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Contrebande, corruption, révision de la constitution : quel avenir pour le pays ?

Les voitures se font rares dans les stations service modernes de Cotonou. Dans la plupart de ces stations, les pompes sont vides et le personnel désœuvré.

Pourtant, devant des présentoirs de fortune installés aux abords des routes de Cotonou, des milliers de motocyclettes font la queue pour se procurer de l’essence de contrebande que des trafiquants vont chercher au Nigeria.

“On nous amène deux bidons par jour. Ils viennent de la frontière en scooter” indique Jacques qui gère avec sa mère un de ces petits commerces illicites de carburant dans une des artères principales de Cotonou, la capitale du Bénin.

L’essence de contrebande, appelée “kpayo”, est livrée dans des bidons de 50 litres, Jacques et sa mère transvasent ensuite le précieux carburant dans de vieilles bouteilles de whisky et de rhum d’un litre. Accessoirement, ils vendent aussi de l’huile de moteur dans de petites bouteilles de Fanta présentées sur leur table en bois à côté d’une dame-jeanne de 20l d’essence proposée aux automobilistes.

Certes, la qualité et la pureté du produit laissent à désirer; mais cette essence est 20 pour cent moins cher que le carburant vendu à la pompe dans les stations de service agréées qui, aujourd’hui, n’ont plus une goutte d’essence à proposer à leurs clients.

L’odeur incommodante des déversements de carburant est partout et il suffirait d’une étincelle pour provoquer une explosion qui embraserait tout dans un rayon de 10 mètres.

Au Bénin, la vente de carburant de contrebande dure depuis plus de 20 ans, car les trafiquants béninois savent que le gouvernement du Nigeria, premier producteur africain de pétrole, continue de subventionner la vente d’essence sur son territoire.

Au Nigeria, le litre d’essence coûte actuellement l’équivalent de 40 cents. Il coûte un peu plus cher du côté de la frontière béninoise, à Sémé, le principal point de passage entre les deux pays, et il est vendu à 60 cts à Cotonou, la capitale du Bénin, à une heure de route de ce point stratégique

Un trafic dangereux, mais rentable

Bien qu’elle soit dangereuse et illicite, la vente d’essence kpayo permet à des milliers de Béninois d’avoir une activité lucrative et les autorités semblent bien s’accommoder de ce commerce clandestin.

En août 2004, les forces de l’ordre s’en sont prises aux trafiquants d’essence à Porto-Novo, à environ 35 km à l’Est de Cotonou, pour tenter de mettre fin à ce commerce illicite. L’intervention de la police a fait quatre morts et provoqué des émeutes à Porto-Novo.

Aujourd’hui, le trafic a repris de plus belle et la police ne fait rien pour l’arrêter.

Et comme pour illustrer cet état de fait, à quelques mètres du présentoir de Jacques, un officier de police remplit le réservoir de sa voiture avec de l’essence kpayo achetée auprès d’un autre revendeur.

A Cotonou, de nombreux automobilistes se rendent à la localité de Sémé, du côté de la frontière nigériane, pour faire le plein d’essence. Et dans cette ville que les Béninois appellent ironiquement “Koweit City”, des files interminables de voitures immatriculées au Bénin se forment tous les samedi.

La pénurie de carburant dure depuis plusieurs mois dans ce petit pays d’Afrique de l’ouest où les autorités tardent à autoriser une nouvelle augmentation du prix du carburant demandée par les importateurs pour répercuter la hausse rapide du prix du baril de pétrole sur le marché international.

En dépit des deux augmentations de prix décrétées par le gouvernement pendant cette période, les distributeurs considèrent que les propositions faites par les autorités sont insuffisantes.

Pourquoi importer du carburant et le vendre à perte ?

“La solution, c’est la vérité des prix”, explique Chakirou Tidjani, secrétaire général de la Chambre de commerce et d’industrie du Bénin.

Selon Chakirou, on ne peut pas demander aux distributeurs privés agréés d’importer du carburant et de le vendre à perte, lorsque les cours mondiaux du pétrole ont atteint des records et que le baril de pétrole se vend à plus de 50 dollars.

Toutefois, Tidjani n’accuse pas les distributeurs de vouloir créer artificiellement cette pénurie de carburant et de bloquer les nouvelles importations de pétrole en attendant que le gouvernement accepte les augmentations qu’ils exigent.

Même si les autorités gouvernementales n’ont fait aucun commentaire à ce sujet, tout le monde au Bénin pense que cette pénurie de carburant est purement artificielle.

Pompiste dans une station d’essence de la Sonacop, une société privatisée qui se taille la plus grosse part du réseau de distribution, Valère résume ainsi le sentiment général.

“On dit que c’est une pénurie artificielle pour faire monter les prix”, explique-t-il.

Valère n’a plus que 400 litres de gasoil à vendre. Il les réserve pour les véhicules de secours, quelques véhicules officiels et un ou deux amis.

D’un signe de la main, il venait d’informer le chauffeur d’un bus du ministère de la Santé qu’il n’avait plus d’essence à vendre; mais à son ami arrivé en scooter quelques instants plus tard avec un bidon d’essence, il lui a servi 20 l d’essence.

“C’est pour le groupe à la maison” a-t-il lancé, avec un large sourire.

L’absence d’informations officielles sur la pénurie de carburant et l’apparente impunité dont jouissent les trafiquants de carburant traduisent la même ambiguïté de la classe politique béninoise.

[Benin] A motorcycle taxi plies for trade on the streets of Cotonou.
Un taxi-moto dans les rues de Cotonou
Kérékou chercherait-il à briguer un nouveau mandat ?

Selon de nombreux articles parus ce mois-ci dans la presse locale, le président Mathieu Kérékou aurait tenté de verser des pots-de-vin aux députés de l’Assemblée nationale pour qu’ils consentent à modifier la Constitution pour pouvoir briguer un nouveau mandat de cinq ans aux prochaines élections présidentielles de 2006.

La semaine dernière, un ministre du gouvernement a fait part de son indignation face à de telles allégations que la présidence n’a d’ailleurs pas encore démenties.

Une douzaine de quotidiens ont rapporté que deux conseillers spéciaux de Kérékou auraient offert sept milliards FCFA (14 millions de dollars) de prime aux 83 députés de l’Assemblée nationale pour les inciter à voter les modifications requises.

Kérékou, qui domine la scène politique béninoise depuis plus de 30 ans, n’a pas de parti politique.

A l’instar du président malien Amadou Toumane Touré, Kékérou est soutenu par de nombreux petits partis politiques dont les leaders attendent en retour quelques faveurs de leur mentor.

Ce système bien rodé rend donc très crédibles les articles rapportant les primes versées aux députés de l’Assemblée nationale.

Ancien général d’armée, le président Kérékou qui apparaît rarement en public n’a pas déclaré officiellement qu’il comptait briguer un nouveau mandat, ni qu’il souhaitait modifier la Constitution à cet effet.

Très peu de personnes doutent de la véracité de ces articles et les allégations selon lesquelles Kérékou aurait tenté de corrompre des députés pour faire voter un amendement de la Constitution ne surprennent personne.

Deux millions de dollars de pots-de-vin

En début d’année, les autorités béninoises avaient refusé de commenter les révélations faites par la Commission des valeurs mobilières des Etats-Unis (SEC) au sujet de la condamnation de Titan, une société de sécurité et de communications travaillant pour le ministère de la Défense américain. La société Titan a été accusée et condamnée aux Etats-Unis pour avoir versé illégalement deux millions de dollars sous forme de contribution à la campagne de réélection de Kérékou en 2001.

Selon la SEC, cette somme a été versée à un moment où la société Titan souhaitait multiplier par quatre le montant des frais qu’elle facturait pour la gestion d’un réseau téléphonique au Bénin. Peu de temps après la réélection de Kérékou, l’augmentation demandée par la société Titan lui a été accordée.

La corruption au Bénin est endémique. Les autorités avaient envisagé l’année dernière de traduire en justice de nombreux magistrats accusés de corruption et de détournement de deniers publics.

Dans un rapport sur les droits de l’homme au Bénin, le Département d’Etat américain indiquait que le système judiciaire du pays était “inefficace et corrompu”.

Bien qu’on ne note aucun enrichissement personnel de Kérékou pendant ses longues années de pouvoir, de nombreux observateurs béninois indiquent que le phénomène de la corruption touche l’entourage du président.

Dans l’éditorial de son numéro de mercredi dernier, le quotidien Le Républicain indique que le palais présidentiel est devenu ces dernières années “une véritable écurie d’Augias au sein de laquelle la plupart des collaborateurs du Chef de l’Etat puent la crasse de la corruption et des pratiques très peu orthodoxes”.

Du marxiste orthodoxe au chrétien libéral

[Benin] Statue of former Communist dictator Todor Zhivkov in Place de Bulgarie, Cotonou.
Statue de l'ancien dictateur communiste Todor Zhivkov à la place de la Bulgarie, à Cotonou
De nombreux Béninois pensent que Kérékou, appelé le “Caméléon” pour sa reconversion extraordinaire de marxiste orthodoxe en chrétien libéral, se maintiendrait au pouvoir s’il le pouvait.

Jusqu’à présent, aucun concurrent sérieux n’est apparu sur la scène politique béninoise pour remettre en cause son leadership.

Kérékou a accédé au pouvoir dans cette ancienne colonie française de sept millions d’habitants à la faveur du coup d’état militaire de 1972.

Commandant de l’armée, il avait immédiatement adopté l’idéologie du marxisme léninisme et demandé à la population de remplacer le “bonjour” usuel par un salut avec le poing levé ponctué de la phrase “Prêt pour la révolution ?”

Cette ardeur révolutionnaire s’est estompée après la chute du communisme en Union soviétique à la fin des années 80 et avec le fort désir de changement exprimé par la population.

En 1990 Kérékou introduit le multipartisme, mais perd les élections organisées une année plus tard.

Il réussit toutefois son retour en politique en remportant le scrutin présidentiel de 1996 après s’est débarrassé de l’idéologie du socialisme et s’être reconverti au christianisme et à l’économie de marché. Les discours de sa campagne présidentielle étaient truffés de références à la bible.

A Cotonou, la place de la Bulgarie, avec son tableau géant représentant l’ancien dictateur communiste bulgare Todor Zhivkov, est un des vestiges du passé socialiste de Kérékou. La plupart des sociétés nationalisées sous son régime marxiste ont été privatisées de nouveau et Cotonou est une ville commerciale en plein essor où vivent près d’un million d’habitants dont l’activité principale est le libre échange.

Le port de Cotonou est le lieu de transit des marchandises à destination du Nigeria et des deux pays enclavés que sont le Niger et le Burkina Faso, au nord du Bénin, et la ville se trouve sur l’important axe routier reliant Lagos à Abidjan.

Avec ses 126 millions d’habitants, le Nigeria fait figure de géant à côté du Bénin. A moins de deux heures de route de Cotonou, Lagos, la capitale commerciale nigériane, a une population d’environ 14 millions d’habitants, le double de celle du Bénin.

“Nous sommes un pays dont le futur dépend des économies de nos voisins, mais on ne peut pas toujours être un pays de transit”, indique Tidjani de la Chambre de commerce.

Une bonne partie de l’activité commerciale, avec le Nigeria en particulier, tourne autour de marchandises de contrebande ou même de produits volés et les autorités nigérianes ont longtemps accusé le Bénin d’être un refuge pour les bandes armées qui parviennent à passer la frontière.

Cette situation s’est aggravée en août 2003 lorsque le président nigérian Olusegun Obasanjo a fait fermer la frontière pendant une semaine pour protester contre le braquage de sa fille dont le véhicule a été retrouvé quelques jours plus tard à Cotonou dans un parc de voitures d’occasion.

Cet incident, qui a poussé le Nigeria à interdire l’importation de marchandises d’occasion et de plusieurs autres produits manufacturés provenant du Bénin, a failli déstabiliser l’économie du pays.

Pourtant, ces turpitudes n’ont pas déstabilisé le gouvernement de Kérékou.

Modification de la Constitution ?

A en croire certains observateurs politiques, le président devra faire preuve d’habilité, de persuasion et probablement de beaucoup de générosité pour que les trois-quarts des députés de l’Assemblée nationale acceptent de modifier la Constitution afin qu’il puisse briguer un nouveau mandat de cinq ans.

Et pour que cette modification soit adoptée sans passer par la voie référendaire, il lui faudra encore réunir une majorité de 80 pour cent à l’Assemblée nationale.

Deux amendements devront être apportés à la Constitution pour que Kérékou puisse briguer un nouveau mandat.
L’Assemblée nationale devra d’abord amender l’article 42 de la Constitution béninoise qui stipule que nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels, puis l’article 44 fixant à 70 dix ans au plus, l’âge des candidats.

Kérékou a dépassé la limité d’âge puis qu’il a 72 ans.

Le tripatouillage de la Constitution pour permettre aux présidents en exercice de se maintenir au pouvoir est une pratique courante en Afrique.

Le Tchad et l’Ouganda procèdent actuellement à la révision de leur Constitution pour permettre aux présidents Idriss Deby et Yoweri Museveni de se maintenir au pouvoir. De nombreux autres chefs d’Etats africains ont déjà usé des mêmes stratagèmes au cours des dernières années.

Selon le quotidien, L’Aurore, la pénurie de carburant au Bénin est liée à l’ambition de Kérékou de se maintenir au pouvoir.

Le quotidien souligne que Sefou Fagbohoun, l’actionnaire majoritaire de la Sonacop qui détient le plus important réseau de distribution de carburant au Bénin, est également le président du petit parti politique le Mouvement africain pour la démocratie et le progrès (MADEP). Jusqu’à présent, Sefou Fagbohoun ne s’est pas encore prononcé sur l’éventualité de la révision de la Constitution.

Pour l’Aurore, le gouvernement tarde à autoriser une nouvelle augmentation du prix du carburant pour sanctionner le silence de Fagbohoun. Par ailleurs, les autorités font également pression sur lui pour l’obliger à vendre à Texaco, le géant pétrolier américain, ses parts dans la société Sonacop qui détient 75 pour cent du réseau de distribution.

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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