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« Nous acceptons pour rester en vie » : Comment des dialogues au niveau local avec des djihadistes se sont enracinés au Mali

« Il n’existe aucun endroit au monde où les guerres se terminent sans négociation. »

Aly Ongoiba* a conservé les notes qu’il a prises méticuleusement sur le conflit qui a ravagé sa commune – un dédale de bâtiments en argile et de greniers astucieusement coiffés de chaume, qui s’étale au sommet d’un plateau de grès qui traverse le centre du Mali. 

Au plus fort des violences, le maire a déclaré que des dizaines de villages de la commune avaient été attaqués par des djihadistes. Des centaines de personnes ont été tuées et des dizaines de milliers de têtes de bétail ont été volées avant qu’Aly Ongoiba arrête finalement de compter. 

Puis la paix est venue – la paix, ou quelque chose de ressemblant. 

Fatigué de la violence, Ongoiba a demandé à des responsables locaux d’entamer des discussions avec des islamistes proches d’Al Qaïda. Un accord a ensuite été conclu : la commune a accepté de cesser toute résistance aux djihadistes et d’appliquer une version stricte de la charia, selon des personnes qui ont assisté au dialogue. 

Certains habitants ont protesté contre les conditions de vie pénibles sous la charia, mais l’amélioration de la sécurité a rapidement convaincu beaucoup de gens des avantages que présentait l’accord. « A ce jour, il n’y a pas eu d’attaque », a déclaré Ongoiba au New Humanitarian. « Il n'existe aucun endroit au monde où les guerres se terminent sans négociation ». 

Les opérations militaires sont depuis longtemps la stratégie de choix des puissances internationales et régionales qui combattent les mouvements djihadistes au Mali et dans l’ensemble de la région du Sahel. Les milices d’auto-défense rurales ont également proliféré, les habitants cherchant à se défendre contre les islamistes. 

Mais au fur et à mesure que l’insurrection s’étend et que les besoins humanitaires atteignent un niveau record, certaines communautés qui s’étaient au départ opposées à la présence des djihadistes tentent une approche différente : le dialogue. 

Depuis 2020, des dizaines d’accords verbaux entre les djihadistes et les communautés ont été conclus dans le centre du Mali – l’épicentre des violences et des déplacements de population dans le pays ces dernières années. Des cessez-le-feu entre les islamistes et des milices adverses ont aussi été négociés. 

La capacité de ces pourparlers à contribuer à atténuer les violences est examinée en profondeur dans l’analyse qui suit. Les observations qui sont faites reposent sur des interviews réalisées avec 34 responsables locaux, travailleurs humanitaires et représentants des autorités publiques qui prennent part aux discussions ou qui les suivent de près. 

Les responsables communautaires n’édulcorent pas les accords. Ils les considèrent comme des « pactes de survie », nécessaires parce que l’Etat est absent et que l’armée est faible. Aucun ne veut se plier à des règlements répressifs, et la plupart craignent d’être assimilés à des djihadistes du fait qu’ils ont conclu des accords. 

Pourtant, ces responsables estiment que les pactes ont sauvé des vies, que l’application de la charia est souvent laxiste et que les djihadistes font aussi des compromis car ils cherchent à éviter les conflits avec les communautés pour se concentrer sur leur véritable ennemi : l’Etat.  

Les pourparlers sont d’une ampleur limitée mais ils ont un poids considérable au-delà du centre du Mali. Ils donnent un aperçu de la manière dont certains djihadistes abordent la résolution des conflits. Ils sont aussi révélateurs, chez les populations locales, d’un désir de dialogue (même s’il n’est pas général) qui fait que l’on peut se demander si les négociations avec les islamistes ne devraient pas être étendues à tout le pays. 

L’idée d’organiser de tels pourparlers peut sembler radicale mais elle a recueilli l’adhésion d’un grand nombre de responsables politiques et religieux du Mali et de responsables militaires du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM) – une branche d’Al Qaïda et l’un des principaux mouvements djihadistes au Sahel. 

Le discours de la France sur la lutte contre le terrorisme a été un obstacle majeur à des pourparlers. Paris était le fer de lance de l’intervention militaire étrangère au Mali depuis 2013. Mais l’ancienne puissance coloniale est maintenant en train de quitter le pays, ses relations avec la junte au pouvoir – et avec une grande partie de la population - s’étant détériorées. 

« La meilleure chose à faire, pour le gouvernement, c’est de cesser les combats et d’entamer un dialogue », a déclaré un responsable communautaire qui participe aux efforts de médiation dans le centre du Mali. « Les autorités devraient impliquer les responsables religieux et nous aussi, bien sûr ». 

Dans la première partie de cette analyse, nous examinons la manière dont les pactes sont négociés ; la deuxième partie porte sur la façon dont les accords sont appliqués par les djihadistes ; dans la troisième partie, nous analysons les risques qu’encourent les responsables communautaires qui participent aux discussions ; et, dans la quatrième partie, nous cherchons à savoir si ces responsables sont favorables à un dialogue national. 

Première partie : Négociations serrées – « Nous leur avons dit : nous avons des marabouts qui sont plus instruits que vous »  

Les discussions entre les communautés et les djihadistes ne datent pas d’hier. Elles ont déjà eu lieu assez souvent dans des régions du nord et du centre du Mali où les islamistes exercent un contrôle ferme. Il est souvent nécessaire de faire des compromis car les combattants cherchent à appliquer leur idéologie sans se mettre les civils à dos.  

Il est à noter, toutefois, que les récents pourparlers se tiennent dans des régions centrales parmi les plus instables, où les djihadistes ont une base de soutien moins importante et où ils ont rencontré une résistance farouche quand ils ont commencé à se disséminer depuis le nord désertique en 2015. 

Des milices d’auto-défense ont fait leur apparition au sein de différentes communautés, notamment les Dogons et les Bambaras, qui vivent traditionnellement de l’agriculture. Ces milices ont ensuite commis des atrocités contre les éleveurs fulanis, marginalisés, qui dominent dans les rangs des djihadistes.  

Les massacres et l’insécurité ont fait des dizaines de milliers de déplacés et ont causé une sous-alimentation généralisée. Une opération de maintien de la paix de l’Onu a eu du mal à protéger les civils, tandis que les opérations militaires et les frappes françaises occasionnelles ont souvent aggravé la situation.  

POUR EN SAVOIR PLUS : Dialogue humanitaire et pactes communautaires

Il existe dans le centre du Mali d’autres types d’initiative de réconciliation que les dialogues au niveau local avec les djihadistes. Des ONG maliennes, la mission de maintien de la paix de l’Onu et des groupes de médiation internationaux ont aussi facilité des pactes visant à désamorcer les conflits communautaires. 

The New Humanitarian a interviewé 11 travailleurs humanitaires et responsables de l’Onu appartenant à des organisations impliquées dans ces accords pour essayer de comprendre comment ces organisations travaillent et pour évaluer les différentes critiques qui leur ont été adressées.  

Contrairement aux dialogues avec les djihadistes, ces pactes sont des accords écrits, et non verbaux. Les termes et les conditions sont aussi strictement humanitaires, chaque communauté s’engageant à laisser l’autre circuler librement et à faciliter le retour des personnes déplacées.  

Plusieurs accords récents ont été conclus par les Fulanis, les Dogons et d’autres groupes dans les cercles de Bankass et de Koro, tandis que des accords plus anciens impliquant les communautés dans le cercle de Djenné ont été trouvés. 

Le personnel humanitaire impliqué dans les accords estime qu’ils ont fait diminuer la violence dans le centre. Les gens sont encouragés à comprendre le conflit en terme de combat entre les djihadistes et l’armée plutôt qu’entre deux communautés.  

Bien que des analystes locaux aient critiqué les pactes pour n’avoir pas impliqué directement les djihadistes et les milices, plusieurs agents humanitaires ont souligné qu’ils disent aux communautés de demander l’autorisation des mouvements armés dans le cadre du processus de médiation.  

« Si les djihadistes ne donnaient pas leur approbation aux responsables fulanis, ils ne pourraient pas assister à ces rencontres ou signer les accords », a indiqué la directrice d’une ONG internationale. Cette source a requis l’anonymat en raison du caractère sensible de son travail.   

Mamoudou Diallo, le directeur de l’ONG malienne IMADEL, estime que la formation sur la médiation et la résolution des conflits qui est offerte aux habitants locaux par les organisations qui travaillent dans le centre du Mali ont même posé les bases des dialogues avec les djihadistes.  

« Nous ne disons pas ouvertement, ‘allez négocier avec les djihadistes’, mais après avoir renforcé leurs capacités [par le biais de la formation] ils savent quoi faire », a déclaré Diallo. « Ils connaissent les parties prenantes locales, ils ont des contacts. » 

Pourtant, des responsables qui se sont entretenus avec The New Humanitarian ont émis des critiques au sujet des efforts déployés par les ONG. Ils ont accusé ces  organisations (mais jamais les leurs) de forger des pactes avec des responsables qui manquent de légitimité locale et de verser de généreux per diem qui nuisent à la crédibilité du processus.  

« Cela a commencé à être un vrai business », a indiqué l’ancien directeur d’une autre organisation internationale qui fait du travail de réconciliation au Mali. « Vous venez à une réunion [et l’ONG] vous fournit un hôtel, des per diem pour la nourriture. » 

La même source s’est aussi plainte de donateurs qui font pression sur son organisation pour que les communautés concluent un accord de manière prématurée dans un cercle du centre du pays. « La communauté internationale est pressée de voir la paix. » 

D’autres ont critiqué les organisations pour n’avoir pas assuré un suivi des accords, dont certains n’ont tenu que quelques mois. Et comme plusieurs organisations travaillaient sur les dialogues inter-communautaires, la coordination a aussi été citée comme un sérieux problème.  

«Ils créent le désordre dans ces villages », a déclaré un responsable gouvernemental qui travaille sur les efforts de paix dans le centre. « Vous trouvez une mission de réconciliation d’une ONG dans un village. Puis une autre ONG arrive et, au lieu de s’associer au même processus, elle en crée un nouveau. »  

Ce responsable gouvernemental, qui a aussi requis l’anonymat car il travaille avec de nombreuses ONG, a ajouté qu’il a le sentiment que les acteurs internationaux sont plus impatients de voir les communautés signer des documents que de forger une paix réelle. « Les ONG ont besoin qu’on signe un bout de papier, pour leurs bailleurs de fonds. C’est comme un trophée », a conclu le responsable.  

Amadou Guindo, un chef de village dogon, qui est aussi agriculteur, a organisé et participé à des dizaines de dialogues avec des djihadistes dans le cercle instable de Koro et ses environs. Il a estimé que les ONG s’attribuent tout le mérite quand il y a des avancées en matière de sécurité, alors que des responsables locaux comme lui reçoivent peu d’éloges.  

« Nous ne sommes pas connus, [or] nous faisons tout sur le terrain, nous prenons tous les risques », a indiqué Guindo, qui paie souvent de sa poche pour organiser les discussions avec les islamistes. 

Et Guindo d’ajouter que le fait de ne pas recevoir de fonds des donateurs internationaux présente un avantage : « Beaucoup de gens profitent financièrement de ce conflit. Si [les communautés] pensaient que nous sommes payés, elles diraient que nous oeuvrons dans notre intérêt. » 

Cette défaillance a conduit à la conclusion de différents types d’accords. Dans certaines régions centrales, les responsables religieux ont servi de médiateurs pour que des cessez-le-feu soit décrétés entre milices et islamistes avec l’aval de Bamako. Mais, souvent, ces accords (qui ne sont pas couverts par cette analyse) ne tiennent pas

Dans d’autres régions, des initiatives ont été prises directement par des responsables communautaires, qui paient souvent de leur poche pour ces rencontres et risquent d’être considérés comme des sympathisants de djihadistes en voulant prendre langue avec les insurgés, qui appartiennent à un mouvement affilié au JNIM appelé Katiba Macina.  

Les règlements stipulés par les djihadistes pendant ces discussions – qui, le plus souvent, ont lieu sans l’approbation des autorités – sont généralement les mêmes, a indiqué Amadou Guindo, un chef de village et agriculteur dogon qui a organisé des dizaines de rencontres dans le cercle instable de Koro et ses environs. 

Selon Guindo, les djihadistes de Koro disent aux communautés de déposer les armes ; d’arrêter de fournir aux forces armées des informations au sujet de la localisation des islamistes ; et de pardonner toute violence perpétrée contre eux. 

Les djihadistes exigent aussi que la population se conforme à leur interprétation de la charia : les combattants ont utilisé les pourparlers pour consolider leur pouvoir. Des codes vestimentaires ont été établis et la consommation d’alcool interdite, d’autres coutumes culturelles devenant également proscrites.  

Guindo, qui a perdu des membres de sa famille pendant le conflit et qui s’est vu dépouillé de ses moyens de subsistance, a ajouté que les gens n’avaient pas d’autre choix que d’accepter. « Nous le faisons pour survivre », a-t-il déclaré. « Nous ne pouvons pas les [combattre] alors nous acceptons la torture pour rester en vie ». 

Pourtant, Guindo et plusieurs autres responsables communautaires ont indiqué que les pourparlers ne profitaient pas qu’à une seule des deux parties. Certains responsables, en plus d’obtenir la garantie que les gens peuvent travailler dans leur champs et se déplacer librement, ont arraché des concessions importantes à leurs interlocuteurs pendant et après les dialogues. 

Un enseignant de la commune de Mondoro, dans la région centrale de Douentza, a indiqué que la résistance des habitants a payé lors d’une rencontre fin 2020 avec des djihadistes, quand ils ont demandé l’autorisation de prêcher eux-mêmes dans leurs communautés et de statuer sur les litiges juridiques et sociaux.  

« Nous leur avons dit : ‘Nous avons des marabouts très instruits qui prêchent déjà le vendredi’ », a raconté l’enseignant, qui assistait à la rencontre. « Nous leur avons dit : ‘[ils] connaissent le Coran mieux que vous’ ». 

Un conseiller communautaire originaire d’une autre partie de Douentza a indiqué au  New Humanitarian que lors d’une récente série de négociations, il avait convaincu un groupe de djihadistes d’arrêter de se rendre aux marchés avec leurs armes – une requête qui a aussi été faite dans le cadre d’autres dialogues. 

Le conseiller a ajouté que les djihadistes autorisaient aussi la communauté à conserver ses armes – à condition qu’elles soient remisées – et ils ont été d’accord pour transférer leur base plus loin en brousse afin qu’à l’avenir, les fusillades avec l’armée n’affectent pas la ville.  

«Quand ils ont des affrontements avec l’armée, ils courent vers les villages », a expliqué le conseiller. « [Avec cet accord], nous sommes protégés des balles perdues et l’armée ne vient plus chez nous. » 

Un travailleur humanitaire malien qui consulte régulièrement les communautés prenant part aux discussions a dit au New Humanitarian que les djihadistes sont prêts à négocier parce qu’ils se rendent compte que les conflits avec les communautés présentent peu d’intérêt au niveau stratégique.  

« Un responsable djihadiste nous a expliqué que l’on perd beaucoup de munitions en attaquant un village de 1 000 à 2 000 personnes », a indiqué l’humanitaire, qui travaille pour une ONG internationale et qui a requis l’anonymat pour des raisons de sécurité. « Attaquer des positions de l’armée, en revanche, leur permet de récupérer de l’argent et des voitures. »    

Guindo a indiqué que les djihadistes ne faisaient pas beaucoup de compromis au départ mais qu’ils ont fait preuve de davantage de souplesse par la suite, au fur et à mesure que la confiance s’installait. Ils se sont engagés à arrêter d’endommager les tours de télécommunication au cours d’une récente rencontre, a-t-il ajouté, et de cesser de poser des mines près des villages lors d’une autre discussion. 

Un arrangement à propos de l’enseignement a aussi été évoqué dans le cadre d’un dialogue, a ajouté Guindo. Les djihadistes ont décrété que les écoles publiques pouvaient rouvrir à condition que les langues française et arabe y soient enseignées et qu’un espace soit trouvé pour une école coranique.  

Des humanitaires et des analystes ont estimé que ces compromis montrent que les djihadistes – qui sont souvent présentés comme rien d’autre que des fanatiques religieux – ont un côté très pragmatique. Cela est également démontré dans les négociations d’accès que les islamistes mènent souvent avec des ONG internationales. 

Toutefois, les accords qui sont conclus sont fragiles. En général, ils n’abordent pas les causes profondes du conflit – de l’abus d’Etat aux lacunes de la gouvernance – et sont subordonnés au comportement au quotidien des communautés locales, des djihadistes et de milices imprévisibles.  

« C’est très fragile », a estimé Ongoiba, le maire local. « Les problèmes pourraient recommencer. »  

Deuxième partie : Application des accords : « Les femmes se précipitent pour se couvrir, les jeunes se dépêchent d’éteindre les postes de radio » 

Une interprétation ultra-conservatrice de l’islam est déjà en train d’être appliquée dans les régions du centre du Mali où le régime des djihadistes est enraciné. Mais Guindo a indiqué que les djihadistes font preuve de laxisme envers sa commune, dans le cercle de Koro, depuis qu’un accord a été trouvé.  

Bien qu’il soit ostensiblement interdit de jouer fort du tam-tam et de tirer en l’air pendant les cérémonies d’enterrement et de mariage, Guindo a indiqué que les djihadistes autorisent le respect de ces traditions à condition qu’ils en soient informés au préalable pour ne pas qu’ils associent le bruit aux activités de l’ennemi.  

L’indulgence des djihadistes fait que des écoles non coraniques ont ouvert leurs portes dans la commune où habite Guindo sans qu’une école coranique soit ouverte en contrepartie. Il n’en reste pas moins qu’il peut être difficile de trouver des enseignants disposés à travailler parce qu’ils redoutent une visite des djihadistes, a indiqué l’agriculteur.  

Ongoiba, qui habite un cercle adjacent de celui où vit Guindo, a indiqué que dans sa commune aussi, les gens « vivent comme ils le souhaitent ». Ils ont toutefois dû accepter la présence de djihadistes qui traversent leur région pour préparer des attaques contre d’autres villages qui n’ont pas conclu d’accords.  

Ongoiba a ajouté qu’une centaine de djihadistes à moto sont venus fin 2020 dans un village du cercle de Koro, peu après la conclusion d’un accord. Ils sont arrivés alors qu’une fête de mariage chrétien battait son plein. 

Les convives s’attendaient au pire, mais quand les djihadistes ont indiqué qu’ils voulaient juste de l’eau, la confiance de la communauté dans le pacte a été consolidée, a déclaré Ongoiba, à qui l’incident avait été rapporté. « Les gens ont eu confirmation qu’ils tenaient parole », a-t-il ajouté.  

Le conseiller communautaire de Douentza a déclaré que les règlements stricts sont rarement appliqués dans son village – où la vie quotidienne est toujours réglée par les responsables traditionnels – mais ils doivent être appliqués lors de déplacements dans d’autres zones de la commune où les djihadistes sont susceptibles d'effectuer des patrouilles. 

Le conseiller de Douentza a ajouté que sa communauté était déjà conservatrice au plan religieux et que de nouveaux codes – notamment les restrictions concernant les cérémonies de mariage fastueuses – étaient même les bienvenus. « Les gens étaient d’accord avec les règlements sur les mariages parce qu’ils leur permettaient de faire des économies », a indiqué le conseiller. 

Toutefois, la situation dans d’autres régions est différente. L’enseignant de Mondoro a indiqué que les habitants d’un village qui s’est associé à l’accord ont été temporairement assiégés par des djihadistes au début de l’année pour ne pas avoir respecté certains codes de conduite. 

Des femmes qui pilaient du mil aux abords de la ville sans porter de voile ont été fouettées par les djihadistes, a indiqué l’enseignant. Des rapports sécuritaires publiés par des ONG, que The New Humanitarian a consultés, ont confirmé cet incident. 

Un adjoint du chef de village de la commune de Dinangourou, dans le cercle de Koro, a raconté un incident dans la même veine. Depuis qu’un pacte a été conclu, « les djihadistes viennent régulièrement dans notre village pour contrôler les gens », a indiqué l’adjoint. « Les femmes se précipitent pour se couvrir, les jeunes se dépêchent d’éteindre les postes de radio ». 

Un conseiller d’un responsable de village dans le cercle de Bankass, lui aussi voisin du cercle de Koro, a indiqué qu’il n’avait pas entendu dire que des châtiments corporels avaient été infligés dans les villages de la région ayant conclu des accords, mais que les gens modifiaient certains de leurs comportements pour éviter des châtiments. 

« Depuis les accords, les djihadistes réglementent les affaires sociales comme l’adultère, le vol, et les [non remboursements de] prêts », a indiqué le conseiller. « Les gens évitent d’avoir ces problèmes pour ne pas être punis par les djihadistes. » 

L’adjoint du chef de Dinangourou a déclaré que l’application des accords varie parce que certains commandants djihadistes sur le terrain sont plus stricts que d’autres, même si tous feraient partie du même mouvement, la Katiba Macina. 

Guindo a déclaré que la proximité des villages avec les bases des djihadistes explique cette disparité. Son village est proche d’une grande ville où l’armée est présente, tandis que l’autre village du cercle de Koro se trouve dans une région isolée où il est plus facile pour les islamistes de s’imposer.  

Les djihadistes sont peut-être aussi guidés par un raisonnement stratégique, a ajouté Guindo. « Ils n’imposent pas leurs principes parce qu’ils veulent être en bons termes avec nous », a-t-il déclaré. « Quelqu’un qui pense à l’avenir fera preuve de davantage de souplesse pour survivre plus longtemps. » 

Des recherches montrent que de tels calculs sont monnaie courante chez les djihadistes sahéliens. Ils sont motivés par des considérations religieuses, mais ce sont aussi des acteurs politiques qui doivent réfléchir sérieusement à rallier le soutien des populations locales. L’usage de la force est rarement une stratégie gagnante

Troisième partie : La médiation, un exercice risqué – « Les soldats nous regardent de travers » 

Certaines milices anti-djihadistes ont peut-être signé des pactes fragiles avec les islamistes mais beaucoup d’autres considèrent les négociations comme une forme de soumission et une menace pour le pouvoir qu’elles exercent sur les communautés. 

Dan Na Ambassagou (DNA), une milice qui recrute principalement au sein de la communauté dogon, a placé en détention des responsables dogons qui avaient participé à des pourparlers avec des islamistes dans son fief du cercle de Bandiagara. 

Guindo a indiqué qu’un responsable d’une association de médiation locale a survécu à une récente fusillade (même si l'auteur des tirs n'a pas été identifié), alors qu’un autre a vu des combattants de DNA qui « le considéraient comme un allié des djihadistes » perturber la bonne marche de son entreprise. Aujourd’hui, il vend des pièces détachées de vieilles voitures dans une ville située à des centaines de kilomètres de là.   

Ongoiba, un Dogon lui aussi, a dit que des miliciens l’avaient menacé de mort sur les réseaux sociaux, l’obligeant à quitter sa commune du cercle de Bandiagara. Il a toutefois ajouté que cela en valait la peine, malgré le prix qu’il avait payé, vu les bénéfices que sa communauté tirait de l’accord. 

« Etre loin de chez moi ne me rend pas heureux », a dit le responsable local, qui est bien connu dans toute la région de Bandiagara. « Mais je suis prêt à tout sacrifier pour ma communauté. »  

Les responsables locaux ne craignent pas seulement les milices. L’adjoint au chef du village de Dinangourou a déclaré que des soldats stationnés dans la zone traitent les habitants avec suspicion depuis qu’ils ont conclu un accord.  

« Nous sommes pris en tenaille entre l’armée et les djihadistes », a dit l’adjoint. « L’armée s’est mise à se comporter comme si nous étions avec les djihadistes, alors que nous avons peur des djihadistes à cause de la manière dont ils appliquent le règlement. » 

L’adjoint et d’autres responsables locaux ont formé une association et l’ont inscrite auprès des autorités du cercle de Koro dans l’espoir de donner un caractère officiel à leur initiative. Ils ont aussi sollicité des ordres de mission auprès des responsables gouvernementaux avant d’entamer de nouveaux pourparlers. 

Mais les rares fois où le gouvernement donne son approbation, elle n’est pas assortie de soutien concret, dont les responsables communautaires disent avoir cruellement besoin, principalement des formations sur la résolution des conflits et des fonds indispensables pour organiser les dialogues. 

Toutefois, il semble que la junte, qui a pris le pouvoir en août 2020, ne considère pas ces revendications comme une priorité. Pour l’instant, elle s’en tient à une approche militaire avant tout avec ses nouveaux partenaires en matière de sécurité, les mercenaires russes du groupe Wagner. Les opérations conduites par les deux forces ont mené à une série de récentes atrocités contre des civils. 

Et même quand les autorités donnent leur feu vert à des pourparlers, l’anxiété ne quitte pas les médiateurs. A la fin de l’année dernière, par exemple, le conseiller de Bankass a reçu l’autorisation de parlementer avec les djihadistes dans l’espoir qu’ils mettent fin au siège qu’ils imposaient depuis des mois dans un village d’un autre cercle. 

Le conseiller a réuni les deux parties mais a eu peur de servir d’interprète entre les locuteurs du fulfulde, la langue fulani que parlent les djihadistes, et ceux du bambara, la langue parlée dans le village. Il craignait d’être pris pour un islamiste si une vidéo de la rencontre était diffusée. 

Le conseiller de Bankass, un berger dans la vie courante, a également dit aux villageois qui participaient à la rencontre de ne pas s’exprimer publiquement au sujet des termes de l’accord – que les femmes devraient se couvrir et que chaque foyer devrait payer annuellement la zakat, l’aumône faite aux islamistes.  

« J’avais un mandat [officiel] alors si des articles avaient été publiés [dans les médias] au sujet de l’accord, on aurait eu l’impression que le gouvernement organisait la charia pour sa propre population », a déclaré le berger.  

Il a ajouté que le gouvernement devrait accorder davantage de reconnaissance publique aux médiateurs, ce qui est précisément en train de se passer au Burkina Faso voisin, où des processus de dialogue similaires ont actuellement lieu.  

« Nous nous rendons partout dans le pays pour tenter de rapprocher les gens, » a indiqué le conseiller de Bankass. « Le simple fait de nous donner une carte de visite ou un document officiel pour qu’on ne se méfie pas de nous aux postes de contrôle [nous faciliterait la tâche]. » 

Quatrième partie : Un dialogue national – « Tuer n’est pas la seule solution »  

Il ne serait pas simple de passer de dialogues communautaires à des pourparlers au niveau national. Les pactes locaux ont tendance à saper l’autorité de l’Etat, alors que le gouvernement souhaiterait sortir renforcé d’un accord national.  

On ne sait pas très bien qui dirigerait des négociations au niveau national, quels mouvements islamistes y prendraient part et quelles concessions les deux camps seraient disposés à faire. Même les commentateurs pro-dialogue ont le sentiment que des pourparlers seraient davantage susceptibles d’échouer que de porter leurs fruits.  

En attendant, des accords ont été trouvés dans les pays voisins, et des études menées au Mali laissent penser qu’une importante partie de la population soutiendrait une initiative gouvernementale.  

Des démarches ont été faites en ce sens par le passé. En 2017, des responsables religieux ont été chargés par un ancien premier ministre d’établir des contacts avec des individus proches de mouvements djihadistes. Mais cette mission n’avait pas le soutien du président de l’époque alors elle a été avortée. 

Des pourparlers au niveau national sont-ils souhaitables ? A ce sujet, des responsables communautaires qui se sont entretenus avec The New Humanitarian ont exprimé des points de vue différents qui reposent en grande partie sur l’expérience qu’ils ont pu avoir des négociations au niveau local. 

Un responsable religieux impliqué dans un travail de médiation à Dinangourou a déclaré qu’un dialogue national serait positif, mais que l’intervention militaire devait se poursuivre pour saper le moral des islamistes et augmenter la force de négociation du gouvernement.  

Un jeune responsable qui avait négocié avec les djihadistes dans le cercle de Bandiagara a carrément rejeté l’idée de pourparlers impliquant le gouvernement. Il estime que les islamistes n’accepteraient rien d’autre que la soumission de l’Etat, qui a une constitution laïque.  

Il a ajouté qu’au cours de discussions qui se sont tenues l’année dernière, son village dogon a accepté d’obéir aux règlements des djihadistes et de renoncer aux liens qui l’unissaient à des milices. Mais quelques mois plus tard, les islamistes ont exigé que les habitants rejoignent leurs rangs. Quand ils ont refusé, ils ont été expulsés en masse.  

« Si le dialogue était une solution, nous aurions réussi », a déclaré le jeune homme au New Humanitarian depuis un camp pour déplacés près de la ville de Bandiagara. « Nous avons accepté toutes leurs conditions. Nous leur avons donné de l’argent, ainsi que nos récoltes. Mais cela n’a jamais rien résolu. » 

Pourtant, d’autres responsables communautaires ont estimé qu’un dialogue national était la ligne de conduite à adopter. Et beaucoup ont déclaré que le gouvernement aurait l’avantage grâce aux contacts qu’il a établis et au savoir qu’il a acquis par le biais des dialogues au niveau local. 

Réunir des médiateurs locaux pour qu’ils mettent leurs idées en commun serait un bon point de départ, a déclaré le conseiller communautaire de Bankass. « Si je devais donner un avis au gouvernement, je lui dirais que le dialogue est plus souhaitable que les combats », a-t-il dit. 

L’adjoint au chef de village de Dinangourou a indiqué que si on lui demandait conseil, il expliquerait que les simples soldats parmi les djihadistes ne savent souvent pas pourquoi ils se battent et que par conséquent, on parviendrait à les convaincre de déposer les armes.  

« Il vous faut parfois aider les djihadistes à comprendre pourquoi ce qu’ils font n’est pas bien », a déclaré le responsable communautaire. « La meilleure leçon, c’est que tuer n’est pas la seule solution. »  

*Toutes les sources interviewées pour cette analyse sont anonymes pour des raisons de sécurité. Des pseudonymes sont utilisés quand les personnes interrogées sont citées à plusieurs reprises. Les noms de villages et de communes, ainsi que certains autres détails, sont occultés pour protéger les identités.  

Illustrations de Dramane Diarra, un artiste malien installé à Bamako. Le dessin du haut représente un dialogue entre des djihadistes et des responsables communautaires. Le deuxième dépeint un village typique de la région de Bandiagara. Sur le troisième, on voit des djihadistes assiéger un village – une stratégie qu’ils utilisent souvent contre les populations qui opposent une résistance. Le quatrième représente une milice d’auto-défense en patrouille.  

Citations illustrées par Sara Cuevas (TNH) 

Edité par Andrew Gully. 

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