Le Conseil national de lutte contre le sida au Kenya a récemment attribué la légère baisse du taux de prévalence national du VIH au fait que les gens intégraient les messages diffusés lors des campagnes de prévention et modifiaient leurs comportements en conséquence.
Manto Tshabalala-Msimang, la ministre sud-africaine de la Santé, a déclaré que la première indication d’une baisse du taux de prévalence chez les femmes enceintes- de 30,2 pour cent en 2005 à 29,1 pour cent selon la dernière étude- était principalement due à « notre souci permanent de faire de la prévention la base de notre combat contre le VIH ».
Mais la véritable histoire derrière les croissances et les diminutions des taux de prévalence est beaucoup moins claire.
« Il y a vraiment beaucoup d’intérêts particuliers, mais la situation est suffisamment floue pour que personne ne sache vraiment ce qui se passe », a dit à IRIN/PlusNews le professeur John Hargrove, directeur du Centre d’excellence en modélisation épidémiologique et en analyse (SACEMA) à l’Université de Stellenbosch, en Afrique du Sud.
Ces 25 années n’ont pas été une période assez longue pour se familiariser vraiment avec une épidémie qui a évolué très différemment selon les parties du monde.
En Europe, en Amérique du Nord et en Asie, elle est devenue en majorité une maladie qui touche les groupes vulnérables comme les toxicomanes, les travailleurs du sexe et les hommes qui ont des relations sexuelles avec des hommes. En Afrique australe, elle s’est répandue rapidement au sein des hétérosexuels.
Si les théories abondent, « personne ne sait vraiment pourquoi l’Afrique australe a été la région la plus touchée », a dit le docteur Brian Williams, un autre épidémiologiste du SACEMA. « Et si nous ne savons pas cela, c’est très difficile d’expliquer pourquoi les taux de prévalence augmentent ou diminuent ».
Manque de données fiables
Une partie du problème était d’obtenir des chiffres de suivi adéquats et fiables. En général, a dit M. Hargrove, les données étaient « fragmentées » et surtout issues des populations urbaines.
Les premières estimations sur les niveaux de prévalence du VIH avaient été obtenues en dépistant des femmes enceintes lors de consultations prénatales, mais les tranches d’âge des femmes, et le fait qu’elles avaient clairement des rapports sexuels sans protection, avaient pour conséquence de surévaluer le taux d’infection de la population générale.
Là où c’est possible, les études prénatales sont aujourd’hui combinées avec des données plus représentatives issues d’études centrées sur les ménages, mais le Programme commun des Nations Unies sur le sida, ONUSIDA, a noté dans son Point sur l’épidémie de sida 2005 que le nombre important de personnes refusant de participer à ces études, ou absents de leur foyer, pouvait conduire à une sous-estimation du taux de prévalence.
Tandis que la prévalence nous informe uniquement sur le nombre de personnes vivant avec le VIH et le sida, l’incidence, elle, permet de mesurer la quantité de nouvelles infections qui se déclarent au cours d’une période donnée.
L’incidence fournit les indications les plus à jour et les plus révélatrices sur une épidémie, mais la technologie qui permet de mesurer les infections les plus récentes reste toute nouvelle et trop coûteuse pour la plupart des pays africains.
En l’absence de telles études, le taux de prévalence du VIH des personnes entre 15 et 20 ans est souvent utilisé comme substitut, parce qu’il est probable que les infections enregistrées parmi cette tranche d’âge soient pour la plupart récentes.
La diversité et la faillibilité de la plupart des méthodes d’observation poussent les épidémiologistes comme MM. Hargrove et Williams à accueillir l’annonce d’un déclin des taux de prévalence avec beaucoup de méfiance.
Un besoin de 'success story'
Durant des années, l’Ouganda a été considérée comme un exemple en termes de politique de prévention. L’ONUSIDA estime que le pays est passé d’un pic au début des années 1990, avec un taux de prévalence de 15 pour cent chez les adultes, à un taux de 6,7 pour cent aujourd’hui.
Le président ougandais Yoweri Museveni a réagi rapidement quand la crise a émergé au cours de la fin des années 1980. Des campagnes populaires ont transmis des messages simples de prévention, tels que l’abstinence, la fidélité à son partenaire et le port du préservatif.
Le cas du Zimbabwe |
Mais M. Williams a souligné que les preuves de la chute des taux d’infection en Ouganda n’étaient « pas vraiment claires », et qu’elles étaient issues d’une poignée d’études prénatales faites à Kampala, la capitale.
« Nous voulons désespérément une ‘success story’, alors l’Ouganda en sera une, indépendamment du manque de preuves » a-t-il dit.
Justin Parkhurst, de l’Ecole d’hygiène et de médecine tropicale de Londres, a lui aussi remis en cause les « soi-disant preuves » de la réussite de l’Ouganda à faire baisser son taux de prévalence dans le journal médical britannique, The Lancet.
Il a noté que les preuves du déclin avaient été fondées sur « des informations sélectionnées, qui ont été faussement présentées comme représentatives de la situation dans toute la nation ».
M Parkhurst a suggéré que les gouvernements des pays à faible et moyen revenu par habitant subissaient une pression liée aux demandes de résultats des bailleurs de fonds qui les poussait à exagérer le succès de leurs programmes contre le sida.
« Les normes qui établissent les preuves sont devenues moins difficiles à atteindre, pour offrir à la communauté internationale la ‘success story’ africaine qu’elle désire, ou même dont elle a besoin » a-t-il conclu.
Si le taux de prévalence du VIH en Ouganda a effectivement diminué, il n’y a toujours pas de moyen fiable de déterminer les raisons de cette baisse.
M. Parkhurst a mis en garde contre l’attribution de ce déclin à « quelques mesures spécifiques mises en place par le gouvernement ougandais » : non seulement il y a eu de nombreux autres acteurs que le gouvernement dans la lutte contre le sida, mais « les individus peuvent changer de comportement pour des raisons qui n’ont rien à voir avec les programmes d’intervention ».
M. Williams a dit croire que si de réels changements de comportements, tels que la diminution du nombre de partenaires sexuels et l’augmentation de l’utilisation du préservatif, avaient peut-être eu lieu, ils étaient moins le fait des efforts du gouvernement que des nombreuses expériences vécues par la population, comme la mort d’un ami ou d’un membre de la famille d’une infection liée au sida.
L’évolution naturelle d’une épidémie
La dynamique d’une épidémie peut aussi provoquer des changements du taux de séroprévalence : durant les premières phases, les infections au VIH ont tendance à augmenter graduellement pour ensuite arriver à un stade de stagnation car elles arrivent à un point de « saturation » dans les populations.
Dans les phases suivantes, la séroprévalence commence à décliner, pas nécessairement en raison d’un changement général de comportement, mais parce que le nombre de personnes qui meurent des suites des maladies liées au sida dépasse le nombre des nouvelles infections.
Lorsque le taux de mortalité de ces personnes infectées atteint un niveau égal à celui de l’incidence des nouvelles infections, la séroprévalence se stabilise : c’est ce stade que connaît actuellement l’Afrique du sud.
Paradoxalement, l’impact d’une campagne nationale sur les antirétroviraux (ARV), ces médicaments qui permettent de prolonger et d’améliorer la vie des personnes infectées par le VIH, peut soit augmenter la séroprévalence, soit contre-balancer un faible taux de nouvelles infections.
Ceci pourrait expliquer pourquoi un pays avec un important programme d’ARV, comme par exemple le Botswana, n’a pas connu un déclin significatif de son taux de séroprévalence, alors que le Zimbabwe, qui a un programme relativement réduit, en connaît un.
Comprendre à long terme
Mais la bonne interprétation est certainement plus complexe et demeure actuellement impossible à éclaircir, ceci étant certainement dû à un manque d’investissement dans le domaine de la recherche, du suivi et du dépistage national du VIH/SIDA.
« Des milliards ont été dépensés dans le domaine de la virologie, mais nous n’avons pas assez fait de recherches cliniques de santé publique », a dit M. Williams. « Il n’ y a que très peu de recherches qui ont été entreprises pour comprendre ce qui se passe actuellement ».
Idéalement, ce genre de recherche devrait porter sur des milliers de personnes pendant au moins cinq ans, en leur faisant régulièrement un test de dépistage.
Selon M. Williams, ce genre d’études n’a pas été fait, et les expertises détaillées sur l’impact des programmes de prévention spécifiques datent et sont peu nombreuses.
Sur la question épineuse de l’impact direct des programmes de prévention sur le taux de séroprévalence, M. Whiteside, en sa qualité d’épidémiologiste, n’a pas voulu avancer de réponse définitive. « Nous ne pouvons pas dire à coup sûr s’ils ont ou non une incidence sur le taux de prévalence » a-t-il dit.
« Il y a un processus naturel [de l’épidémie], et peut-être que nous l’avons sous-estimé… Le problème est que nous observons des faits qui mettent des années à se développer, alors que notre suivi et notre évaluation tendent à porter sur le court terme », a-t-il ajouté.
En l’absence de données fiables sur le long terme, M. Whiteside a estimé que l’interprétation correcte des chiffres du VIH résidait dans « une compréhension plus globale des évènements de nos sociétés ».
Il a suggéré que l’attention portée aux indicateurs sociaux, comme par exemple le taux de viols et le taux des jeunes filles enceintes, ou encore le nombre d’enfants qui terminent leurs études secondaires, pourrait fournir une preuve indirecte d’un changement de comportement, ou alors d’une absence de changement.
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