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Des ex-combattants squattent et exploitent illégalement une plantation d'hévéas

Deux ans après la fin de la guerre civile, des centaines d’ex-combattants d’un mouvement rebelle continuent d'occuper la deuxième plus grande plantation d’hévéas du Liberia.

Tous refusent de l’évacuer tant qu’ils ne bénéficieront pas de tous les avantages de l’aide à la réinsertion des ex-combattants promis par le gouvernement de transition installé par les Nations unies.

"Les autorités nous ont abandonnés et c’est pour cette raison que nous avons choisi de rester ici; et puis, advienne que pourra”, lance Lawson Koffa, le porte-parole du groupe d’ex-combattants du mouvement rebelle des Libériens unis pour la réconciliation et la démocratie (LURD).

Selon Koffa, près de 2 000 ex-combattants du LURD occupent illégalement la plantation de Guthrie qui s’étend sur 15 kilomètres, le long de la route principale reliant Monrovia à la frontière sierra-léonaise.

Une délégation des forces onusiennes de maintien de la paix s’y est rendue début avril pour discuter avec les ex-combattants, mais elle n’en a rencontré que 40.

Personne ne conteste le fait que les ex-combattants du LURD occupent la plantation de Guthrie depuis la fin de la guerre au Liberia, en août 2003, et récoltent le latex qu’ils vendent illégalement à des négociants de la capitale.

Des mises en demeure non suivies d’effets

Le mois dernier, le président du gouvernement de transition, Gyude Bryant, avait mis en demeure les ex-combattants d’évacuer la plantation.
Certes, ce n’était pas la première mise en demeure qu’ils recevaient des autorités; mais les précédentes, les ex-combattants l’ont tout simplement ignorée car ils sont durablement installés dans la plantation et ont transformé ses bureaux en chambres à coucher et en boutiques.

“Le gouvernement a décidé de restituer immédiatement la plantation à ses véritables propriétaires, la General Resources Corporation (GRC)”, a indiqué le ministre de l’Information, rapportant ainsi les propos du président Bryant.

D’après les documents que les autorités locales ont présenté à IRIN, le gouvernement de transition a signé un accord en mars 2004 avec la GRC, une société de capitaux libanais, l’autorisant à exploiter la plantation de Guthrie.

En novembre dernier, l’accord signé avec les ex-commandants du LURD stipulait que la plantation de Guthrie devait être restituée à son nouveau propriétaire le 31 janvier.

L’ordre de Bryant n’a pas été suivi d’effets.

"Pendant le désarmement, on avait promis une formation professionnelle aux ex-combattants qui souhaitaient apprendre un métier et des places dans des écoles pour ceux qui souhaitaient poursuivre leurs études", explique Koffa.

“Depuis, nous n’avons bénéficié d’aucune aide à la réinsertion", a-t-il ajouté". Nous resterons donc dans cette plantation jusqu’à ce que les Nations unies, le gouvernement de transition et les autres organisations internationales respectent leurs engagements".

Plusieurs projets de réinsertion avaient été initiés pour éviter que les ex-combattants ne provoquent des troubles dans le pays et dans la sous-région, mais le manque de financement n’a pas permis de mener à bien ces projets.

Plus d’argent pour financer les programmes de réinsertion

Le programme de désarmement mis sur pied par les Nations unies prévoyait de démobiliser entre 38 000 et 53 000 ex-combattants et leur garantissait une indemnité de reclassement de 300 dollars, ainsi qu’une formation scolaire ou professionnelle pour faciliter leur retour à la vie civile.

En définitive, ce sont un peu plus de 100 000 ex-combattants qui se sont présentés dans les sites de démobilisation des Nations unies, soit plus du double du nombre initialement prévu.

Il manquait donc près de 58 millions de dollars pour financer les projets de réinsertion qui auraient permis aux ex-combattants d’exercer un métier et de gagner honnêtement leur vie.

En janvier 2005, 4 000 d’entre eux étaient expulsés des établissements secondaires parce que la Mission des Nations unies au Liberia (MINUL) n’arrivait plus à payer leurs frais de scolarité. Le problème a été résolu quelques semaines plus tard, lorsque la MINUL est parvenue à collecter suffisamment de fonds pour leur permettre de reprendre les cours.

Dans un communiqué du 12 avril 2005, l’ONU indiquait que le Fonds d’affectation spéciale avait besoin de 39,5 millions de dollars pour mener à bien le programme de réinsertion des ex-combattants.

La semaine dernière, le porte-parole de la commission nationale de désarmement, démobilisation, de réintégration et de réhabilitation (DDRR), Molley Passaway, confiait à IRIN que les difficultés rencontrées par les ex-combattants étaient essentiellement dues au manque de financement.

"La commission est consciente des difficultés que rencontrent les ex-combattants de Guthrie et d’autres localités, particulièrement ceux qui n’ont pas encore bénéficié des programmes d’aide à la réinsertion,” explique Passaway. “Il y a un problème de financement, mais nous avons eu l’assurance des bailleurs que les fonds qui seront prochainement débloqués pour ces programmes seront destinés à ces ex-combattants”.

D’après les chiffres de la commission, un ex-combattant sur huit bénéfice actuellement du programme d’aide à la réinsertion.

Près de 7 200 sont inscrits dans des écoles et collèges et 6 670 suivent une formation professionnelle.

Selon Sando Johnson, député à l’Assemblée nationale de transition, les occupants illégaux de la plantation font peser une menace sur la communauté locale.

"Ils doivent évacuer la plantation de Guthrie immédiatement s’ils ne veulent pas être confrontés à la colère de la population locale qui continue d’être privée des ressources de la plantation", a-t-il ajouté.

"Certains habitants des comtés de Bomi et de Grand Cape qui travaillaient dans la plantation sont sans emploi actuellement à cause de cette occupation illégale", s’est plaint le député.

Des commerçants locaux plus prospères que jamais

“Nous entretenons de bons rapports avec les gens des villages et des villes environnantes”, a dit Koffa, le porte-parole des ex-combattants.

Et de nombreux villageois confirment ces propos.

"Nous vivons tous ici sans subir la moindre brimade ni la moindre menace des ex-combattants. Vous ne trouverez personne ici qui vous dira avoir été brimé ou menacé par les ex-combattants", explique Aaron Gbelly, un habitant de Gbah, un village situé au cœur de la plantation et le long de l’autoroute qui mène à la Sierra Leone.

En fait, les négociants de Gbah réalisent de bonnes affaires depuis que les ex-rebelles se sont installés dans la plantation.

"Ils sont nos principaux clients”, explique Zoe Kemonh, un vendeur de vêtements qui fait tous les jours la navette entre Monrovia et Gbah. “Aucun commerçant ne peut se plaindre d’avoir été battu ou de s’être fait voler sa marchandise”.

Le latex : une affaire juteuse pour les ex-combattants

Alors que les sanctions imposées par le Conseil de sécurité des Nations unies interdisent l’exportation du bois et des diamants du Liberia, afin de priver l’ancien président Charles Taylor de sources de financement pour se procurer des armes, le caoutchouc est encore exporté en toute illégalité.

Tous les jours, des négociants parcourent en voiture ou en camion les 35 km qui séparent la plantation de la capitale pour acheter du latex aux ex-combattants.

"C’est un véritable commerce. Nous vendons habituellement le sac de 50 kilos de latex à 6,50 dollars", explique Tamba, le responsable adjoint des ex-combattants de la section Division Dix dans la plantation de Guthrie.

"Parfois, la vente de latex rapporte à chacun entre 60 et 150 dollars par semaine", explique-t-il.

C’est plutôt une bonne à affaire dans un pays où les fonctionnaires et médecins confirmés gagnent moins de 20 dollars par mois.

"Avec cet argent nous subvenons à nos besoins et faisons des économies", ajoute Tamba.

Amos Pattern fait partie de ces nombreux hommes d’affaires qui achètent le latex brut aux ex-combattants. "Souvent, nous transportons le latex jusqu’à Monrovia et le vendons à des négociants de société comme Firestone qui ne veulent pas se déplacer. Le latex est ensuite exporté vers l’étranger”, précise-t-il.

Certaines sociétés américaines ont commencé à planter des hévéas dans les années 1920. La plus grande plantation du pays, propriété du fabricant américain de pneumatique Firestone, se trouve près de l’aéroport international de Monrovia dans le secteur Est de la ville.

Des mercenaires sierra-léonais présents au sein des LURD

Selon Koffa, parmi les ex-combattants présents dans la plantation, plus de 500 sont des sierra-léonais recrutés par le LURD. Ils ont combattu pour les Kamajors, une milice pro-gouvernementale, pendant la guerre civile sierra-léonaise de 1991-2001, a-t-il ajouté.

Abdul Karim Kamara, alias "Scorpion", a confié IRIN qu’il faisait partie de ces mercenaires.

"J’ai quitté les Kamajors en 2002 pour rejoindre le LURD et lorsque la guerre a pris fin dans mon pays et au Liberia, certains d’entre nous se sont retrouvés coincés dans cette région”, explique Kamara.

Les trois factions armées rivales ont recruté des combattants guinéens, sierra-léonais et ivoiriens. A la fin de la guerre, en août 2003, les forces onusiennes de maintien de la paix ont désarmé près de 600 combattants étrangers dont la plupart était originaire de la Guinée et de la Sierra-Leone.

"Nous ne sommes pas prêts de partir d’ici”, indique Kamara. “Nous avons même peur de retourner en Sierra-Leone".

“C’est le latex de la plantation de Guthrie qui nous fait vivre; et nous resterons ici tant que le gouvernement et les Nations unies ne nous réinstalleront pas dans une ville ou nous pourrons suivre une formation”, a-t-il conclu.

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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