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Montée de la violence à quelques jours de l’élection présidentielle

A l’approche de l’élection présidentielle, beaucoup craignent que la tradition historique de ce pays en matière d’élections paisibles ne soit mise à mal à l’occasion du prochain scrutin.

Jusqu’à présent, aucun mort ni blessé grave n’ont été déplorés au cours de la phase de préparation des élections prévues le 25 février. Mais la semaine dernière, les journaux sénégalais se sont faits l’écho tous les jours des dérives survenues au cours de la campagne : jets de pierre, batailles de rue entre militants de partis politiques rivaux, ou encore incendie et attaques des domiciles de leaders politiques.

« Tout le monde est inquiet, » a déclaré Mathieu Coly Seck, qui craint que son petit commerce de tapisseries ne soit pillé.

Mardi, un groupe d’inconnus a attaqué à Dakar la résidence d’Ousmane Tanor Dieng, un des 15 candidats à la présidentielle et leader du parti socialiste sénégalais, l’ancien parti au pouvoir. La presse sénégalaise a également rapporté que les domiciles de deux autres dirigeants politiques ont été incendiés.

''... L'époque où les masses rurales affirmaient que " le parti au pouvoir régnait par la volonté de Dieu " est révolue, ...''
Entre temps à Darou Mouty, une ville du centre du pays, sept personnes ont été blessées au cours d’une bataille entre militants de deux factions du parti au pouvoir.

Les observateurs craignent que les déclarations des hommes politiques ne créent un climat propice à des affrontements sanglants dans les semaines qui suivront la proclamation des résultats des élections.

« Chaque candidat exalte ses troupes, leur promettant la victoire si aucune fraude électorale n’est organisée », a indiqué Dominika Koter, une étudiante en doctorat de l’Université de Yale – Etats-Unis – qui vit à Dakar et suit de près le processus électoral.

« Et quelle que soit l’issue des élections, les perdants crieront à la fraude électorale, ce qui pourrait immédiatement déclencher de actes de violence », a-t-elle ajouté.

Aussi bien le PDS, le parti au pouvoir, que les partis de l’opposition se présentent à ces élections en ordre dispersé. En outre, les changements d’alliance entre les 15 candidats apportent encore plus de confusion dans le climat électoral et entretiennent les rumeurs de trahison et de manœuvres politiciennes.

Villes rebelles

A en croire Dominika Koter, le Président exercice, Abdoulaye Wade, serait le candidat qui aurait réussi à mobiliser le plus de foule, jusqu’à présent, mais il semblerait qu’il ait perdu dans certaines villes, le soutien de quelques circonscriptions clés.
« Ce qui est sûr, c’est que dans les zones urbaines, la plupart des personnes qui avaient voté pour le Président Wade, lors des élections de 2000 qui l’ont porté au pouvoir, sont à présent contre lui », a précisé Dominika Koter.

Au Sénégal, comme dans d’autres pays africains, les électeurs urbains, notamment les intellectuels et les jeunes, sont généralement considérés comme les agents du changement politique, ce qui ne les empêche, cependant, de rejeter assez rapidement le président qu’ils ont contribué à porter au pouvoir.

Toujours selon Dominika Koter, beaucoup de citadins sénégalais pensent qu’une bonne partie du pays est contre le Président Wade, mais ils ne tiennent pas compte de l’électorat des zones rurales.

Lors des élections de 2000, alors que Wade était le candidat de l’opposition, les électeurs des zones rurales ont, dans leur majorité, voté pour le président sortant, Abdou Diouf. « Il semblerait que le vote de l’électorat des campagnes soit plutôt favorable au candidat sortant, Abdoulaye Wade », a-t-elle ajouté.

De l’avis de certains chercheurs, les électeurs ruraux donnent généralement leurs voix au président sortant, car le parti au pouvoir utilise les moyens de l’Etat pour mettre en place des systèmes de clientélisme, avec la complicité des dirigeants locaux politiques et chefs religieux, un système que ces derniers n’hésitent pas reproduire également au niveau de la population locale.

« Même pour avoir l’autorisation d’avoir une chose aussi banale qu’un étal dans un marché local, ou une inscription dans une école, il faut souvent connaître le conseiller municipal local ou le maire », a affirmé Leonardo Villalón, auteur de l’ouvrage ‘Islamic Society and State Power in Senegal’, et directeur du Center for African Studies de l’Université de Floride.

Evolution des mentalités dans les villages

Pour M. Villalón et quelques autres chercheurs, la démocrate sénégalaise a évolué à tel point que les électeurs ruraux sont désormais prêts à ne pas renouveler leur confiance à leurs élus locaux, si ceux-ci ne font rien pour améliorer leurs conditions de vie ; ce peut laisser penser qu’un vote sanction contre M. Wade, lors des élections de cette année, ne serait pas à exclure.

« L’époque où les masses rurales affirmaient que « le parti au pouvoir règnait par la volonté de Dieu » est révolue, a souligné Ousmane Sène, directeur du Centre de recherche ouest-africain, à Dakar.

En outre, le rôle que les chefs religieux musulmans, appelés « marabouts » en Afrique de l’Ouest, jouaient en politique a également changé, a ajouté M. Sène.
« On ne voit plus de grands marabouts donner des consignes de vote à leurs disciples. A présent, ce ne sont que les petits marabouts [ayant moins de disciples] qui s’impliquent directement dans les affaires politiques ».

Malgré l’influence toujours présente des marabouts dans la société sénégalaise, il est peu probable que leurs actions puissent avoir un impact significatif sur les résultats des prochaines élections, ont ajouté MM. Sène et Villalón.

« En conclusion, même si dans les zones urbaines beaucoup d’intellectuels expriment leur désapprobation de la politique de M. Wade, personne ne peut prédire quel sera le vote de la majorité de cet électorat », a ajouté Villalón

L’armée réquisitionnée

Afin de parer à toute incertitude, les forces de sécurité sénégalaises affirment avoir été placées en état d’alerte maximum pour prévenir d’éventuelles violences.

Comme dans la plupart des pays francophones, la police sénégalaise est chargée de la sécurité dans les zones urbaines, la gendarmerie ayant la responsabilité de la sécurité dans les zones périurbaines. Mais ce qui est inhabituel au Sénégal, c’est que l’armée sera très présente le jour de l’élection ».

« Je pense que la police et la gendarmerie ne peuvent pas à elles seules faire tout le travail», a précisé le porte-parole militaire, Colonel Antoine Wardini, « et je pense que dans ce pays, les populations font réellement confiance à l’armée, car nous recrutons dans toutes les régions et ethnies du pays, et chacun a une sœur ou un frère dans l’armée ».

La première responsabilité de l’armée, le jour des élections, sera de sécuriser les zones rurales. «Un ou deux soldats seront postés devant chaque isoloir et un petit détachement de militaires sera déployé dans les grands bureaux de vote », a-t-il poursuivi.

« Des troupes de réserve seront également présentes dans les principales villes, pour prêter main forte, au cas où nous aurions des difficultés à restaurer la loi et l’ordre », a-t-il ajouté. « Nous sommes déjà en train de consulter les gouverneurs de chaque région, afin de repérer les éventuels foyers de tension et nous préparer en conséquence ».

Avec un tel haut niveau de tension et l’imprévisibilité des résultats, l’efficacité des forces armées sera décisive pour le maintien de l’ordre.

Mais selon M. Villalón, le comportement des candidats est tout aussi déterminant. « Bien évidemment, si un candidat demande à ses militants de descendre dans les rues et de jeter des pierres, ils pourraient le prendre au mot d’ordre », a-t’il précisé.

« Je pense que la classe politique sénégalaise s’est rendue compte qu’un changement de pouvoir peut se faire de manière pacifique et qu’il est préférable de respecter ce système démocratique plutôt que de le détruire ».


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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