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La MGF existe toujours, dix ans après la déclaration d'abandon

Le 5 août, une foule de journalistes et de dignitaires se sont rassemblés dans le village de Malicounda Bambara, quelque 70 kilomètres au sud-est de Dakar, la capitale du Sénégal, pour commémorer le jour où, il y a dix ans, la communauté avait ouvertement déclaré qu’elle avait renoncé à une tradition locale connue sous le nom de « mutilation génitale féminine » ou « excision » (GMF/E), un événement qui avait fait les gros titres de la presse internationale.

Malgré tout, dix ans plus tard, ici même et dans bon nombre des 2 657 villages du Sénégal, de Guinée et du Burkina Faso qui ont depuis lors fait des déclarations semblables, certains signes inquiétants laissent à penser que la MGF/E existe toujours.

A tout juste quelques minutes de marche de la fanfare, des danses et des innombrables discours de félicitations, une vieille dame du village, devant sa petite cantine, exprimait sa désapprobation envers cette fanfare, qu’elle considérait comme une farce.

« Ils n’ont pas vraiment renoncé à cette pratique », a-t-elle dit, en allusion aux femmes de Malicounda Bambara. « Ces mêmes femmes qui déclarent publiquement que [l’excision] a été abandonnée continuent de la pratiquer », a-t-elle poursuivi, ajoutant qu’une fillette avait été excisée dans le village pas moins d’une semaine plus tôt. Le journaliste d’IRIN s’est également entretenu avec Mariama Bâ, une adolescente de 14 ans, qui a dit avoir été excisé à Malicounda, il y a tout juste quatre ans.

Les risques

La MGF/E est encore pratiquée dans 28 pays d’Afrique – dans certains cas, à des taux de plus de 90 pour cent, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Selon certaines estimations, trois millions de filles seraient excisées chaque année.

Il existe de nombreux types d’excision différents, de l’ablation du capuchon du clitoris à l’excision de l’intégralité du clitoris, plus grave, et parfois des lèvres vaginales, en passant par la fermeture de l’orifice vaginal par suture. Ces pratiques provoquent notamment des douleurs aiguës, des kystes, de la rétention urinaire, des hémorragies, des complications à l’accouchement – voire le décès – des dysfonctionnements sexuels ou des problèmes psychologiques.

Une ancienne exciseuse a expliqué à IRIN qu’elle avait renoncé à pratiquer la MGF après qu’une organisation non-gouvernementale (ONG) du nom de Tostan l’eut informée des risques que comportait cette pratique. Ourèye Sall, 60 ans, du village de Ngueriñ Bambara, dans la région de Thiès, a déclaré avoir excisé environ 500 filles dans sa vie. « Certaines filles ont eu des problèmes, mais je n’avais jamais compris que les problèmes étaient liés à l’excision. Je pensais qu’il s’agissait de problèmes mystiques », a-t-elle confié.

Les jeunes sont désormais sensibilisés aux conséquences négatives de la MGF/E à l’école. « Aujourd’hui, nous allons de village en village pour éduquer nos parents », a rapporté Fatinar Aw, présidente des jeunes de Matam – une région du nord-est du Sénégal – présente à l’occasion du dixième anniversaire.

Problème sanitaire ou question liée aux droits humains ?

Néanmoins, l’émergence de certaines tendances inquiétantes risque de compromettre les efforts déployés pour éliminer cette pratique, a déploré Aminata Touré, chef de la branche Genres, culture et droits humains du Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP). Selon elle, les filles sont excisées de plus en plus jeunes, souvent juste après la naissance, « pour qu’elles ne puissent pas se plaindre », a-t-elle ajouté.

Mme Touré s’inquiète également de la médicalisation de cette pratique.

« Depuis de nombreuses années, nous sensibilisons les gens aux conséquences de la MGF/E sur la santé. Et ils nous répondent “d’accord, alors on va le faire dans les hôpitaux” », a-t-elle expliqué.

Pour Molly Melching, fondatrice de Tostan, c’est à l’éducation aux droits humains, et notamment au droit de protéger son corps et de maîtriser sa sexualité, que l’on doit l’abandon de cette pratique dans tant de villages.

« L’éducation aux droits de la personne a joué un rôle énorme dans ce processus ; elle a permis de susciter une prise de conscience chez les gens, et de leur donner les outils nécessaires pour prendre des décisions qu’ils souhaitaient [de toute façon] prendre depuis très très longtemps, je crois », a-t-elle expliqué à IRIN.

Selon Mme Touré, pour résoudre le problème de l’excision, il faut établir un lien entre la MGF/E et la question, plus vaste, de la discrimination liée aux sexes, travailler aux côtés des dignitaires religieux en vue de dissocier la MGF/E et la religion, et faire en sorte que les hommes participent au débat.

Mme Touré préconise également l’adoption de lois supplémentaires criminalisant cette pratique, ainsi qu’une mise en application plus stricte de ces lois. Le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) a également joué un rôle dans l’élaboration de projets de lois interdisant la pratique de la MGF/E. Ces lois existent désormais dans plus de la moitié des pays d’Afrique où la MGF/E est pratiquée, mais elles sont rarement mises en application.

Succès mitigé

Mme Melching n’est pas découragée par les taux de récidive observés chez certaines des communautés qui ont dit avoir renoncé à la pratique.

« Nous avons toujours dit que lorsqu’une déclaration publique était faite, cela ne signifiait pas forcément que toute la communauté avait renoncé. Ce qui est important, c’est qu’un pourcentage de la communauté soit prêt à s’élever contre cette pratique. Peu à peu, ce groupe s’élargit pour finalement atteindre un point de basculement », a commenté Mme Melching.
Selon une évaluation réalisée en 2006 par Population Council, une ONG, les taux de MGF/E ont chuté de 60 pour cent dans les villages qui ont publiquement renoncé à la pratique après avoir suivi le programme de Tostan. « Nous avons réalisé des progrès extraordinaires », s’est félicitée Mme Melching.

D’après Ourèye Sall, l’ancienne exciseuse, si l’on donne à d’autres femmes l’occasion d’en discuter et de comprendre les dangers de la MGF/E, « petit à petit », elles finiront elles aussi par changer d’avis. « On ne peut pas les pousser à le faire. On ne peut pas les forcer », a-t-elle affirmé.

Pourtant, pour Mme Touré, de l’UNFPA, ce n’est pas assez. « Cela fait plusieurs dizaines d’années que nous tentons de résoudre ce problème. Pourtant, les taux sont encore très élevés dans bon nombre de pays. La diminution de cette pratique se fait trop lentement. Il faut revoir nos méthodes ».

La cible : 2015

À l’occasion de la cérémonie de commémoration du dixième anniversaire de la déclaration, à Malicounda, des représentants des villages ayant décidé de renoncer à la MGF/E ont lancé une campagne visant à mettre fin à cette pratique au Sénégal et à la réduire de manière significative en Afrique d’ici à l’an 2015.

L’UNICEF et l’UNFPA ont consacré 44 millions de dollars à la mise en place d’un programme parallèle, destiné à réduire la MGF/E de 40 pour cent dans 16 pays d’Afrique présentant une forte prévalence, et ce au cours de la même période. « Nous pensons pouvoir éradiquer cette pratique en une génération », a affirmé Mme Touré.

ha/dh/nh/ads


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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