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Le cadre juridique, un obstacle dans les affaires de 'trafic d’enfants'

Selon plusieurs responsables tchadiens et représentants des Nations Unies, l’absence de loi en matière de traite d’enfants au Tchad est une entrave à la poursuite en justice de personnes accusées de ces crimes, un vide juridique qui vient d’être rappelé par l’arrestation au Tchad des membres d’une association française qui tentaient de faire sortir 103 enfants du pays pour les confier à des familles d’accueil en France.

L’association, du nom de L’Arche de Zoé, a déclaré qu’elle tentait, ce faisant, de sauver des orphelins soudanais d’une « mort certaine » dans la région du Darfour, à la frontière entre le Tchad et le Soudan.

Six membres du groupe – arrêtés le 25 octobre – ont été inculpés d’enlèvement de mineurs en vue de compromettre leur état civil (en les confiant à de nouveaux parents), un crime passible d’une peine de cinq à 20 ans de travaux forcés.

« Le chapitre [du code pénal] consacré aux enlèvements ne prévoit pas plus sévère sanction que celle que nous avons choisie », a expliqué Ahmad Daoud Chari, procureur de la République à Abéché, la ville de l’est tchadien où les membres de l’association ont été appréhendés.

« Notre code pénal est limité. Il ne couvre pas [beaucoup] d’infractions. Il y a un vide à combler », a expliqué M. Chari à IRIN.

Une loi imparfaite

Pour Papa Babacar Ndiaye, responsable des programmes nationaux de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) en Afrique de l’Ouest et centrale, au Tchad, ce vide législatif pose plusieurs difficultés.

« L’inconvénient, c’est que vous pouvez commettre un crime très grave – la traite d’enfants fait partie des crimes les plus graves – et être condamné pour un crime moins grave », a-t-il expliqué à IRIN.

Selon lui, dans le cas où des accusés sont reconnus coupables de ce qui leur est reproché, non seulement une inculpation pour enlèvement leur vaut des peines moins lourdes, mais une condamnation est également plus difficile à obtenir.

« Il peut être plus facile pour des enquêteurs de prouver un trafic humain plutôt qu’un enlèvement », a-t-il poursuivi.

Bien que l’information n’ait pas encore été vérifiée, dans le cas de l’affaire de l’Arche de Zoé, certaines sources suggèrent que les enfants ont pu été confiés volontairement, auquel cas l’inculpation pour enlèvement est difficile à prouver.

En revanche, une loi en matière de trafic humain couvre généralement le recrutement illégal d’enfants auprès de parents « vulnérables », susceptibles d’accepter de céder leurs enfants, n’étant pas en mesure de s’occuper d’eux, a expliqué M. Ndiaye.

Une condamnation pour traite d’enfants autorise également les autorités à saisir tout bien utilisé pour commettre le crime, a ajouté M. Ndiaye, une mesure susceptible de décourager toute récurrence future.

Retards de procédures

L’ONUDC plaide en faveur de lois nationales qui criminalisent le trafic d’enfants depuis l’adoption par l’Assemblée générale des Nations Unies, en 2000, du Protocole visant à prévenir, réprimer et punir le trafic des êtres humains, en particulier des femmes et des enfants.


Photo: David Hecht/IRIN
Des enfants tchadiens dans un site pour les familles déplacées par les combats dans l'est du Tchad
Les conventions et protocoles internationaux engagent les Etats qui les ratifient, mais ces textes doivent être adoptés en tant que lois nationales pour être mis en application.

Le Tchad n’a pas signé le Protocole, mais il est partie à plusieurs autres conventions internationales ayant trait à la traite des enfants, sous certains aspects. Il a notamment signé un accord multilatéral et un plan d’action régional contre le trafic de personnes, en particulier des femmes et des enfants, conçus en 2006 par plusieurs entités régionales représentant l’Afrique de l’Ouest et centrale.

Malgré tout, les accords régionaux et internationaux n’ont pas été intégrés à la loi tchadienne.

« C’est une question de retards de procédures », a expliqué à IRIN Pahimi Padacké Albert, ministre tchadien de la Justice. « C’est en train d’être fait ».

Une commission de réforme judiciaire, inactive depuis plusieurs années, a été relancée il y a deux mois et revoit à l’heure actuelle l’ensemble des lois tchadiennes en vue d’intégrer les conventions internationales au code pénal national, a-t-il ajouté.

Si M. Albert estime qu’une loi en matière de traite d’enfants « aurait pu être utile » dans le cas de L’Arche de Zoé, il a néanmoins assuré que la loi actuelle permettait de gérer la situation. 

D'après l’ONUDC, l’affaire a mis en exergue un problème répandu.

« De nombreux pays traînent à mettre en application ces conventions, et en particulier celles qui concernent le crime organisé », a observé M. Ndiaye.

Selon l’ONUDC, seuls deux des 11 pays d’Afrique centrale – le Gabon et la Guinée équatoriale – disposent de lois spécifiques contre la traite d’enfants.

En revanche, 13 des 16 pays d’Afrique de l’Ouest, où, par le passé, les cas de trafic ont suscité une attention et des pressions internationales accrues, ont promulgué cette législation. L’ONUDC a mis en place plusieurs programmes d’assistance législative, disponibles sur demande, pour aider les pays.

Opération de « sauvetage »

Les autorités tchadiennes ont arrêté neuf ressortissants français – six membres de L'Arche de Zoé et trois journalistes, qui les accompagnaient – à l’aéroport d’Abéché, alors qu’ils tentaient d’emmener plusieurs enfants à l’aéroport international de Vatry, quelque 150 kilomètres à l’est de Paris, où 50 familles françaises attendaient, dit-on, de les accueillir.

En plus d’avoir été inculpés d’enlèvement, ils ont également été accusés d’escroquerie. Un chef de village tchadien ainsi que sept ressortissants espagnols, membres de l’équipage du charter qui devait emmener les enfants du Tchad vers la France ont également été inculpés pour complicité. Un autre citoyen tchadien, adjoint au préfet, est lui aussi impliqué dans l’affaire, mais n’a pas encore été inculpé.

Au cours d’entretiens avec des représentants du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, du Fonds des Nations Unies pour l’enfance et du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), les enfants, en grande majorité, ont dit être originaires de villages tchadiens proches de la frontière entre le Tchad et le Soudan.

Ils y vivaient avec leurs familles, composées d’au moins un adulte considéré comme leur parent, ont expliqué les agences, le 1er novembre. Le CICR et les agences des Nations Unies s’occupent actuellement des enfants, avec l’aide des autorités tchadiennes.

L’Arche de Zoé a nié que les enfants aient été destinés à être adoptés.

Les accusations « catastrophiques » de traite d’enfants, portées par les autorités tchadiennes, ont provoqué la « colère » de Stéphanie Lefebvre, secrétaire générale de l’association, qui s’exprimait ainsi dans les pages du quotidien français Le Parisien. L’enquête est en cours.

ha/np/nh/ail


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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