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Rouvrir les écoles dans le nord pour ne pas sacrifier toute une génération d’enfants

Tout pourrait laisser penser que la Côte d’Ivoire est pacifiée. Dans les zones rebelles du nord, de nombreuses classes ont réouvert leurs portes et des groupes d’élèves bruyants arborant leur uniforme noir et blanc ou leur blouse à carreaux arpentent chaque matin les sentiers poussiéreux de leur village pour se rendre à l’école.

Après deux ans et demi de conflit armé, la guerre est loin d’être terminée. En dépit des apparences, les écoles ne fonctionnent pas normalement.

Les cours et les examens ont été interrompus pendant trois ans et une génération de jeunes ivoiriens risque d’être sacrifiée.

“Les examens n'ont pas eu lieu cette année, tout le monde attend de pouvoir les passer. On ne peut rien faire, on attend, on ne peut pas continuer”, s’est plaint Pierre Yao, un élève d’un établissement secondaire de la ville de Korhogo, au nord de la Côte d’Ivoire. A 16 ans, il ne lui reste plus que deux années pour passer le baccalauréat, l’examen de fin d’études secondaires.

Au cours de l’année 2004, 63 985 élèves des villes du nord de la Côte d’Ivoire étaient inscrits pour passer les trois principaux examens marquant la fin de l’année scolaire 2003/2004.

La plupart d’entre eux étaient des élèves d’écoles primaires qui devaient passer l’examen d’entrée en classe de sixième. Les autres se présentaient à l’examen du baccalauréat, ce diplôme tant prisé qui ouvre les portes de l’université.

Les examens étaient initialement prévus le 10 novembre. Mais le 4 de ce mois, suite à la reprise des hostilités entre les forces loyalistes du sud et les rebelles du nord, le gouvernement du président Laurent Gbagbo à décider d’annuler les examens.

Ainsi, Pierre, comme d’autres adolescents, attend toujours, plongé dans ses livres scolaires et ses cours de l’année précédente.

Et le temps presse, pour tous ces élèves qui attendent de passer du primaire ou secondaire, car ceux qui ont eu 15 ans avant la date de l’examen d’entrée en sixième seront trop vieux et rejetés du système scolaire.

Dans la moitié nord de la Côte d’Ivoire, la plupart des écoles, hôpitaux, tribunaux, perceptions et autres services publics sont fermés depuis septembre 2002, date à laquelle a démarré la guerre civile qui a coupé en deux ce pays de 16 millions d’habitants, avec une zone sud contrôlée par le gouvernement et une zone nord aux mains des forces rebelles.

Enseignants et autres fonctionnaires ont fui les villages et les villes de la savane aride du nord pour le sud luxuriant et la capitale Abidjan, tandis que le gouvernement coupait toutes les sources de financement aux zones rebelles.

Selon le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (Unicef), le conflit a mis fin à la scolarisation de quelque 700 000 enfants.

“En dépit de la guerre, on ne doit pas jouer avec l’école. Les enfants ne doivent pas pâtir de ce conflit”, a indiqué à IRIN Adama Ouattara, le responsable adjoint de l’éducation dans le mouvement des Forces nouvelles.

Selon lui, le problème des examens est leur toute première priorité. Les responsables rebelles ont d’ailleurs demandé l’intervention du président sud-africain Thabo Mbeki, le médiateur international dans le conflit ivoirien, pour que les élèves puissent les passer.

“Malgré la guerre, les examens ont eu lieu l’année dernière et les résultats ont été excellents bien que nous manquions de moyens et de personnel administratif. Le gouvernement a accepté d’envoyer des examinateurs", a ajouté Ouattara. "Cette année, nous avons décidé de rouvrir les écoles et avons recruté des professeurs volontaires, mais le gouvernement bloque tout”.

Les parents ont déjà payé les frais d’examen, les listes des candidats sont établies et les écoles sont prêtes.

Un manque chronique d’enseignants
Dans le village de Kassoungbarga, en bordure d’une route en latérite rouge qui traverse les champs de coton proches de Korhogo, le maître d’école Seydou Koné doit s’occuper tout seul de l’éducation de 100 élèves âgés de 7 à 15 ans, six jours par semaine.

“Nous étions deux, mais avec la crise mon collègue est rentré chez lui. Il ne se sentait pas en sécurité ici”, a indiqué Koné.

Koné répartit les élèves dans deux des trois classes délabrées de l’école. L’une d’elles est décorée d’un imposant crocodile et d’un éléphant, le symbole national de la Côte d'Ivoire. Dans l’autre classe sont accrochées des guirlandes en papier tout défraîchi.

Le plus âgé de la classe se charge de maintenir l’ordre pendant que Koné fait la navette entre les deux classes pour apprendre à lire et à écrire aux autres élèves. Les tables sont en mauvais état et les pupitres font souvent défaut. Les manuels scolaires sont rares.

Dans cette cour d’école poussiéreuse, des pierres impeccablement alignées servent de lignes de démarcation pour le terrain de football et les autres aires de jeu. L’école dispose aussi d’un petit potager à proximité de quelques anacardiers et de manguiers.

Agé d’une trentaine d’années, Koné explique que tous les deux ou trois mois, lorsqu’il ne dispose plus d’assez d’argent, il doit quitter le village pour se rendre à Abidjan, dans le sud, pour percevoir son salaire. Les banques, comme la plupart des entreprises installées dans le nord, ont fermé dès le début de la guerre civile.

“Il y a eu des problèmes pour les premiers voyages. C’était très dur et on avait très peur. Il y avait beaucoup de barrages et pas de moyens de transport”, se souvient Koné. "On ne pouvait y aller qu’en scooter et il fallait compter quatre jours pour se rendre à Abidjan. En plus, il valait mieux ne pas y aller seul. Mais aujourd’hui, les cars de transport fonctionnent à nouveau.”

Koné aimerait bien se faire aider par un assistant volontaire. Mais cela ne sera possible que si les parents d’élèves, de braves paysans qui gagnent déjà difficilement leur vie, pouvaient se cotiser pour assurer la nourriture et le salaire de cet assistant tant souhaité.

Les enseignants volontaires, dont certains sont des étudiants qui attendent la réouverture de l’université locale, reçoivent entre 5 000 et 10 000 francs CFA (10 à 20 dollars) par mois.

L’auto-assistance pour assurer le bon fonctionnement des écoles

Lorsque la plupart des enseignants ont fui vers le sud et que le ministère de l’Education a gelé les fonds publics destinés aux six millions de personnes vivant dans le nord, les parents, les communautés locales et les responsables du mouvement rebelle ont recruté des enseignants à la retraite, des étudiants et d’autres volontaires instruits pour rouvrir les écoles.

Au grand dam du gouvernement, certaines agences humanitaires internationales ont contribué à la réouverture des écoles. L’Unicef, par exemple, a fourni des kits scolaires et des vêtements, et le Programme alimentaire mondial (PAM) a offert les repas des cantines.

Cette aide semble avoir incité de nombreux élèves à retourner à l’école, a indiqué Koné. Avant la guerre, l’école du village ne comptait que 75 élèves.

Selon Besida Tonwe, la représentante du Bureau des Nations unies pour les Affaires humanitaires (OCHA) en Côte d’Ivoire, l’éducation, ne se limite pas qu’à l’enseignement des mathématiques, par exemple. Elle implique aussi la protection des enfants pour éviter qu’ils ne soient pas livrés à eux-mêmes dans les rues.

A en croire Amy Martin, la responsable du PAM à Korhogo, son agence a aussi offert une contribution alimentaire aux écoles du sud quand la guerre a éclaté et que les établissements dans les zones nord étaient fermés.

“Lorsque les écoles ont été réouvertes ici, après une année blanche pour les enfants, nous leur sommes venus en aide. Notre préoccupation est de maintenir les enfants dans le système scolaire. Nous offrons un programme d’alimentation lorsque l’école a un maître certifié”, a-t-elle précisé.

“Rouvrir les écoles et les faire fonctionner a été un véritable combat politique pour les habitants des zones nord", a ajouté Amy Martin. "Le ministre de l’Education nationale y était opposé, les dates des examens n’étaient pas annoncées et les enfants attendaient.”

Selon Tonwe, Michel Amani N'Guessan, le ministre de l’Education nationale et membre du Front populaire ivoirien, le parti du président Gbagbo, a indiqué qu’il s’opposera à l’affectation d’enseignants ou de personnel administratif dans les écoles du nord tant que le pays ne sera pas réunifié et que les rebelles n’auront pas désarmé.

“Le gouvernement est engagé dans un jeu politique avec son peuple”, a t-elle indiqué.

Pour l’organisation non-gouvernementale (ONG) Ecole Pour Tous, la situation scolaire dans le nord s’est améliorée grâce aux programmes d’auto-assistance qui y ont été mis en oeuvre.

Au cours de l’année scolaire 2002-2003, au plus fort du conflit, seuls quelques 230 000 enfants étaient scolarisés dans le nord de la Côte d’Ivoire. Il y avait deux enseignants volontaires pour chaque maître qualifié.

Mais l’année dernière, alors que le système d’auto-assistance se mettait en place et que le gouvernement approuvait le retour du personnel administratif, conformément aux accords de paix de Linas Marcoussis de 2003, le nombre d‘élèves inscrits dans les écoles en territoire rebelle a doublé et dépassé les 400 000.

On comptait aussi près de 1 000 maîtres qualifiés supplémentaires en poste dans le nord pendant l’année scolaire 2003-2004. Selon l’ONG Ecole Pour Tous, le nombre d’enseignants est passé à 4 448, par rapport aux 3 407 de l’année scolaire précédente.

L’ONG estime que 584 000 élèves s’inscriront dans des écoles du nord pendant l’année scolaire 2004-2005, soit un tiers de plus que le nombre enregistré l’année précédente.

Mais ces prévisions ont été établies avant la brève reprise des hostilités en novembre dernier.

Actuellement, la situation est tout aussi préoccupante qu’elle ne l’était auparavant. Bien que de nombreuses écoles fonctionnent, à mesure que le conflit se prolonge, l’activité économique est presque paralysée. Et il n’y a plus d’argent pour réparer les écoles, payer les assistants volontaires et acheter le matériel scolaire.

“Nous surchargeons nos classes actuellement en accueillant les enfants dont les parents ne peuvent pas payer les frais de scolarité”, explique Ibrahim Coulibaly, directeur d’une école primaire à Bouaké, le fief des forces rebelles.

“Mais que pouvons-nous faire d’autre ? Nous n’allons pas laisser ces enfants traîner dans les rues. Que deviendront-ils ?”



This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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