Depuis sa victoire aux élections de mai 2006, le président Idriss Deby a renforcé son pouvoir, noué des alliances avec ses adversaires politiques d’hier, et renégocié les contrats avec les compagnies pétrolières internationales présentes au Tchad pour s’armer et éradiquer les mouvements rebelles encore actifs dans le pays.
« Il y a un an, il semblait être sur la fin, mais la situation a tourné en sa faveur », a expliqué un diplomate occidental, qui a requis l’anonymat. « Avant le mois d’avril, Deby était sur le déclin; à présent, c’est un Deby tout revigoré que nous découvrons ».
Si certains analystes reconnaissent que pour l’instant le gouvernement de M. Deby semble plus solide, ils ne prennent toutefois pas le risque d’affirmer que le président tchadien est sur le point de trouver des solutions à long terme aux conflits qui secouent le Tchad, notamment dans la zone est du pays, proche de la région soudanaise du Darfour, où l’on compte entre 120 000 et 170 000 déplacés tchadiens.
De même, nulle part dans le pays l’on ne constate une amélioration de la qualité de vie des populations tchadiennes.
« Deby est un guerrier. La seule chose qui le préoccupe est sa propre survie », a affirmé un haut responsable humanitaire qui a requis l’anonymat. « Il est triste de constater que, malgré la manne pétrolière du pays, certains services sociaux de base sont complètement négligés. La plupart des gens sont démunis ».
Un Deby revigoré
Au cours des années 2005 et 2006, le président Deby semblait débordé par les évènements. Il avait fait face à une série de tentatives de coup d’Etat, à des désertions en masse de soldats et officiers de l’armée, ainsi qu’à de vagues de défections dans son cercle proche de hauts fonctionnaires membres de son groupe ethnique, les Zaghawa.
En avril 2006, le Front Uni pour le changement (FUC), un mouvement rebelle, était parti de l’est du pays et avait réussi à atteindre certains quartiers de N’djamena. L’attaque de ce groupe rebelle avait finalement été repoussée après de violents affrontements avec les forces armées tchadiennes qui avaient bénéficié pour la circonstance du soutien indirect de la France, l’ancienne puissance coloniale.
Cette chaude alerte semble avoir réveillé M. Deby. « A partir de cet instant, il s’est embarqué dans des actions très audacieuses dont personne ne pouvait imaginer qu’il s’en sortirait, mais il est allé jusqu’au bout », a reconnu un analyste à N’djamena.
En mai 2006, par exemple il a organisé et remporté les élections présidentielles, moins d’un mois après l’attaque sur N’djamena. Il a également réussi à convaincre Omar el-Béchir, le président soudanais que M. Deby accusait de soutenir la rébellion tchadienne, d’assister à la cérémonie de son investiture moins d’un mois après son élection.
La manne pétrolière
M. Deby s’est ensuite retourné contre les grandes compagnies pétrolières. En août 2006, il at unilatéralement décidé de changer les clauses des contrats liant son pays à ChevronTexaco et Pretronas et a exigé de ces sociétés pétrolières le paiement de plusieurs centaines de millions de dollars d’impôts.
Plus étrange encore, M. Deby a annulé l’accord passé avec la Banque mondiale qui stipulait qu’une bonne partie des revenus du pétrole tchadien devait servir à financer des services sociaux et un fonds pour les générations futures.
« Il baigne actuellement dans l’opulence que lui offre les revenus du pétrole, qui ont avoisiné l’année dernière 1,5 milliard de dollars, et en principe il peut faire ce qu’il veut de cet argent », a souligné un analyste.
La destination de cette manne financière saute à l’œil au palais présidentiel de N’djamena, où des douzaines de gardes arborent de toutes nouvelles armes automatiques, et selon certaines informations, le gouvernement aurait également commandé cinq nouveaux hélicoptères de combat.
Il est difficile de connaître le montant des dépenses en armement du Tchad, mais comme le souligne le ministre d’Etat Adoum Younousmi, le gouvernement n’a aucune honte à reconnaître qu’il investit beaucoup dans l’armement.
« Comme tous les Etats, nous devons acheter des armes pour défendre l’intégrité et la souveraineté de notre territoire », a-t-il déclaré.
M. Younousmi reconnaît également que ces dépenses militaires sont faites au détriment des services sociaux. Depuis le 2 mai, les enseignants, agents de santé et autres fonctionnaires ont déclenché un mouvement de grève pour exiger une augmentation de leur rémunération et le paiement des arriérés de salaires.
Pour le ministre Younousmi, les revenus du pétrole ne doivent pas servir à payer les fonctionnaires.
« Les revenus du pétrole sont trop instables. En conséquence on ne peut se baser dessus pour procéder à des augmentations de salaires », a-t-il fait remarquer. « Si nous augmentons les salaires aujourd’hui, nous aurons des problèmes demain ».
Réajustements politiques
La reprise en main des leviers politiques par Deby est le résultat d’intenses manœuvres diplomatiques et financières.
En décembre, M. Deby a négocié un accord de paix avec Mahamat Nour, son principal rival et leader d’une coalition de 13 groupes rebelles. En récompense, M. Nour a été nommé au poste de ministre de la Défense et deux autres commandants du FUC se sont vus attribuer des postes ministériels.
Des milliers d’ex-combattants du FUC ont alors intégrés les forces armées tchadiennes. Leur bonne connaissance des grottes de la région de l'est, dans laquelle ils se terraient auparavant, devrait fournir un atout non négligeable à l’armée dans sa lutte pour l’éradication des groupes rebelles encore actifs dans cette région.
Cependant, l’alliance avec l’ex-chef rebelle Nour pourrait constituer un danger pour M. Deby, certains estimant qu’elle pourrait conduire à sa perte.
En effet, M. Nour est soutenu par les Tama, une tribu arabe traditionnellement hostile aux Zaghawa, la tribu de M. Deby qui est majoritaire au sein des instances politiques et de l’armée. Certains membres de la communauté Zaghawa craignent que M. Nour, les membres de sa tribu et les gardes du corps du FUC n’aient accepté de venir à N’djamena pour attaquer de l’intérieur le régime de M. Deby.
L’alliance entre M. Deby et M. Nour a également accentué les dissensions au sein du clan des Zaghawa, poussant plusieurs hauts responsables du gouvernement et de l’armée à faire défection.
Quant à l’Union des forces pour la démocratie et le développement (UFDD), une autre coalition de groupes rebelles, elle a été fondée par un transfuge, Mahamat Nouri, ex-ministre de la Défense du gouvernement de M. Deby et ambassadeur en Arabie Saoudite avant sa défection survenue après les élections de mai 2006.
En octobre 2006, l’UFDD a attaqué Abéché. Pendant 24 heures, le groupe rebelle s’est rendu maître de cette capitale régionale qui fait également office de centre opérationnel de l’action humanitaire dans l’est du pays.
Au cours du même mois, le Rassemblement des forces démocratiques (RADF), autre groupe de rebelles constitué de transfuges, était arrivé aux portes de Biltine, autre capitale régionale de l’est du Tchad.
Plusieurs groupes arabes ont également rejoint le mouvement de M. Nouri, et d’autres mouvements hostiles à M. Deby se sont coalisés.
Il est difficile de dire avec certitude si l’on assiste aujourd’hui à une multiplication de mouvements rebelles ou si la rébellion devient plus complexe. Quelle que soit la raison, il est peu probable que M. Deby puisse négocier une solution globale, puisqu’il dispose actuellement de la puissance militaire lui permettant au moins de contenir tous ces mouvements.
« Tout le monde s’interroge sur l’impact de ces alliances sur la situation générale du pays, car s’il clair qu’à brève échéance M. Deby ne risque pas d’être renversé, à long terme, la stabilité du Tchad en souffrira », a commenté un analyste installé à N’djamena.
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