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Affrontement inter-ethnique dans la zone de confiance

En Côte d’Ivoire, quelques insultes échangées entre deux enfants de groupe ethnique différent suffisent désormais à déclencher une bagarre générale entre voisins.
A Boli, une grande bourgade au cœur de la zone de confiance qui sépare les forces gouvernementales et les rebelles en Côte d’Ivoire, les maisons ont été incendiées, le bétail massacré et plusieurs personnes blessées.
Près d’un millier de membres de la communauté dioula minoritaire ont fui Boli le mois dernier pour se réfugier en zone rebelle.

Les forces onusiennes de maintien de la paix ont été appelées pour rétablir l’ordre mais il leur a fallu six heures pour arriver de Bouaké, la capitale des forces rebelles située à 75 km au nord de Boli.

En dépit de l’accord de paix signé à Pretoria entre le président Laurent Gbagbo et le mouvement des Forces nouvelles pour relancer le processus de paix, dans de nombreuses localités la situation reste très tendue.

Comme c’est le cas à Boli, un gros village de 8 000 habitants situé le long de la voie de chemin de fer qui relie le port d’Abidjan au Burkina Faso, les musulmans du nord de la Côte d’Ivoire sont considérés comme des sympathisants des forces rebelles et les chrétiens du sud comme des partisans du président Gbagbo.

Les affrontements qui ont eu lieu le 30 mars à Boli présentent toutefois une particularité : ils se sont produits dans la zone de confiance, une zone démilitarisée entre les lignes de front des forces gouvernementales et des rebelles où aucune présence des deux protagonistes n’est acceptée.

Les forces onusiennes et françaises de l’ONU qui contrôlent cette zone de confiance sont supposées y assurer la sécurité.

“J’ai commencé à faire l’appel pour vérifier les présences”, a expliqué le chef de village, Nana Paul Kouadio Yao, membre de la communauté baoulé majoritaire à Boli.

"Un adolescent dioula s’est mis à se moquer d’un garçon baoulé handicapé”, a t-il ajouté.

“La nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre, chaque clan considérant qu’il avait été injurié. Deux jours plus tard, les Baoulés de tous les villages voisins sont arrivés à Boli armés de fusils de chasse traditionnels, de machettes et de gourdins, prêts à en découdre avec le clan adverse”, explique Yao.
[Cote d'Ivoire] Nana Paul Kouadio Yao, chief of Boli village, 75 km from Bouake where inter-ethnic attacks between the Baoule and the northern Dioula razed scroes of Muslim-Dioula homes and businesses. Hundreds were displaced
Nana Paul Kouadio Yao, chef du village de Boli


Au début, près d’un millier de membres de la communauté dioula du village ont été déplacés. Trois semaines après ces incidents, plus de 400 d’entre eux ont choisi de rester chez des parents ou des amis vivant dans d’autres localités, a indiqué le Programme alimentaire mondial (PAM) de l’ONU. Un peu plus de 200 se sont réfugiés à Bouaké et 230 sont allés à Raviart, à 15 km de Boli.

De veilles tensions ethniques aggravées par la guerre civile

Les dioulas sont des musulmans originaires du nord de la Côte d'Ivoire, le fief de la rébellion, mais la plupart de ceux qui vivent à Boli y sont installés depuis des générations.

Contrairement aux rumeurs qui circulent, Yao, le chef du village de Boli, ne pense pas que l’affrontement entre les communautés dioula et baoulé du village est lié à la situation politique qui prévaut dans le pays.

“Cela n’a rien à voir avec la situation politique du pays. Lorsque j’étais adolescent dans les années 1950, les même problèmes se posaient déjà”, explique-t-il.

Les vieilles tensions ethniques observées dans les villages depuis des années ont été aggravées depuis le début de la guerre civile en septembre 2002, en particulier dans les régions du sud où des ressortissants du nord de la Côte d’Ivoire et des immigrants d’autres pays d’Afrique de l’ouest sont parfois persécutés par leurs voisins ou par les forces de l’ordre et les miliciens pro-Gbagbo.

Les campagnes de haine lancées à la radio, à la télévision nationale et dans la presse abidjanaises n’ont fait qu’accroître la méfiance entre ces différentes communautés.

A Boli, des dizaines de maisons appartenant à des Dioulas ont été incendiées et parce que les dioulas sont généralement des commerçants, le marché a aussi été incendié.

“Lorsque je les ai vus arriver avec les fusils de chasse et leurs gourdins, j’ai abandonné ma boutique et je suis allé me réfugier à l’autre bout du village”, explique Lassina Zourme.

Assis au milieu des restes carbonisés de son magasin où il vendait toutes sortes d’articles, du savon, aux conserves en passant par les sacs de ciments, Zourme pense que le marché ne rouvrira plus car trop de dioulas ont peur de revenir au village.

“De nombreux Dioulas sont partis et ne sont pas revenus. Leurs maisons et boutiques ont été incendiées et saccagées. Ils ont trop peur de revenir maintenant. Ma mère est partie s’installer à Bouaké, mais moi je ne sais pas où aller”, a-t-il confié à IRIN.

“Ce n’est pas facile, non pas parce que la situation est dangereuse, mais parce que je n’ai pas d’argent,” explique-t-il. “Je suis marié, j’ai une femme et deux petites filles. Nous dépendons de l’aide d’autres personnes pour vivre.”

Le PAM a distribué à tous les adultes déplacés un mois de rations d’huile, d’haricots, de maïs et de biscuits protéinés.

“Nous venons en aide aux personnes déplacées et à celles qui sont restées sur place, puisqu’elles ont perdu leur récolte pendant les affrontements”, explique Mamadou Diarra, le responsable de la logistique du PAM à Bouaké.

Vêtu d’un boubou blanc, Baboukary Traoré, le chef de la communauté dioula de Boli, explique que les assaillants baoulés s’en sont également pris à la mosquée.

“Regardez !” Ils ont fracassé la porte de la mosquée et saccagé tout ce qui s’y trouvait”, indique-t-il au milieu des restes calcinés de sa maison.
[Cote d'Ivoire] A child in Boli, 75km south of Bouake, standing before what was once the village bakery before it was destroyed in an inter-ethnic clash.
Un jeune garçon devant les restes calcinés de la boulangerie de Boli


Partis pour ne plus revenir

Soumauka Sylla est dioula et planteur de coton. Lui aussi a dû fuir le village. Avec ses trois femmes, il s’est installé à Raviart, à trois heures de marche, et s’est juré de ne plus revenir à Boli.

“Je suis parti avec toute ma famille et même le chien que vous voyez là-bas !” a-t-il dit en désignant du doigt le petit bâtard qui se prélasse à l’ombre pour fuir la chaleur étouffante de l’après-midi.

“Que voulez-vous faire d’autre lorsque tout a brûlé : vos habits, votre chambre à coucher, votre salle à manger et que vous avez vos enfants sous le bras ? Non, il n’est pas question de retourner à Boli”, a ajouté Sylla, qui se plaint aussi d’avoir perdu sa récolte de coton, tout son argent et ses biens.

“Ils ont tué deux bœufs de notre collectivité – des bêtes adultes qui coûtent chacune près de 250 000 CFA (500 dollars environ). Nous nous sommes cotisés et les avons achetés dans le cadre de la coopérative. Ils nous en restent 35 maintenant et je les ai emmenés avec nous.”

“Si je construis ma maison à Boli, ils vont la saccager. Je préfère donc construire à Raviart. J’ai des relations ici”, a conclu Sylla.

Pour Sylla, Yao, le chef baoulé du village de Boli, porte l’entière responsabilité des incidents puisqu’il a fait appel aux habitants des villages voisins pour attaquer la communauté dioula du village. Yao a nié toute implication dans cette affaire.

“J’étais absent de la ville le jour des événements; et si je ne m’étais pas impliqué personnellement pour calmer les gens à mon retour, la situation aurait pu être beaucoup plus grave. A neuf heures du matin j’ai informé les forces de l’ONUCI (l’opération des Nations unies en Côte d’Ivoire) de ce qui se passait, mais elles ne sont arrivées à Boli qu’à 15 heures”, a t-il précisé.

“Lorsque je leur ai demandé pourquoi elles arrivent si tard, un des officiers m’a répondu que la route était mauvaise; mais Bouaké est à deux heures de route et il ne faut pas six heures pour se rendre à Boli que je sache” a fait remarquer Yao.

L'ONUCI tarde à intervenir

Sylla aussi ne comprend pas pourquoi les forces de l’ONUCI ne sont pas arrivées plus tôt.

“Il y a une base française à Raviart, juste derrière ces maisons”, a-t-il ajouté en pointant du doigt la colline.

Pour l’officier responsable de la base française où 30 soldats se relayent toutes les deux semaines, son unité n’a pas pu intervenir parce que l’ONUCI ne lui a pas donné l’ordre de le faire.

“Je n’étais pas d’astreinte à Raviart lorsque les incidents se sont produits; mais avant que nos forces n’interviennent dans une affaire locale, il nous faut un mandat de l’ONUCI”, a confié à IRIN le lieutenant Blanc.

“Bien sûr que nous ne serions restés pas assis les bras croisés à regarder les gens s’entretuer devant nous. Pour qu’on puisse intervenir dans ce cas, il aurait fallu une demande de l’ONUCI. Et nous n’en avons pas eu”.

A Bouaké, le major général Bezzani commandant la section des forces de l’ONUCI a affirmé que ses troupes se sont rendues sur les lieux des incidents dès qu’elles ont pu.

“Nous avons été informés de l’incident vers 11h 30 ou 12 h, mais certainement pas à 9h. La route était en mauvaise état et les véhicules militaires ont mis trois heures pour arriver à Boli”, a-t-il expliqué.

“Le problème est qu’il y a toujours des rumeurs qui circulent et que notre mission est de contrôler la situation entre les FANCI (l’armée gouvernementale) et les Forces nouvelles”, a-t-il ajouté.

Yao, le chef de village baoulé de Boli a exhorté tous les villageois dioulas à revenir et les assurer qu’ils seront en sécurité.

“Tous les problèmes ont été résolus. Ils doivent revenir au village maintenant. Nous avons plus à gagner en vivant ensemble et en harmonie qu’à vivre séparément” a-t-il conclu.

Yao va commencer à collecter des fonds pour démarrer la reconstruction des maisons et boutiques incendiées dans le village.

Comme Yao, mais pour d’autres raisons, Zourme reconnaît que les choses iront mieux à Boli s’ils arrivent à surmonter les incidents du mois dernier.

“Etant donné que le marché a été incendié, la boutique la plus proche est à des heures de route d’ici”, s’est plaint Zourme. “Et pour acheter des pièces de voiture, il faut se rendre à Bouaké”.

“Il faut tout reconstruire alors que dans ma boutique je vendais du ciment. Désormais, il faudra aussi aller le chercher à Bouaké”, a-t-il lancé sur un ton maussade.


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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