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L’immigration clandestine, un lourd fardeau pour les mères

A Thiaroye-sur-Mer, un village de pêcheurs jadis prospère, situé à la périphérie de Dakar, la capitale sénégalaise, presque toutes les pirogues ont disparu de berges jonchées d’immondices d’où se dégage une odeur nauséabonde.

Il y a à peine un an, les jeunes pêcheurs étaient le moteur de l’économie du village. Aujourd’hui, par vingtaines, ils tentent, à bord de grandes pirogues, de parcourir les 1 500 kilomètres qui séparent le Sénégal de l’archipel espagnol des Canaries. Ces jeunes sont encouragés par leurs mères qui ressentent à la fois un sentiment de fierté et de remords.

« Nos maris sont polygames et nous, les épouses, nous nous livrons à une véritable compétition. Ainsi, la première qui parvient à faire partir un fils est considérée comme étant la meilleure épouse », a déclaré Abi Samb, vice-présidente d’une association locale de femmes qui lutte pour mettre un terme à l’immigration clandestine.

Des fils perdus en mer

Thiaroye-sur-Mer fait partie des villages de pêcheurs du Sénégal les plus touchés par cette fièvre de l’immigration.

Selon les estimations de l’Organisation internationale pour la migration (OIM), plus de 27 000 migrants ont débarqué cette année sur les côtes des Canaries et beaucoup ont péri en mer ou sont morts de faim et de fatigue.

Connaissant bien la mer, des douzaines de jeunes hommes de Thiaroye-sur-Mer n’ont pas réfléchi très longtemps lorsqu’ils ont réalisé qu’il était possible d’atteindre l’Europe à bord d’une pirogue. Ainsi, ils ont vendu leur matériel de pêche et leurs filets - leurs moyens de subsistance - et ont pu s’acquitter des frais de la traversée.

Beaucoup sont partis tenter l’aventure avec les encouragements de leur mère. Le cadeau le plus précieux qu’un fils puisse faire à sa mère est un billet pour la Mecque … ou une partie de son salaire.

Mais les mères, tout au moins celles qui vivent à Thiaroye-sur-Mer, ont cessé d’encourager leurs fils à affronter la mer. En effet, après que les éléments ont englouti leurs fils – une dame a confié avoir perdu quatre de ses fils -, certaines ont décidé d’agir.

Des mères en quête d’aide

Les femmes ont récemment invité un chef religieux musulman à dénoncer les dangers de l’immigration clandestine. Devant les villageois, il a déclaré qu’embarquer à bord de pirogues peu solides revenait à se suicider – l’un des plus graves péchés, selon le Coran.

Afin de décourager les nouveaux candidats à l’immigration clandestine, les femmes ont trouvé comme allié la Croix-Rouge espagnole, qui est très engagée dans la question de l’immigration.

Et pour donner le change aux nombreuses histoires qui circulent à propos de la réussite des émigrés clandestins en Europe – celles sur les échecs étant rarement relatées – l’agence d’aide humanitaire met en place une campagne de sensibilisation nationale destinée à montrer la dure réalité de la vie d’un émigré clandestin en Europe, a affirmé Sigfrid Soler, délégué de la Croix-Rouge à Dakar.

Dans le cadre de cette campagne, la Croix-Rouge envisage de faire appel aux femmes de Thiaroye-sur-Mer, aux lutteurs traditionnels connus du grand public et à des joueurs de football. Elle prévoit également de déployer des équipes dans les régions voisines afin de sensibiliser les populations aux dangers que représente un voyage jusqu’à l’archipel des Canaries.

La tête pleine d’idées … fausses

Aujourd’hui, la plupart ces candidats africains à l’immigration clandestine vers les îles Canaries sont mieux équipés que ceux partis braver les éléments en début d’année. Ainsi, ils emportent avec eux de la crème solaire, des jus de fruits et même des gilets de sauvetage afin de survivre à une traversée qui se révèlerait plus dangereuse que prévu.

Ils sont certes de plus en plus nombreux à avoir conscience des risques qu’ils prennent lorsqu’ils embarquent à bord des pirogues, mais la plupart d’entre eux partent avec de fausses idées en tête et ne savent pas ce qui les attend en Europe, a souligné Sigfrid Soler.

« Certains récits sont tout simplement invraisemblables. Ils pensent qu’ils vont être logés dans un bel hôtel, être nourris gracieusement et obtenir un emploi légal. Nous ne cherchons pas à convaincre ces gens de ne pas partir. Nous leur indiquons même la marche à suivre pour faire une demande de visa. Mais nous tenons aussi à leur dire la vérité », a-t-il précisé.

La vie pour ceux qui ont été rapatriés ou qui ne sont pas parvenus à atteindre les côtes des Canaries est encore plus dure qu’avant, car ils ont vendu tout ce qu’ils possédaient ou ont dépensé toutes leurs économies pour pouvoir payer le prix de la traversée. Une place à bord d’une grande pirogue peut se négocier jusqu’à 600 000 francs CFA (soit 1 100 dollars américains), l’équivalent de six mois de travail.

« Beaucoup de ces jeunes sont de véritables fardeaux pour leur famille car il ne leur reste plus rien. Ils sont tellement négatifs et déprimés que leur seule préoccupation est de repartir », a indiqué M. Soler.

A Thiaroye-sur-Mer, la plupart des personnes rapatriées passent leur journée à broyer du noir, à chercher des moyens de gagner de l’argent.

« Ils passent leur journée assis à la maison, à ne rien faire, nous craignons qu’ils ne commettent des délits », a reconnu Abi Samb.

Alors qu’Abi Samb s’entretenait avec les équipes d’IRIN, une femme vêtue d’un boubou pénètre dans la cour ensoleillée et s’adresse à elle en wolof, la langue locale. Tout à coup, le visage sombre d’Abi s’illumine.

« Elle m’a dit qu’elle venait juste de recevoir un coup de fil de son fils. Cela fait un mois qu’elle était sans nouvelles de lui. Il est arrivé sain et sauf aux îles Canaries et se trouve actuellement dans un camp. Il sera bientôt de retour », a déclaré Abi Samb d’un air visiblement soulagé.

La migration l’emporte

Cependant, comme la plupart des Sénégalais, les mères de Thiaroye-sur-Mer ont des avis partagés sur la question de l’immigration clandestine. En effet, tout en ayant conscience des dangers, elles considèrent l’immigration clandestine comme l’unique solution à la pauvreté.

Abi Samb fait partie de ces mères qui ont eu de la chance : son fils a réussi à rejoindre l’Italie, il y a six ans, et lui envoie de l’argent tous les mois. Mais il ne s’est toujours pas fait construire une belle maison comme celle du voisin, une superbe maison à étage que les villageois appellent ‘la maison de l’émigré’, dit-elle avec une pointe de jalousie.

Lorsqu’on lui demande si l’on peut mettre fin à l’immigration clandestine en augmentant l’aide au développement, M. Soler de la Croix-Rouge répond :

« A court terme, non. A long terme peut-être ».

« Le problème est que même les gens qui mènent une vie décente veulent partir du Sénégal », a-t-il regretté. « La plupart d’entre eux ne pensent pas que la qualité de vie soit meilleure en Europe. Mais ils partent dans le but de gagner un peu d’argent qui leur permettrait de rentrer et de mener une vie un peu plus digne dans leur pays d’origine. Aussi longtemps que leur pays ne pourra leur offrir cela, l’immigration vers l’Europe constituera un problème », a-t-il conclu.

//Cet article est le dernier d'une série six d'articles sur l'immigration clandestine.//

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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