Ce sont les compétences linguistiques de Patrick Ndlovu, un ressortissant zimbabwéen de 29 ans, qui l’ont sauvé lorsqu’il a été accosté par trois hommes qui parlaient zoulou à Bezuidenhout Valley, une banlieue de Johannesbourg.
« Si tu n’es pas d’ici, mets-toi à genou et fais ta prière, parce qu’on va te tuer », lui ont-ils dit, mais en se défendant d’être étranger dans un zoulou impeccable, Patrick Ndlovu a pu éviter d’être passé à tabac, voire pire encore.
Après neuf jours de violences xénophobes à travers Gauteng (la province la plus riche d’Afrique du Sud), au cours desquelles au moins 22 personnes ont trouvé la mort à ce jour, Patrick Ndlovu veut partir s’installer dans un autre pays.
Le jeune homme vit dans une petite chambre située sur le toit d’un immeuble résidentiel de quatre étages, avec un ami venu de Bulawayo, sa ville d’origine et la deuxième ville du Zimbabwe.
Depuis qu’il a été interrogé par ces trois hommes, le 16 mai, il ne s’est pas aventuré plus loin qu’à quelques mètres de son immeuble pour faire ses courses dans une « spaza » (magasin de proximité). Il n’a pas pu chercher de travail, et il ne lui reste plus beaucoup d’argent.
« Peut-être que je vais aller au Mozambique. J’ai vraiment peur, mais je ne peux pas retourner au Zimbabwe », a-t-il expliqué à IRIN.
Patrick Ndlovu a fui le Zimbabwe en 2003, après avoir été sauvagement passé à tabac par de jeunes miliciens partisans de la ZANU-PF, le parti au pouvoir. À l’époque, le jeune homme suivait une formation d’ingénieur du son à Mutare, une ville de l’est du Zimbabwe.
Patrick Ndlovu a été expulsé cinq fois depuis son arrivée en Afrique du Sud, et il aurait pu l’être davantage s’il ne maîtrisait pas parfaitement le dialecte zoulou, grâce auquel il parvient même parfois, a-t-il dit, à duper les officiers de police de langue zoulou.
Mais lorsqu’on lui demande de présenter sa pièce d’identité, il ne sait pas quoi répondre. La dernière fois que Patrick Ndlovu a été expulsé vers le Zimbabwe, le 19 janvier 2008, au lieu de revenir sur ses pas et de retourner en Afrique du Sud, comme il le fait habituellement, il a décidé de rendre visite à des membres de sa famille à Bulawayo.
Mais à peine quelques jours après son arrivée, il a dû repartir, lorsque les vétérans de la guerre de libération du Zimbabwe, alliés à la ZANU-PF, l’ont accusé d’être rentré au pays pour voter en faveur du Mouvement pour un changement démocratique, parti d’opposition, aux élections du 29 mars.
Dans les banlieues est de Johannesbourg
Les banlieues est de Johannesbourg, dont Bezuidenhout Valley, Bertrams, Judith's Paarl, Troyeville, Malvern et Jeppestown, ont accueilli plusieurs générations d’immigrants venus des quatre coins du monde depuis que des mines d’or ont été découvertes dans le Witwatersrand, en 1886.
Le mélange de styles architecturaux, des villas art nouveau datant de 1905 aux pavillons jumelés en grès brun d’influence new-yorkaise, en passant par les manoirs victoriens, reflète le style éclectique composé par les différentes nationalités présentes dans le pays à l’époque de la ruée vers l’or.
Photo: Paul Botes/IRIN |
Un magasin pillé dans une banlieue est de Johannesbourg |
Pendant l’apartheid, Troyeville, désignée comme une banlieue lusophone blanche, était connue sous le nom de « zone grise », où vivaient à la fois des communautés blanches et noires, en dépit des lois ségrégationnistes.
En 1994, à la suite des premières élections démocratiques tenues en Afrique du Sud, Troyeville et les banlieues environnantes sont devenues de véritables pôles d’attraction pour les ressortissants des pays lusophones d’Afrique, tels que l’Angola ou le Mozambique ; Malawites, Zimbabwéens, Somaliens, Egyptiens, Nigériens et bien d’autres, venus d’une multitude d’autres pays d’Afrique, ont suivi.
Mais aujourd’hui, les rues de ces banlieues, qui il y a quelques jours encore, étaient animées jour et nuit par l’activité des commerces, sont désertes. Spazas et commerces officiels ont fermé sur les conseils de la police depuis les premières flambées de violence.
Maria Mondane (un nom d’emprunt), 32 ans, tient une petite boutique de vêtements de seconde main à Troyeville. Elle a grandi au Mozambique pendant la guerre civile, qui a duré plusieurs décennies, et s’est installée en Afrique du Sud en 1992.
Ses trois enfants sont nés en Afrique du Sud, mais ses fils, âgés de 13 et huit ans, vivent avec leur grand-mère à Maputo, capitale du Mozambique, et Maria Mondane envoie chaque mois l’argent nécessaire pour subvenir à leurs besoins.
Sa petite fille de neuf mois vit avec elle et son mari, et environ 45 autres personnes, originaires du Mozambique, pour la plupart, sur une propriété datant de la ruée vers l’or et convertie en un total de 34 chambres.
« La nuit dernière, les Zoulous sont venus et nous ont dit qu’ils ne voulaient plus nous revoir ici », a-t-elle raconté à IRIN.
Même s’ils n’étaient que trois, la plupart des locataires, tous originaires du Mozambique, ont décidé de partir. Trois locataires sud-africains, un Zoulou, un Sotho et un Pedi, vont rester. Dimanche et lundi, aucune réservation de bus n’a été enregistrée, a indiqué à IRIN le guichetier d’une gare routière qui dessert Maputo au départ de Troyeville.
« C’est parce que les gens avaient peur de sortir de chez eux, je pense. Aujourd’hui [mardi], les bus sont pleins, mais la plupart des passagers sont des femmes ou des enfants », a-t-il dit.
La peur s'installe
Photo: Paul Botes/IRIN |
Des Zimbabwéens fuient pour tenter de trouver refuge dans les postes de police |
« De toute façon, c’est ici que je suis chez moi », a-t-elle noté. « Mais il a suffi qu’ils [les trois hommes qui s’exprimaient en dialecte zoulou] viennent chez nous pour qu’on prenne peur ».
Ce soir-là, elle s’est réfugiée au commissariat de police de Jeppestown, situé tout près de là, avec quelque 2 000 autres ressortissants étrangers. Tous ont dormi à la belle étoile, dans le froid de ce début d’hiver.
Aujourd’hui, les foyers non-mixtes pour mineurs construits dans la région pendant l’apartheid pour servir d’hébergement rudimentaire à quelque 6 000 mineurs migrants, abritent souvent quelque 20 000 résidents, dont la plupart parlent zoulou, et dont peu travaillent dans les mines.
« L’induna » (un terme initialement employé pour désigner le chef d’un groupe militaire), le système de contrôle zoulou traditionnel, prévaut encore dans la plupart de ces foyers.
Selon les témoignages des ressortissants étrangers de la région, les résidents des foyers, qui les ont accusés d’avoir pris leurs emplois, sont les principaux auteurs de violences xénophobes dans la zone.
Bien que les foyers non-mixtes aient été interdits par le gouvernement de l’ANC, la mise en œuvre des projets élaborés il y a plus de quatre ans par les autorités provinciales de l’ANC à Gauteng, qui souhaitaient moderniser ces foyers et les convertir en logements familiaux, a été repoussée à plusieurs reprises.
Un urbaniste qui a travaillé sur ces projets de modernisation a révélé à IRIN, sous le couvert de l’anonymat, qu’au moment de mettre en œuvre le projet de rénovation des foyers, « il a été bloqué à chaque fois. De nombreuses promesses ont été faites aux gens qui vivent dans ces foyers, mais rien n’a été fait. Ils sont frustrés ».
Selon l’urbaniste, plusieurs milliards de rands sont consacrés à divers projets en prévision de la Coupe du monde de football 2010, notamment la modernisation des stades de sport et la construction du Gautrain, une ligne ferroviaire à grande vitesse devant relier l’aéroport international de Johannesbourg aux banlieues de classe moyenne du nord de la ville et à Pretoria, « mais cela ne profite pas aux populations sur le terrain ».
Le gouvernement du président Thabo Mbeki attache une grande importance à la Coupe du monde 2010 qu’accueillera son pays, un événement pour le continent, a-t-il estimé, s’agissant là de la première fois qu’un pays d’Afrique accueillera la Coupe.
Également situé dans la banlieue est de la ville, Ellis Park, centre d’une zone sportive présentée comme la vitrine de la Coupe du monde, accueillera d’importantes rencontres, notamment un match de demi-finale.
Mais comme l’a observé, avec une pointe d’ironie, une femme d’affaires de la région : « Au train où vont les choses, quand il sera temps d’accueillir la Coupe du monde, il n’y aura plus d’Africains du continent pour la regarder ».
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