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Tensions ethniques dans la région cacaoyère du sud de la Côte d'Ivoire

Pendant la journée, planteurs et négociants en cacao envahissent les routes en latérite reliant les douze villages de cette région cacaoyère du sud de la Côte d’Ivoire. Mais le soir, lorsque le nuage de poussière rouge s’est dissipé et que les routes sont redevenues désertes, les comités d’autodéfense prennent le contrôle des axes routiers et montent la garde.

Il est midi lorsqu’un négociant en cacao arrive dans le village de Suleymankro à bord d’une camionnette blanche pour charger des sacs de cacao et de fèves.

Le village tient son nom du chef local, Suleymane, un ressortissant du Burkina Faso qui s’y est installé à la fin des années 70, alors qu’il n’était encore qu’un jeune homme.

Mais depuis, ses cheveux ont blanchi avec l’âge, les années de travail dans les plantations ont rendu ses mains calleuses et le village compte désormais 250 habitants. D’autres migrants sont arrivés du Burkina Faso pour exploiter les terres aux alentours du village, s’y sont installés, puis ont fondé des familles.

Aujourd’hui, la plupart des habitants du village sont de jeunes fermiers qui, bien que nés à Suleymankro, ne se considèrent pas pour autant ivoiriens. Pour la plupart, ils ont gardé leur carté d’identité burkinabé et ne se sont jamais souciés de demander la nationalité ivoirienne.

Simplice, le jeune négociant en cacao, est bété. Il appartient au même groupe ethnique que le président Laurent Gbagbo.

Mais Suleymankro est un village peuplé de burkinabé, en plein cœur du pays bété, une région réputée pour ses forêts, son sol fertile et ses vastes plantations de cacao.

“Ces gens sont un peu comme ma famille,” a lâché Simplice, en buvant de l’eau dans un bol qu’une des femmes du village lui avait proposé pour lui souhaiter la bienvenue. “Je les connais depuis que je suis gamin.”

Une 'terre hospitalière'

Suleymankro est un microcosme de la ceinture cacaoyère, une région où plusieurs groupes ethniques et nationalités vivent ensemble et qui a longtemps été considérée par certains politiciens ivoiriens comme une terre hospitalière.

Pendant plusieurs décennies, les populations bétés autochtones ont accueilli les migrants venus des régions moins fertiles du nord de la Côte d’Ivoire et des immigrants burkinabés et maliens pour cultiver ensemble les vastes étendues de terre.

Mais l’accueil de nouveaux immigrants a été de moins en moins amical à mesure que les prix du cacao chutaient et que les terres cultivables se raréfiaient.

Dans les années 90, certains politiciens nationalistes ont commencé à promouvoir la notion «d’Ivoirité» (l’identité nationale ivoirienne) qui exclut les immigrants et leurs descendants.

Les affrontements entre les deux communautés n’ont commencé qu’en septembre 2002, lorsque des rebelles venus du nord de la Côte d’Ivoire ont tenté de renverser le président Laurent Gbagbo lors d’un coup d’état que le camp présidentiel a imputé aux autorités du Burkina Faso.

Le coup d’état a été déjoué, mais la Côte d’Ivoire a plongé dans la guerre civile qui a divisé le pays en deux ; le nord, aux mains des forces rebelles, le sud, sous contrôle des forces gouvernementales et, entre les deux belligérants, une zone tampon placée sous la supervision des forces françaises de l’opération Licorne et d’un contingent de soldats des forces onusiennes de maintien de la paix.

Depuis que le conflit a éclaté en septembre 2002, des villageois bétés en colère ont chassé des centaines d’immigrants de leurs plantations, les accusant d’appartenir à la cinquième colonne, d’être des sympathisants des rebelles ou leurs collaborateurs.

De nombreux habitants de Suleymankro pensent toutefois que les expulsions n’ont aucun motif politique ou ethnique. Les populations autochtones veulent avant tout gagner de l’argent facilement.

"A chaque récolte de cacao, il y a des troubles"

Comme l’a fait remarquer un planteur burkinabé, les expulsions se produisent toujours quelques temps avant la récolte du cacao.

“A chaque récolte de cacao, il y a des troubles,” a-t-il remarqué, sous couvert de l’anonymat. “Les villageois reprennent leurs terres parce qu’ils veulent vendre le cacao eux-mêmes.”

D’autres personnes pensent que l’accroissement rapide de la population et la rareté des terres cultivables seraient à l’origine des tensions.

“C’est un problème foncier,” a indiqué un homme d’affaires libanais qui travaille dans le secteur du cacao. “Les bétés sont des gens généreux et très accueillants. Un bété partagerait un poulet avec toi, même s’il n’en a pas mangé depuis des mois.”

Quelle que soit la situation, si la guerre civile n’a pas entièrement détruit le tissu social sur lequel la Côte d’Ivoire a bâti sa richesse, elle l’a profondément affecté.

En décembre, les relations entre les habitants se sont considérablement détériorées à Gagnoa, la capitale du pays bété, située à 290 km à l’ouest d’Abidjan.

Dans le village de Siegouekou, peu avant minuit, 11 hommes, femmes et enfants ont été tués par un des hommes armés. Toutes les victimes étaient des bétés.

Pour la plupart des gens, cette agression est un acte de vengeance de certains migrants appartenant à l’ethnie Senoufo et qui avaient été chassés de leurs plantations quelques semaines auparavant.

Les jeunes de la ville d’Ouragahio n’ont pas attendu d’avoir les preuves de ces allégations. Le jour même, un peu plus tard dans la soirée, ils attaquaient en représailles un quartier occupé majoritairement par des planteurs dépossédés de leurs terres. Cette attaque a fait sept victimes, toutes originaires du nord de la Côte d’ivoire.

Guillaume Soro, le chef du mouvement des Forces rebelles, appartenant à l’ethnie Senoufo, il ne fallait pas avoir la moindre compassion.

Mort pour n'être pas bété

“Mon chauffeur et son apprenti ont été arrêtés par des jeunes bétés,” a indiqué à IRIN l’homme d’affaires libanais. “Comme mon chauffeur appartenait à ‘bonne ethnie’, ils l’ont laissé partir. Mais l’apprenti était du Nord ; ils l’ont fait sortir de la voiture et l’ont tué à la machette.”

L’attaque lancée sur le village de Siegouekou était la deuxième agression sur un village bété en l’espace de neuf mois. En mars 2004, 12 personnes de Broudoume, un village typiquement bété, ont été tuées dans leur sommeil par des hommes armés de fusils de chasse.

Après ces deux incidents, la réaction des autorités a été immédiate. Un détachement de militaires et de policiers a été dépêché sur les lieux pour prévenir tout autre affrontement ethnique.

Mais ces massacres à répétition, dictés par la loi du talion, restent un sujet bien délicat que la plupart des habitants, toute origine confondue, hésitent à aborder. C’est comme s’ils avaient peur de conjurer le mal rien qu’en en parlant. En outre, on ne sait jamais qui écoute les conversations.

“Tout est rentré dans l’ordre maintenant,” disent-ils. “Il n’y a pas de problème.”

Le commissaire de la ville n’a pas autorisé IRIN à visiter Siegouekou, le village où les derniers massacres ont été perpétrés. “Il n’y a rien à voir,” a-t-il dit. “Ce n’est pas la peine d’aller jouer les fouineurs.”

Mais selon Marc Gbaka, un important responsable bété du district, la situation à Siegouekou reste tendue. Il ne pourra pas y avoir de réelle réconciliation entre les populations autochtone et allogène tant que les rebelles du nord n’auront pas déposé les armes.

“Les chefs des villages de Siegouekou et de Broudoume ne feront pas de cérémonies ni de sacrifices rituels avant la fin de la guerre,” a-t-il déclaré à IRIN. “Cela signifie qu’il n’y a pas de réconciliation.”

Machettes et flèches

Selon Gbaka, 100 à 165 villages de la région ont mis sur pied des comités d’autodéfense pour repousser les attaques éventuelles.

“Ces comités sont composés de jeunes gens armés de machettes et de flèches qui montent la garde la nuit dans le village,” a-t-il précisé. “Nos effectifs militaires ne sont pas suffisants pour se permettre de protéger un seul village. Mais avec ces jeunes au moins, les villageois peuvent dormir en paix le soir.”

Gbaka est resté très évasif sur l’expulsion des planteurs burkinabés et des autres immigrants, se bornant tout simplement à dire que cela “n’était pas un problème.”

Le responsable bété a indiqué qu’il était persuadé que les attaques sur Broudoume et Siegouekou étaient le fait d’agents provocateurs qui souhaitaient déclencher dans la région une série de massacres ethniques qui aurait à son tour raviver la guerre civile en Côte d’Ivoire.

Il a accusé les rebelles d’être les instigateurs de ces deux incidents. “Je pense sincèrement que les immigrants et les étrangers sont innocents ; ce sont de simples planteurs," a déploré Gbaka. "C’est pour cette raison que nous ne permettrons aucun affrontement.”

Un jeune planteur Burkinabé du village de Suleymankro a confié à IRIN qu’il ne se sentait pas concerné par les attaques.

“Jusqu’à présent, les affrontements ont opposé les senoufos et les bétés. Ils sont tous ivoiriens. C’est juste un règlement de compte,” a-t-il indiqué.

Mais à la question de savoir s’il craignait d’être expulsé, il a souri est répondu à IRIN.

"Nous ne partirons pas". "Où voulez-vous que j’aille ? Je suis né dans ce pays. Et de toutes les façons, les gens du nord sont majoritaires. Ils ne pourront jamais nous chasser tous."




This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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