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« Si tu n’es pas courageux, tu ne peux pas réussir tes études»

Le campus universitaire de Donka situé à Conakry, la capitale guinéenne, est peuplé de jeunes hommes vêtus de maillots de football, de jeunes filles aux décolletés plongeants et au téléphone portable greffé à l’oreille et de voitures en stationnement d’où s’échappe une musique assourdissante.

Comme dans toutes les autres universités du monde, les murs de l’Université de Donka, un établissement public et très animé, sont recouverts d’affiches sur le VIH/SIDA et les moyens de prévention, de dépliants publicitaires pour des concerts, de bulletins d’information sur les associations d’étudiants et de petites annonces.

La Guinée affiche l’un des revenus par habitant le plus bas de la planète, par conséquent les 14 000 jeunes qui étudient à l’Université de Donka sont extrêmement privilégiés.

Seul 30 pour cent de la population guinéenne sait lire et écrire et, parmi ce groupe, rares sont ceux à être allés au-delà de l’école primaire. Ainsi, en Guinée, un journal sert rarement à autre chose qu’à envelopper le pain.

Bien qu’ils s’estiment chanceux de pouvoir poursuivre des études supérieures à l’université, les étudiants de Donka doivent relever deux défis de taille : étudier entre quatre et six ans dans des conditions difficiles et trouver un emploi.

Des journées qui commencent tôt

Pour Fatima, étudiante en troisième année de médecine, une journée commence dès cinq heures du matin. Bien que les cours ne débutent jamais avant neuf heures, elle se rend deux heures en avance à l’université.

Elle sait que si elle arrive plus tard, tous les bancs de la minuscule salle de cours seront occupés. Des dizaines voire des centaines d’étudiants sont parfois contraints à rester debout au fond de la salle, certains doivent même suivre le cours depuis l’extérieur et écouter le professeur par la fenêtre.

Alors qu’ils sont plus de 1 200 à suivre le même cours, certains étudiants viennent à l’université avec des bouts de planche qu’ils utilisent en guise de chaise.

Les étudiants ont expliqué qu’ils s’étaient cotisés pour acheter un microphone à l’un de leurs professeurs pour qu’il puisse être entendu par tous.

« Si tu te retrouves coincé au fond de la salle ou à l’extérieur, cela ne sert pratiquement à rien de venir en cours », a regretté Fatima. « C’est comme si tu regardais une marionnette, tu vois juste des lèvres bouger sans jamais entendre un seul mot. »

Des études qui coûtent cher

Pour Fatima et ses amis étudiants, se lever à l’aube pour se rendre à l’université avant sept heures du matin n’est pas seulement une question de volonté.

En effet, la plupart des familles disposent d’un budget très serré à Conakry, une ville qui ne cesse de s’étendre et où un moyen de transport motorisé n’est pas un luxe, mais une véritable nécessité et où toutes les transactions se paient comptant.

En Guinée, l’inflation a progressé de 30 pour cent au cours des deux dernières années et le prix du carburant a augmenté de 288 pour cent, si bien que le trajet jusqu’à l’université est devenu onéreux.

Les étudiants doivent dépenser non seulement 60 000 francs guinéens (soit 10 dollars américains) par mois pour les frais d’inscription, mais presque autant chaque semestre pour les manuels. A cela s’ajoutent les frais des repas pris sur le campus. Fatima se demande bien comment elle va pouvoir payer désormais les 8 000 francs guinéens (soit 1,50 dollar américain) de frais de transport quotidiens.

Fatima avait pour habitude de partager un taxi qui la conduisait jusqu’à l’université, située à 45 minutes de chez elle. Mais depuis la hausse du prix du carburant, elle doit prendre un ‘magbana’, un de ces minibus bondés et tout rouillés qui dévalent les rues de Conakry.

Lorsque son père, un fonctionnaire, a un peu d’essence dans sa voiture, Fatima lui demande parfois de la déposer à l’université. Elle doit alors payer l’essence et le déjeuner de son père, ce qui lui revient plus cher que de prendre un bus ou un taxi.

Des notes qui se négocient

Pour avoir de bonnes notes à l’Université de Donka, il ne suffit pas d’être présent aux cours et de réussir les examens.
En Guinée, la corruption est omniprésente et l’université n’est donc pas épargnée par ce fléau.

En effet, chaque étudiant doit acheter le livre ou l’ensemble des ouvrages rédigés par son professeur et dépense ainsi jusqu’à 50 000 francs guinéens (soit 10 dollars américains) par mois. L’étudiant qui photocopie le livre au lieu de l’acheter reçoit systématiquement une mauvaise note du professeur, qui vérifie le matériel utilisé par chacun de ses étudiants.
Certains professeurs sont également accusés de demander de l’argent en échange d’une bonne note.

« Dans certaines matières, pour avoir une bonne note, il faut aller voir les enseignants en privé et leur accorder un peu de temps », a déclaré une des amies de Fatima, qui a requis l’anonymat – des propos confirmés par d’autres étudiants.

Les étudiants particulièrement démunis ou ceux qui n’ont pu assister à l’ensemble des cours doivent payer plus cher que les bons étudiants qui ont travaillé dur et obtenu de bonnes notes.
« Si tu as de l’argent et des contacts, tu n’as pas d’efforts à fournir ici », a ajouté l’amie de Fatima.

En outre, il est fréquent que les professeurs de l’Université de Donka n’assurent pas les cours. Ainsi, vendredi dernier, alors qu’IRIN souhaitait rencontrer l’enseignant chargé des cours de troisième année de médecine afin de discuter avec lui des allégations formulées par les étudiants, celui-ci était absent.

Le désengagement de l’Etat

Pour Alpha Diallo, le recteur de l’Université de Donka, les difficultés que rencontre l’université sont liées à un manque d’engagement de l’Etat. Depuis la création de l’université, en 1962, l’Etat n’a pas presque pas investi d’argent pour permettre aux jeunes Guinéens d’étudier dans de bonnes conditions.

Il a également signalé que l’université devait souvent se battre pour obtenir des financements de l’Etat, qui s’est engagé à payer 80 pour cent des frais d’inscription.

« Tous les problèmes que nous rencontrons sont liés à un manque de financement », a-t-il signalé. « Si nous avions de l’argent, nous pourrions mettre en place un système de bus pour les étudiants et construire de nouvelles salles de cours », a-t-il ajouté.

M. Diallo partage le point de vue des étudiants et reconnaît que les transports et les classes surpeuplées constituent des problèmes réels. Mais selon lui, l’université doit avant tout trouver une solution face au manque de professeurs qualifiés.
Officiellement, 400 professeurs enseignent à l’Université de Donka, mais la plupart d’entre eux occupent des postes à plein temps au sein de gouvernement ou travaillent comme internes à l’hôpital.

« En principe, tous les professeurs devraient être titulaires d’un doctorat, mais ils ne sont pas assez nombreux. Idéalement, nous devrions embaucher des professeurs provenant de l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest et au-delà, mais les salaires que nous proposons conviennent aux professeurs guinéens, mais sont jugés trop bas par les autres », a-t-il souligné.

Selon le rapport mondial sur le développement humain publié par les Nations unies en 2004, le gouvernement guinéen consacrait 1,8 pour cent de son PIB annuel à l’éducation, 2,9 pour cent à la défense et 0,9 pour cent à la santé.

Sans emploi à 26 ans

Même lorsque les étudiants parviennent à obtenir un diplôme, ils ne sont pas sûrs de trouver un emploi.

Bimba Dion Fonfana, un jeune Guinéen de 26 ans, a terminé ses études de sociologie l’année dernière. Ne trouvant ni travail ni stage dans son domaine, il vend actuellement des médicaments chinois peu coûteux sur le marché de la Médina, à Conakry.

« Je ne trouvais pas de travail. Ma cousine possède ce magasin et elle m’a proposé de travailler pour elle en attendant de trouver autre chose. J’aimerais devenir fonctionnaire, mais pour cela, il faut que je connaisse quelqu’un de bien placé », a-t-il dit.

Selon les Nations unies, l’économie post-socialiste de la Guinée ne progresse que de deux pour cent par an, une croissance bien en deçà des six pour cent nécessaires à la création de nouveaux emplois et à la lutte contre la pauvreté. Aucune information exacte sur le taux de chômage en Guinée n’est disponible.

Fatima et ses amies savent que leur prochain grand combat sera de trouver un emploi. Mais pour l’heure, elles préfèrent se battre pour terminer l’année universitaire.
« La vie est difficile ici », a rappelé Fatima. « Si tu n’es pas courageux, tu ne peux pas réussir tes études », a-t-elle conclu.

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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