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Des élections voulues transparentes, sur fond d’inégalités raciales

A quelques jours des élections présidentielles prévues le 11 mars prochain, des centaines de tentes ont été dressées un peu partout dans les villes et les villages reculés de ce vaste pays désertique, chaque tente étant pavoisée aux couleurs d’un des 19 candidats.

Du soir jusqu’aux premières heures de la matinée, des hommes vêtus de « boubous » traditionnels brodés bleus ou blancs et des femmes parées de leurs «melhafa » - voiles – multicolores se baladent d’une tente à l’autre, faisant une halte de temps à autre dans l’une d’elles pour boire un verre de thé, allongés sur de somptueux tapis arabes, et discuter de leurs intentions de vote.

Etant donné la longue série des coups d’Etat et tentatives de coups d’Etat qui ont émaillé l’histoire de ce pays, les discussions portent généralement sur le candidat le plus à même d’assurer la paix et la stabilité pour empêcher le retour des militaires au pouvoir.

Contrairement aux trois dernières élections, remportées par l’ex-chef militaire Maaouya Ould Sid Ahmed Taya, celles-ci se présentent sous le signe de la transparence.

L’actuel chef d’état militaire, le colonel Ely Ould Mohamed Vall, auteur du coup d'Etat d'août 2005 qui a chassé du pouvoir l’ex-Président Taya, a introduit d’importantes réformes démocratiques qui ont permis notamment d’avoir un système judiciaire plus indépendant, un contrôle moins strict des médias, et une commission électorale indépendante qui fait de son mieux pour lutter contre les fraudes.

Le processus électoral a débuté par un référendum sur une nouvelle constitution, en juin 2006, suivi des élections municipales et législatives, la présidentielle étant la dernière étape de ce processus. Pour la première fois dans l’histoire de la Mauritanie, les Nations Unies apporteront leur concours technique dans la gestion des 12 millions de dollars versés par des donateurs, et jusqu’à présent, il y a eu très peu de contestations.

Cependant, beaucoup d’observateurs continuent de se demander si la mise en place d’un processus électoral plus transparent rendra la société mauritanienne plus égalitaire, car de toute évidence, la configuration raciale de l’élite politique n’a pas changé.

La liste des candidats fait largement la part belle aux Maures blancs, dans un pays où la majorité de la population est noire, qu’il s’agisse d’Africains appartenant aux groupes ethniques que l’on retrouve également dans la zone sud de la Mauritanie, aux frontières avec le Sénégal et le Mali, ou des Maures noirs, anciens esclaves des Maures blancs.

A trois exceptions près, la plupart des 19 candidats sont des Maures blancs qui ont participé à la vie politique du pays en tant que membres d’un gouvernement ou de l’opposition.

Messaoud Ould Boulkheir est l’un des Maures noirs candidats à la présidentielle. Il a axé sa campagne sur le thème de l’égalité des races. Mais lorsque le correspondant d’IRIN a visité à Nouakchott la tente exiguë et usée dressée par ses militants, il n’y a rencontré que des Maures noirs.

Un passé et un présent peu reluisants

Le fait que les Maures blancs dominent le paysage politique et économique du pays ne signifie pas que les Noirs font l’objet de discrimination, a affirmé à IRIN Sidi Yeslem Ould Amar Chein, responsable au ministère de l’Intérieur d’un service chargé de promouvoir la démocratie et la société civile

« Les individus ont simplement des capacités différentes, à des moments différents », a-t-il ajouté. « La démocratie est une sorte de compétition et ce n’est pas à l’Etat d’intervenir. L’Etat doit plutôt s’assurer que le système en place est équitable ».

Si le système électoral fonctionne correctement et si l’on accorde le même crédit à tous les votes, alors les candidats devraient se battre pour recueillir les voix de la majorité noire.

Jusqu’à présent, la plupart des candidats ont évité d’aborder la question des Maures noirs. Dans leurs documents de campagne électorale, ils parlent tous d’unité nationale en des termes assez généraux, plutôt que d’un véritable programme de société destiné à corriger les erreurs du passé ou à reconnaître les graves atteintes aux droits de l’homme commises par l’ancien régime.

Selon certains observateurs, les candidats sont peu diserts lorsqu’il s’agit de reconnaître la responsabilité du pays dans le massacre de quelque 500 soldats africains noirs enrôlés dans l’armée nationale mauritanienne. Ces exactions ont été commises par l’armée dans les années 80. A la même période, le gouvernement a ordonné l’expulsion d’environ 70 000 Afro-Mauritaniens noirs.

Près de 20 000 d’entre eux sont encore du côté sénégalais de la frontière sénégalo-mauritanienne et vivent dans des conditions précaires.

Cette question a récemment resurgi lorsque le gouvernement a refusé aux Mauritaniens expulsés le droit de s’inscrire sur les listes électorales.

« Nous pensions qu’en ignorant ces problèmes, ils disparaîtraient d’eux-mêmes », a indiqué un Maure blanc sous le couvert de l’anonymat. « Mais ces problèmes continuent de nous hanter », a-t-il ajouté.

Des chiffres qui parlent d’eux-mêmes

Jusqu’à présent, les candidats ne semblent pas faire grand-chose pour séduire l’électorat noir, a expliqué un diplomate occidental. « Je pense que c’est à cause de leur immaturité politique. Ils ne semblent pas réaliser que la majorité des électeurs sont d’origine africaine. Les candidats et leurs conseillers continuent de servir principalement les intérêts particuliers de l’élite mauresque blanche », a-t-il ajouté.

Selon les données fournies par différentes organisations internationales, plus des deux tiers des 3,2 millions d’habitants de la Mauritanie sont composés de Maures noirs ou d’Africains noirs, les Maures blancs ne représentant même pas le tiers de la population.

Beaucoup de Maures blancs contestent ces chiffres. « Nous représentons 70 pour cent de la population », a affirmé l’un deux au correspondant d’IRIN. « Les Maures noirs ne constituent que 15 pour cent de la population et les Africains noirs, 15 pour cent », a-t-il déclaré.

Le gouvernement de la République islamique de Mauritanie refuse de vérifier ou d’accepter ces données démographiques, car l’Islam considère la question des races comme hors de propos.

En réalité, les Noirs semblent partager cet avis, car la plupart d’entre eux ne fondent pas leur vote sur des considérations raciales. Il y a eu plus de Maures noirs et d’Africains noirs élus lors des récentes élections municipales et législatives de novembre que pendant toutes les élections précédentes, mais cela ne leur donne toujours pas une représentation égale à celle des Maures blancs.

Les Maures noirs ont des affinités avec les Maures blancs. Les membres de ces deux groupes raciaux se marient souvent entre eux et se regroupent au sein des mêmes tribus et clans où les Maures noirs sont parfois nommés chefs de tribu.

Pour certains observateurs, le vote des Maures blancs et noirs se fait sur des bases identitaires et suivant la consigne des chefs religieux.

« Nous avons déjà vu un candidat noir d’une autre région se faire élire à la place d’un chef de tribu blanc très impopulaire », a fait remarquer un observateur. « Mais pour les prochaines élections, les candidats chercheront à s’attirer le soutien des chefs de tribus et des chefs religieux, parce qu’ils sont convaincus que les électeurs suivront les consignes de vote de ces derniers ».

Unité de l’élite

Plutôt que d’aborder les problèmes d’égalité des races, le débat électoral semble plutôt se focaliser sur la crainte d’un retour aux rudes années de dictature militaire que la Mauritanie a connues depuis son indépendance.

Avec l’augmentation des enjeux politico-économiques liés notamment aux toutes premières recettes de la prospection pétrolière, les candidats mettent surtout l’accent sur la nécessité de préserver la stabilité du pays.

« Sans la paix, on ne peut rien faire », a souligné Moussa Ould Abdou, conseiller en communication du candidat à la présidentielle, Mohammed Ould Maouland.

Selon M. Abdou, le coup d’Etat de 2005 s’explique par les clivages observés au sein de l’élite blanche, et surmonter ces divisions constitue la première étape vers la stabilité.

« A droite, nous avons l’armée et les hommes d’affaires ; à gauche, il y a les intellectuels, les syndicats et les avocats, mais aucun groupe n’écoute l’autre. Le rôle du prochain président sera de réunifier l’élite mauritanienne », a-t-il ajouté.

Selon lui, il est hors de question de créer une nouvelle élite.

« Ce pays compte très peu de gens instruits. Si l’on retire le pouvoir à ces derniers, qui va les remplacer ? », s’est-il demandé.

Malgré l’avènement d’une nouvelle démocratie dans ce pays, beaucoup sont d’avis que le paysage politique mauritanien n’est pas vraiment différent de celui des anciens régimes. « L’on a tout changé pour que tout reste pareil », a résumé un observateur.

Selon Idoumou Ould Med Lamine, conseiller de l’ex-président et de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, un des candidats favoris aux élections, la société mauritanienne doit rester conservatrice compte tenu de sa configuration géographique.

« Les Mauritaniens vivent dispersés un peu partout dans le désert », a-t-il souligné. « Tout changement risquerait de nous diviser ».

Mais la plus grande préoccupation des Mauritaniens reste l’armée.

« Il nous faut rassurer les officiers de l’armée et leur promettre qu’ils conserveront leurs privilèges lorsque nous, les civils, seront au pouvoir », a déclaré le conseiller d’un candidat qui a souhaité garder l’anonymat.

Les militaires « contrôlent tout dans ce pays. Ce sont eux qui ont décidé de mettre un terme au régime militaire et de nous léguer un pouvoir entièrement démocratique. Ils pourraient tout aussi bien se lever un beau matin et nous le retirer », a-t-il poursuivi.


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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