« La guerre était inévitable parce que nous avions besoin de nos cartes d’identité”, a expliqué Adama Traoré, un des nombreux de combattants rebelles qui contrôlent la moitié nord de la Côte d’Ivoire. « Sans une carte d’identité, tu n’es rien dans ce pays ».
Ce jeune homme de 23 ans travaillait autrefois pour une agence humanitaire locale. Mais armes lorsque la guerre a commencé, il y a trois ans, il a pris les pour remplir une mission encore plus importante, selon lui : le combat pour l’égalité des droits des ivoiriens.
« Nous sommes mal traités. Beaucoup de nordistes ont été tués, battus ou ont subi des brimades pour rien », a-t-il déclaré à IRIN, non loin de Bouaké, le fief des forces rebelles, alors qu’il prenait une pause à la permanence qu’il assure au poste de contrôle situé sur la route principale qui mène vers sud, la région contrôlée par les forces gouvernementales.
La problème de l’identité est au cœur du conflit qui secoue actuellement la Côte d’Ivoire, le premier producteur mondial de cacao, et le poumon économique de l’Afrique de l’Ouest.
Il y a des décennies que le problème perdure, mais il a pris une nouvelle tournure politique dans les années 1990. En effet, après le seul coup d’état réussi de 1999, la délivrance de cartes nationales d’identité a été suspendue.
Pour les personnes ayant comme patronyme Traoré, Konaté et Ouattara, l’origine nordique de leur nom était une véritable source de problèmes.
A Abidjan, la principale ville du sud du pays, les agents de police harcèlent tout le temps les soi-disant nordistes aux postes de contrôle, les accusant systématiquement d’être de mèche avec les rebelles. Et dans la zone cacaoyière de l’ouest du pays, des conflits ethniques éclatent périodiquement et font de nombreuses morts.
A Bouaké, assis à l’ombre d’un arbre feuillu, quelques habitants de la veille génération affirment qu’ils désapprouvent les méthodes utilisées par les rebelles des Forces Nouvelles pour changer cette situation, même s’ils ne cachent pas leur frustration.
«Je les comprends parce que j’ai un nom a consonance nordique. Certes je ne m’appelle pas Ouattara, mais j’ai un nom qui a la même consonance. Appelez-moi M. Pas-Ouattara », a déclaré un vieil homme aux cheveux grisonnants.
Son fils aîné fait partie de ces 3 millions de personnes qui, selon les estimations de l’ONU, vivent en Cote d’Ivoire sans la carte nationale d’identité qui leur permettrait de voter ou de travailler sans autorisation.
« Cela fait 42 ans que je vis ici », a expliqué M. Pas-Ouattara. « Je suis Burkinabé. Je suis né là-bas, mais je me suis marié ici. J’ai eu mes 11 enfants ici avec ma femme, une ivoirienne. J’aime la Côte d’Ivoire ! ».
Les temps ont changé
Comme des millions d’autres personnes, M. Pas-Ouattara a quitté son pauvre et poussiéreux village au Burkina Faso pour les forêts du centre de la Côte d’Ivoire, lorsqu’il était un jeune homme à la recherche d’un emploi et d’une vie meilleure.
« Du temps d’Houphouët-Boigny, lorsque tu étais Malien ou Burkinabé comme moi, tu pouvais venir en Côte d’Ivoire et demander du travail et il te le donnait », a-t-il affirmé. « Mais ce n’est plus le cas maintenant. Tu demandes du travail, et si tu n’es pas Ivoirien, tu n’as aucune change d’en obtenir un ».
En Côte d’Ivoire aujourd’hui, il faut des dérogations spéciales pour qu’un non ivoirien puisse obtenir un emploi de professeur ou de fonctionnaire dans l’administration.
Mais ce n’était pas toujours le cas auparavant.
Félix Houphouët-Boigny, premier président de la Côte d’Ivoire après que le pays ait acquis son indépendance de la France en 1960, a perpétué la tradition française consistant à encourager les ressortissants des pays africains voisins à venir travailler dans les zones agricoles ivoiriennes.
Houphouët-Boigny - qui est mort en 1993, mais dont l’image orne toujours les murs des hôtels, restaurants et bars du pays - a transformé en plantations de cacao, de café et de hévéa de vastes étendues de terre de la forêt luxuriante qui recouvre le pays.
Alassane Ouattara a introduit la carte de séjour alors que le président Houphouët-Boigny était à l’article de la mort. Tout ressortissant étranger vivant et travaillant dans le pays devait disposer de cette carte qui a permis au gouvernement d’engranger d’importants revenus à un moment où le cours mondial du cacao avait chuté.
Cependant, lorsque Ouattara – né d’un père burkinabé et d’une mère ivoirienne – a convoité un moment la présidence, Henri Konan Bédié, le successeur désigné d’Houphouët Boigny, a amendé la constitution de manière à ce que seuls les personnes nées de père ivoirien et de mère ivoiriens puissent se présenter à la présidence, une mesure qui lui a permis d’écarter de fait son rival.
Ouattara -- exclu des présidentielles de 1995 et 2000 |
Résoudre le problème de l’identité
De nombreux analystes voient en l’exclusion de la candidature de M. Ouattara aux élections de 2000, remportées par Laurent Gbagbo, l’un des évènements déclencheurs de la rébellion de septembre 2002.
Et les questions de l’identité et de la nationalité ont d’ailleurs été au centre des différents accords de paix conclus pour une sortie de crise – de Linas-Marcoussis, en janvier 2003, à Pretoria II, en juin 2005.
Selon Antonio Monteiro, le haut représentant des Nations unies (ONU) pour les élections en Côte d’Ivoire, les problèmes juridiques touchant à l’identité ont maintenant été résolus, grâce à une série d’amendements constitutionnels décidés par Gbagbo, après Pretoria II.
«Toute personne, née d’un père ivoirien ou d’une mère ivoirienne ou ayant résidé ici depuis cinq ans, ou marié à un ivoirien peu acquérir la nationalité ivoirienne”, a expliqué Monteiro à IRIN.
« Mais c’est la mise en œuvre de ces amendements qui n’est pas facile. Maintenant, nous devons nous mettre d’accord sur la procédure d’identification, et dépasser les lois sur la citoyenneté ivoirienne », a-t-il ajouté.
Mais il sera plus difficile de changer les comportements que de modifier les lois, selon un diplomate occidental qui pense qu’il faudra d’autres affrontements avant que le problème de l’identité ne soit résolu.
« Ca fait des années que cela dure et cela ne sera pas résolu de sitôt », a déclaré le diplomate en poste à Abidjan.
Combattants rebelles en faction hors de Bouaké |
« Un jour un policier m’a dit que parce que je n’appelais Sidiki Konaté je ne pouvais être ivoirien. Il a dit que ma carte d’identité était volée ou falsifiée. Il l’a prise et l’a détruite », a-t-il raconté, mimant le geste de l’agent de police.
« Tout le système de ce pays est conçu pour opprimer certaines personnes », a déclaré Konaté. « Nous avons pris les armes, pas pour du pétrole, pas pour les diamants ou pour le pouvoir, mais pour dire qu’il y a des personnes en Côte d’Ivoire qui vivent comme des citoyens de seconde classe dans leur propre pays »
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