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Sorties des griffes des trafiquants d’enfants, des jeunes filles attendent de rentrer chez elles

Assise calmement dans un coin, la fillette fixe les extrémités de ses petits doigts. Enyoman a tout au plus cinq ans. Elle vient d’arriver au Centre de l’espérance de Lomé, la capitale togolaise, un petit pensionnat pour mineures victimes du trafic d’enfants.

Enyoman ne se souvient pas du jour où ses parents l’ont confiée à la dame chez qui elle allait travailler. Mais elle se rappelle encore de ce jour où, l’accusant d’avoir volé des œufs, sa patronne lui a brûlé les doigts pour la punir.

Désormais, Enyonam restera au 'Centre de l’espérance' jusqu’à ce que les autorités retrouvent sa famille et comprennent exactement ce qui est arrivé à la petite fille. Mais ces recherches pourraient prendre quelques jours, voire plusieurs mois.

Au centre, elle pourra compter sur la psychologue et l’infirmière pour l’aider à panser ses blessures morales et physiques.

"La plupart des enfants qui arrivent ici passent la première journée à pleurer", a indiqué à IRIN Odette Houedakor, la directrice du centre. "Mais le principe ici est qu’on leur apprend à retrouver leur âme d’enfant et une vie normale".

Le trafic d’enfants est un problème très sensible au Togo, petit pays d’Afrique de l’ouest situé sur l’axe routier reliant Abidjan, en Côte d’Ivoire, à Lagos, au Nigeria

Pas plus tard que la semaine dernière, le service d’immigration du Nigeria a arrêté un camion transportant plus de 52 enfants togolais qui auraient été employés comme vendeurs, aides ménagères ou ouvriers dans des carrières.

Selon certaines estimations, près de 70 pour cent des cinq millions d’habitants que compte le Togo vivent avec moins d’un dollar par jour. Pour les militants de la lutte contre le trafic d’enfants, bien que la pauvreté favorise ce trafic, les motivations des parents sont bien plus complexes que le simple appât du gain.

"Très peu de parents reçoivent de l’argent", explique Houedakor. "Certains considèrent que c’est une bouche de moins à nourrir, alors que d’autres pensent qu’ils rendent service à leurs enfants en les installant dans une famille plus aisée".

Selon le rapport 2002 de Plan, la plus importante agence humanitaire opérant au Togo, la promesse d’une éducation est la raison principale qui pousse les enfants de moins de 15 ans à quitter leur parent qui, pour la plupart, sont analphabètes et rêvent d’une vie meilleure pour leurs enfants.

Et dans bien des cas, les personnes qui recrutent les enfants pour les faire travailler comme domestiques ou travailleurs agricoles sont des relations ou des amis proches des familles.

Confiée à une tante, elle se retrouve au Gabon

A quinze ans, Alice se souvient que sa maman l’a confiée à une tante qui lui promettait de l’amener au Gabon pour y poursuivre ses études. Mais une fois au Gabon, elle s’est retrouvée à vendre des glaces dans les rues de la capitale Libreville.
[Togo] Togolese children playing at the 'Centre of Hope', a shelter in the capital Lome for trafficked children who have been rescued. February 2005.
Des jeunes filles jouant au Centre de l'espérance
"Je n’avais pas le droit d’avoir de l’argent sur moi", explique Alice, une jeune fille trapue que les neuf mois de travail dans les rues ont fini par endurcir.

"Lorsque je vendais toutes les glaces, tout se passait très bien. Mais le jour où je n’en vendais pas assez, ils me battaient. C’était généralement son mari qui me battait avec un fil électrique".

Alice a réussi à s’enfuir. Les autorités gabonaises ont alors contraint sa tante à payer son billet de retour pour lui permettre de rentrer à Lomé. Aujourd’hui, Alice a rejoint les quelque 20 filles du Centre de l’espérance et occupe ses journées à jouer au ludo (jeu semblable au jeu des petits chevaux) et à la marelle, en attendant de rejoindre sa maison.

"Les autorités recherchent mes parents", a confié Alice à IRIN. "Je veux retourner chez ma mère. Elle doit probablement s’imaginer que je suis encore chez ma tante et que je vais à l’école".

Il est difficile de trouver des données fiables et actualisées sur le trafic d’enfants au Togo. Mais une étude menée en 1997 par WAO-Afrique, une organisation non-gouvernementale locale (ONG), révèle qu’au moins 313 000 enfants togolais âgés de cinq à quinze ans travaillant au Togo ou à l’étranger sont traités comme des esclaves.

Le trafic d’enfants n’est pas un délit au regard des lois togolaises, et c’est bien là le nœud du problème, estiment les activistes de la lutte contre le trafic d’enfants.

"Il y a un vide juridique. Nous n’avons pas de loi spécifique qui réprime cette pratique", a commenté Cleophas Mally, le directeur de WAO-Afrique à Lomé.

"Il faut faire pression sur le gouvernement pour l’amener à voter une loi dans ce sens", a-t-il ajouté, expliquant que des discussions futiles entre les ministères en charge du dossier ont empêché qu’un projet de loi soit soumis à l’assemblée nationale.

En dehors de l’aspect juridique, il est difficile de combattre le problème à la base, dans un pays qui a connu près de quatre décennies de mauvaise gouvernance sous le régime de feu le président Gnassingbe Eyadema, et 12 années de gel de l’aide financière de l’Union européenne.

L’Etat n’a pas les moyens de s’attaquer au trafic d’enfants

Selon Stefanie Conrad, la directrice de l’ONG Plan Togo, bien que le ministère togolais des Affaires sociales se soit engagé à résoudre ce problème, l’Etat n’ a pas les moyens de payer correctement les personnes susceptibles de participer efficacement à la lutte contre ce trafic, qu’ils s’agissent des agents de la police des frontières, des travailleurs sociaux ou des enseignants.

"Les agents de la police des frontières qui n’ont pas perçu leur salaire sont très faciles à corrompre. Avec un billet de 1 000 FCFA (2 dollars), ils vous laissent traverser la frontière avec les enfants", a-t-elle confié à IRIN.

L’éducation est un autre chantier important. Le Plan mène actuellement une campagne contre l’exploitation des enfants pour sensibiliser les populations à la base. Et avec l’initiative Combat, CARE, une autre ONG internationale, dispose de son propre programme d’éducation pour la lutte contre le trafic d’enfants.

Dans le village de Hangoume-Akolisse, situé dans la région sud-est du Togo, à 60 km de la capitale, le maître d’école Topeagno Agbessi-Anake explique combien il est important de scolariser les enfants, même si l’Etat n’a pas les moyens de le faire.

Les deux classes d’école du village ont été construites l’année dernière, grâce à la paille et au sable offerts par des familles et les trois maîtres d’école sont payés par la communauté villageoise.

"L’éducation est le point de départ de tout développement" a lancé Agbessi-Anake. "Laisser des enfants oisifs serait prendre un grand risque. Le trafic des enfants est un problème au Togo, car ces enfants deviennent vulnérables".

Dans l’école d’Agbessi-Anake, un écolier sur 90 a déjà subi cette forme d’exploitation. A 13 ans, Mama a expliqué à IRIN comment elle s’est retrouvée vendeuse d’oignons dans les rues de la capitale Lomé.

Mais elle a pu être sauvée et récupérée par le ministère des Affaires sociales. Aujourd’hui elle est toute heureuse de retourner à l’école, d’apprendre à lire et à écrire et de jouer au football pendant ses heures de loisirs.

Les enfants qui dorment sur les couchettes du dortoir du Centre de l’espérance rêvent du jour où ils pourront eux-aussi retourner à la maison.

"Je ne voulais pas quitter l’école et abandonner les cours", s’est plaint Bella, 16 ans, en secouant la tête et en faisant cliqueter les perles qu’elle porte dans ses tresses. "Je veux rentrer chez moi et prendre des cours de coiffure".



This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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