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En espérant que la troisième tentative sera la bonne

Mansour a tenté à deux reprises de rejoindre les côtes de l’archipel espagnol des Canaries à bord d’une pirogue, mais en vain. Pourtant, ce Sénégalais de 42 ans, père de deux enfants, ne perd pas espoir d’immigrer un jour en Europe.

Comme des dizaines de milliers d’autres candidats à l’immigration clandestine, Mansour a embarqué à bord d’une grande pirogue en bois. En échange de ses compétences de navigateur, Mansour n’a pas eu à payer la traversée.

Ainsi, en avril dernier, équipé d’une carte maritime trouvée sur Internet et d’un système de positionnement par satellites (GPS), Mansour a promis de piloter l’embarcation jusqu’aux îles Canaries.

Mansour est toujours en possession de la carte qu’il a imprimée dans un cybercafé et n’hésite pas une seconde à montrer les grigris qu’un marabout lui a confectionnés pour le protéger durant la traversée.

« On a besoin d’être protégé, bien évidemment, et voilà ce que je porte lorsque je voyage », a déclaré Mansour en sortant trois ceintures en cuir d’un placard situé au dessus de son lit.

Un premier voyage ...

Mansour nourrit depuis longtemps l’espoir de travailler à l’étranger. Plus jeune, il avait fait des demandes de visa auprès des ambassades de l’Allemagne et du Portugal, mais ces demandes avaient été rejetées. Puis, il avait essayé à nouveau de partir pour l’Europe en intégrant une équipe de football, mais son rêve n’a pu se réaliser.

Cette fois-ci, il n’avait absolument pas prévu de tenter à nouveau l’aventure jusqu’à ce qu’un de ses amis d’enfance, bien introduit dans le milieu de la pêche, ne l’incite à affronter la mer.

Mansour avait déjà entendu parler de ces pêcheurs qui embarquent en masse à bord des pirogues à destination de l’Europe. Il avait même vu des images d’immigrés pleins d’espoir échoués sur les îles Canaries.

« C’était un phénomène nouveau », a-t-il expliqué. « Tout à coup, tout le monde s’est mis à parler de cela. Les propriétaires de bateaux gagnaient beaucoup d’argent. Un voyage pouvait leur rapporter au moins 10 millions de francs CFA (18 000 dollars américains).

Lorsque les premiers pêcheurs sont arrivés à gagner les côtes européennes, ceux qui étaient restés ici commencèrent à recruter des passagers », a-t-il ajouté.

Mansour a caché à sa famille qu’il était sur le point d’immigrer. Il lui a simplement dit qu’il partait travailler pendant quelques jours dans une usine de poisson, situé au nord de Dakar, la capitale. En réalité, Mansour s’est rendu jusqu’à une plage qui sert de point de départ pour l’Europe.

Mansour et ses 80 compagnons de bord n’ont malheureusement pas eu de chance et l’un des deux moteurs du bateau est tombé en panne en pleine traversée, et le capitaine a décidé de rebrousser chemin.

...Puis un deuxième ...

Mansour n’est pas malheureux dans le petit appartement d’une pièce, joliment décoré, qu’il occupe dans la cour de la maison familiale pleine de vie. Des portraits de famille sont épinglés sur la tête du lit qu’il partage avec sa femme et ses deux petites filles.

Cependant, sans travail depuis presque quatre ans, Mansour s’inquiète constamment de ne pas pouvoir offrir une éducation décente à ses enfants.

« C’est vraiment très difficile de trouver un travail ici », a-t-il affirmé. « Et même lorsque tu as un emploi, tu n’es jamais sûr d’être payé à la fin du mois. Je veux juste pouvoir gagner ma vie. J’aime ma famille. Je sais qu’en Afrique de l’Ouest, il y a des pays où la vie est bien plus difficile qu’au Sénégal.

Mais le propre de l’homme n'est-il pas de toujours chercher à aller l’avant ».

Ainsi, Mansour a décidé de tenter à nouveau sa chance. Il a vendu son bien le plus cher : un petit lopin de terrain sur lequel il avait projeté de bâtir sa maison. Avec les quelque 5 millions de francs CFA (soit 9 000 dollars américains) que lui a rapportés la vente, il a pu payer les frais de la traversée pour lui, ses deux frères et ses six demi-frères.

« Cette fois-ci, j’avais mis ma femme au courant et lui avais donné l’argent qu’il me restait », a confié Mansour. « Puis, j’ai demandé à mon père la permission de quitter le pays. Dans un premier temps, il s’y est opposé, puis après avoir réfléchi quelques temps, il m’a dit : ‘Si tu as pris cette décision, je dois te faire confiance’ », a-t-il poursuivi.

Et cette fois-ci encore, Mansour n’arrivera pas à destination.

A mi chemin, après avoir passé cinq jours en mer, la proue s’est brisée et la pirogue a commencé à prendre l’eau. Les plus jeunes candidats à l’immigration ont insisté pour continuer la traversée, mais Mansour a refusé.

« Je leur ai expliqué que c’était un signe de Dieu. Si Dieu ne veut pas que l’on continue notre chemin, nous devons lui obéir », a-t-il indiqué.

Après avoir trimé jour et nuit, les 87 passagers sont arrivés épuisés sur les côtes mauritaniennes. Mansour a appelé sa femme pour lui dire qu’il était encore en vie, puis avec ses frères et demi-frères, il a pris un bus jusqu’à Dakar.

... Et pourquoi pas un troisième ?

« Le voyage en lui même n’est pas si terrible que ça », a souligné Mansour. Il y a même un espace improvisé fait de sacs en plastique où les passagers peuvent se laver. La nourriture et l’eau sont comprises dans le prix de la traversée. En règle générale, les passeurs font en sorte qu’il y ait un moteur de rechange, des barils d’essence, un GPS et des réchauds, a-t-il précisé.

« La sécurité, ce n’est pas non plus un problème », a-t-il déclaré sur un ton toujours optimiste. « D’ailleurs, je n’ai pas peur de mourir. Je crois en Dieu ».

Mais un nouvel obstacle se profile à l’horizon. Sous la pression grandissante des pays européens, qui veulent à tout prix mettre un terme à l’afflux incontrôlé d’immigrants africains, en août dernier, le gouvernement sénégalais a mis en place des patrouilles côtières avec l’aide de l’agence européenne Frontex.

Traçant d’un air rêveur une route qui relie le Sénégal à l’Europe sur sa carte de navigation, Mansour a déclaré qu’il était pour le moment en « stand-by ».

« Les choses se compliquent », a-t-il reconnu. « Tout le monde fait profil bas et espère qu’il y aura moins de patrouilles d’ici deux ou trois mois. Mais si j’entends qu’une pirogue part demain, je serai du voyage ».

//Cet article est le troisième d'une série d'articles sur l'immigration clandestine.//

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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