Boddington, conseiller technique à la NRA dans le domaine de l’aide aux victimes, « rien que sur la période de quatre mois allant de janvier à avril 2008, 17 accidents ont été signalés, qui ont fait un total de 47 victimes, dont 15 morts –avec, parmi eux, neuf enfants. Cent personnes ont été blessées ou tuées par des munitions non explosées, essentiellement par des sous-munitions en 2007, et 49 en 2006 ».

Le Japon, l’Australie, l’Irlande et les Etats-Unis consacrent des fonds importants aux opérations d’enlèvement des UXO et de nombreux services d’enlèvement de ces munitions, notamment le Mines Advisory Group, Milsearch, Phoenix Clearance Ltd, et UXO Lao, le service de déminage du gouvernement laotien, continuent d’opérer dans l’ensemble du pays.

A la fin de l’année 2007, en un peu plus de 15 ans de déminage, seuls 131 kilomètres carrés avaient été débarrassés de leurs UXO, selon les données de la NRA.


Photo: Wikimedia Commons
Le fleuve Mékong, au Laos. Quelque 277 millions de sous-munitions auraient été larguées sur le pays
Mais avec 87 000 kilomètres carrés encore jonchés de munitions non explosées dans le pays, on estime qu’au vu des ressources actuelles, démineurs compris, il faudra compter 100 ans de plus pour achever cette tâche.

Interdire les munitions à dispersion

Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) ainsi qu’un grand nombre d’autres organisations humanitaires appellent à l’interdiction internationale de cette arme.

« Il est déjà assez déplorable que des civils se trouvent piégés et blessés dans un conflit », a déclaré Peter Herby, qui dirige l’unité mines/armes du CICR, division juridique, « mais pour nous, il est répugnant que ces massacres se prolongent pendant des années ou des dizaines d’années ».

Le 19 mai, 109 pays ont engagé des négociations à Dublin, en Irlande, pour finaliser un projet de traité contre les munitions à dispersion. Le Laos fait partie des plus fervents défenseurs d’une interdiction globale applicable à toutes les munitions à dispersion.

Mahasiphan Vongthanamathaphan, un aîné du village de Ban Ven, a demandé qu’un message soit transmis à la communauté internationale.

« Nous vivions une vie paisible et heureuse avant la guerre. Les bombes l’ont détruite », a-t-il dit. « Nous voulons qu’on nous rende nos vies. […] S’il vous plaît, arrêtez ces munitions non explosées. Nul ne devrait être forcé de vivre dans ces conditions ».

cw/bj/mw/nh/ail


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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