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A qui la terre appartient-elle ?

Prince Wegwu et sa famille sont propriétaires d’un terrain dans le delta du Niger, sur lequel 31 puits de pétrole ont été forés. Alors que des compagnies pétrolières extraient des milliers de barils d’or noir par jour, ni Wegwu ni sa famille ne tire profit des ressources de leur terre.

« Les compagnies pétrolières nous disent : ‘Nous n’avons pas le droit de vous verser directement de l’argent’ », a déclaré Prince Wegwu, qui dirige une association de jeunes à Aluu, un village situé dans la région pétrolière nigériane du delta du Niger.

L’Etat du delta du Niger est le théâtre d’une insurrection croissante, organisée par des militants armés qui sabotent les installations pétrolières et enlèvent des employés étrangers.

« Les compagnies pétrolières se justifient en disant : ‘nous versons de l’argent au gouvernement pour pouvoir utiliser la terre’, mais elles savent qu’elles utilisent en fait notre terre », a déploré M. Wegwu.

Le delta du Niger est la huitième région pétrolière la plus productive au monde. Cependant, sa population compte parmi la plus pauvre du Nigeria et de la planète.

Selon la plupart des habitants du delta, deux lois fédérales sont à l’origine de leur pauvreté : le décret pétrolier de 1969, en vertu duquel l’Etat est l’unique propriétaire des réserves de gaz et de pétrole du pays et en a le contrôle, et la loi sur le foncier de 1978, selon laquelle l’Etat peut exercer son droit de préemption sur l’ensemble des terres du Nigeria.

Pour beaucoup d’activistes du delta du Niger, les compagnies pétrolières devraient s’acquitter de rentes et de redevances pour l’utilisation des terres directement auprès des propriétaires et des communautés locales et, non auprès du gouvernement central.

Ils exigent également un retour à la constitution des années 1960 qui prévoyait une répartition égale des ressources entre le gouvernement fédéral et local.

Cependant, d’après eux, la loi sur le foncier a freiné les efforts des habitants et des communautés visant à obtenir des compensations lorsque leurs terres ont été réquisitionnées pour des activités pétrolières ou ont été polluées.

Au-delà du pétrole

La loi sur le foncier a été adoptée par le président sortant Olusegun Obasanjo, alors qu’il était chef de l’armée dans les années 1970. En vertu de cette loi, les terres « sont mises sous tutelle et administrées pour l’usage et le bénéfice commun de tous les Nigérians. »

« La logique à l’époque était que le gouvernement devait être le principal moteur de développement du pays », a expliqué Tayo Odubanjo, avocat spécialisé sur la question foncière, à Lagos.

La loi bafouait délibérément les droits coutumiers fonciers. Même les gens qui étaient propriétaires depuis des générations étaient privés de leurs terres, car à l’époque, on considérait que les communautés locales et les propriétaires terriens entravaient les efforts du gouvernement visant à utiliser plus efficacement la terre.

Vers l’adoption d’une nouvelle loi ?

Au cours de sa campagne électorale, le président nouvellement élu Umaru Yar'Adua s’est engagé à abroger la loi de 1978. Umaru Yar'Adua, qui prendra ses fonctions le 29 mai prochain, semble prêt à prendre le risque d’aller à l’encontre des intérêts de l’élite, qui a soutenu sa campagne et qui tire pleinement profit de cette loi.

Pendant la campagne électorale, Umaru Yar'Adua a choisi comme colistier, Jonathan Goodluck, gouverneur de l’Etat de Bayelsa et membre de l’ethnie ijaw. Le fait qu’il ait choisi un membre de l’ethnie majoritaire du delta du Niger comme colistier est largement considéré comme une tentative de gagner la confiance de la population de cette région du Nigeria.

Comme le prochain vice-président sera un Ijaw, le grand chef Edwin Clark a appelé les militants ijaw à poser leurs armes.

Toutefois, beaucoup de jeunes qui militent pour le contrôle local des ressources pétrolières demeurent sceptiques quant aux intentions de M. Yar’Adua. La question brûlante qui ne cesse de se poser concerne la nouvelle loi sur le foncier prévue par le nouveau président.

« Il n’a pas donné d’explications [sur la nouvelle loi] », a déclaré Wuloo Ikari, un activiste engagé dans la défense des droits des Ijaw.

Avec « l’abrogation de cette abominable loi, les ressources tirées du pétrole devront être immédiatement [transférées] du gouvernement fédéral aux groupes ethniques et aux communautés propriétaires des terres riches en pétrole », a-t-il dit.

Dans le cas contraire, la promesse faite par Umaru Yar'Adua sera considérée comme un « subterfuge [et] la lutte pour le contrôle des ressources du delta du Niger se poursuivra », a-t-il prévenu.

Cependant, selon l’avocat Odunbanjo, la restitution des droits fonciers à la population locale risque de créer de nouveaux obstacles au développement et à la répartition équitable des ressources du Nigeria.

« Je ne pense pas qu’abroger la loi soit la solution, il faut trouver un compromis entre les deux extrêmes », a conclu M. Odunbanjo.


« La loi aurait pu être tout à fait défendable, [mais] elle n’est parvenue à mettre en pratique ce qu’elle prévoyait » a déploré M. Odunbanjo.

Ces conséquences négatives sont non seulement visibles dans le delta du Niger, mais également dans l’ensemble du Nigeria, ont estimé de nombreuses recherches.

« En vertu de la loi, les pouvoirs économiques et politiques sont entre les mains de quelques individus qui en abusent », selon une recherche menée en 2006, par les universitaires Lasun Mykail Olayiwola et Olufemi Adeleye.

« Je ne pense pas qu’abroger la loi soit la solution, il faut trouver un compromis entre les deux extrêmes », a conclu M. Odunbanjo.

Dans un article publié en 2005, dans Global Urban Development Magazine, l’urbaniste Geoffrey I. Nwaka a souligné que la loi avait rendu « la procédure pour acheter et travailler la terre extrêmement bureaucratisée, difficile et corrompue. Les restrictions foncières, notamment celles qui s’adressent aux pauvres, ont incité plus en plus de gens à s’installer illégalement en périphérie des villes ou à occuper des terrains publics vacants. »

Une loi guidée par les enjeux du delta

En outre, la loi a été accusée d’avoir fait fortement chuter la production agricole nigériane, au cours des décennies qui ont suivi sa promulgation.

La loi a par ailleurs renforcé le système social quasi féodal en place dans le nord du pays, majoritairement musulman. En effet, dans cette région, les terres des paysans ont été réquisitionnées puis transférées aux émirs. Ces derniers ont forcé les paysans à travailler pour eux.

Bien que des indemnisations soient prévues par la loi afin de dédommager les paysans qui travaillaient les terres confisquées ou polluées, le montant de ces compensations est bien en deçà des prix du marché, et nombreux sont ceux à n’avoir jamais été indemnisés.

En outre, les communautés de pêcheurs sont rarement indemnisées car leurs réclamations ne reposent sur aucune preuve tangible. Le gouvernement et les compagnies pétrolières refusent, en règle générale, de reconnaître la valeur des terrains communaux.

En conséquence, les plaintes concernant les sanctuaires communaux et les forêts sacrées, qui fournissent la population en plantes médicinales et en gynérium sagittée, qui sert notamment à la confection de meubles en raphia, sont rejetées.

Bien que les experts reconnaissent que le gouvernement a initialement élaboré la loi avec, à l’esprit, le delta du Niger, afin que les compagnies pétrolières et lui-même puissent se lancer dans des activités pétrolières à moindre coût et plus facilement, ils soulignent également que ce sont les endroits où la loi a été la plus appliquée qui comptent le plus grand nombre de personnes privées de terres.

« Avant 1978, il était difficile pour les compagnies pétrolières de négocier avec les propriétaires terriens pour forer des puits de pétrole », a expliqué Patterson Ogon, le fondateur et directeur du Conseil du peuple Ijaw pour les droits de l'homme, basé dans le delta du Niger.

« Après l’adoption de la loi foncière, les propriétaires pouvaient se réveiller un matin et voir des compagnies pétrolières en train de forer des puits sur leur terrain, sans rien pouvoir s’y opposer », a-t-il conclu.

dh/dm/nr/cd/ail

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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