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A la rencontre des travailleuses du sexe clandestines

Il est 23 heures lorsque la camionnette blanche reconvertie en ‘clinique mobile’ s’engage dans une rue sombre d’un quartier populaire de la capitale sénégalaise, avant de s’immobiliser. A bord, un gynécologue et une animatrice sont prêts à accueillir les travailleuses du sexe clandestines qui les attendent déjà. «Quand le camion doit venir, l'animatrice m'appelle et je préviens les filles», explique Aïcha qui, à 34 ans, est la doyenne du groupe de clandestines venu ce soir-là en consultation gynécologique. «Je sers de relais avant que l'animatrice arrive mais quand elle est là, chaque fille est vue au cas par cas». Cette clinique mobile a été mise en place il y a trois ans par l'organisation Enda-Santé pour offrir une prise en charge médicale, notamment des infections sexuellement transmissibles (IST) et du VIH/SIDA, à ces professionnelles du sexe qui, parce qu’elles sont clandestines, n’ont pas accès aux services de santé dont bénéficient celles qui sont officiellement inscrites au fichier national sanitaire et social. Depuis 1969, les travailleuses du sexe sont en principe obligées d’avoir un carnet sanitaire pour exercer légalement leur activité. Cette disposition légale permet aux autorités sanitaires d’assurer un suivi médical de ces professionnelles, qui doivent se soumettre tous les deux mois à des examens afin de détecter d’éventuelles IST ou une infection au VIH. Mais selon une enquête menée par Enda-Santé, 80 pour cent des professionnelles du sexe à Dakar travaillent dans la clandestinité. Outre l’obstacle de l’âge minimum pour s’inscrire sur le fichier sanitaire -- 21 ans, un âge que de nombreuses filles n’ont pas encore atteint --, la stigmatisation et les brimades que les travailleuses du sexe disent subir dans les centres de santé ou de la part de la police semblent justifier le choix de la clandestinité. «Elles sont rejetées avec de lourdes charges de stigmatisation», explique Daouda Diouf, coordinateur du programme d’Enda-Santé. «On oublie souvent qu'avant d'être des travailleuses du sexe, ce sont des femmes, des mères de famille et qu'elles sont rejetées par leur famille et leur communauté.» Une situation que les organisations qui travaillent avec les professionnelles du sexe regrettent d’autant plus que ces femmes sont reconnues comme étant particulièrement vulnérables aux IST et au VIH. Ainsi, selon l’étude sentinelle 2004 du Conseil national de lutte contre le sida (CNLS), le taux d’infection au VIH parmi les professionnelles du sexe est de 20,9 pour cent à Dakar, et jusqu’à 30,3 pour cent à Ziguinchor en Casamance, au sud du pays. La dernière étude de démographie et de santé (EDS) publiée en 2005 établit le taux de prévalence du VIH au Sénégal à 0,7 pour cent de la population. Aller à la rencontre des plus fragiles Comme les professionnelles du sexe clandestines n’allaient pas vers les centres sanitaires, les équipes d’Enda-Santé ont donc décidé d’aller à leur rencontre. Cela fait 10 ans qu’Amy, animatrice de l’organisation, et quatre autres travailleurs sociaux, s’évertuent à établir puis à maintenir le contact avec ces groupes de femmes à Dakar et dans ses banlieues ainsi qu’à M’bour, une localité côtière touristique située à 80 kilomètres au sud de la capitale. Le premier défi des équipes de la clinique mobile a été de gagner la confiance de ces femmes, se souvient Amy. «Au début elles nous posaient des pièges pour nous tester, elles étaient très réticentes et avaient des préjugés sur la clinique», dit-elle. «Je devais les appeler une à une pour leur expliquer. Les filles ne voulaient pas rentrer dans le camion mais j'insistais en leur disant qu'il s'agissait juste d'une prise en charge médicale.» Une fois la confiance établie les choses sont en revanche allées très vite. «Il y a un réseau de communication extraordinaire entre les filles et elles ont entendu parler de nous d'un bout à l'autre de la ville. Désormais si la clinique tarde à venir, les filles m'appellent pour me demander ce qui se passe. Certaines filles s'imaginent même des maladies pour venir voir la clinique», confie-t-elle, amusée. Aujourd’hui, 2 000 travailleuses clandestines sont suivies régulièrement par la clinique mobile qui sillonne quatre fois par semaine les rues de la capitale, avec pour mission de soigner les IST et d’amener ces femmes vers le dépistage du VIH. «Nous proposons un traitement en cas [d’IST], dans 90 pour cent des cas nous avons à faire à des vaginites couplées avec des infections», explique le docteur Sédouma Yatera, l'un des deux gynécologues qui se relaient à la clinique mobile. «On discute également des voies de transmission [des IST] et [des moyens] d’éviter la contamination.» Fatou fait partie des clandestines venues ce soir-là à la clinique mobile. Comme de nombreuses autres membres du groupe qui attend son tour devant la camionnette, elle explique qu’elle a quitté son village pour venir gagner sa vie en ville. «J’ai besoin d'être en bonne santé pour gagner ma vie», explique cette jeune femme de 29 ans. «Avant [la clinique mobile], j'étais tout le temps malade, j'avais très mal avant et après mes règles ainsi qu'au cours des rapports. On m'a soignée et je n'ai plus de problèmes». Les traitements pour les IST sont fournis gratuitement lors des consultations, de même que les préservatifs masculins et féminins, ce qui donne l’occasion aux médecins et aux animateurs de discuter des comportements sexuels à risque. «Les filles nous expliquent souvent qu'avec les clients elles mettent toujours des préservatifs mais pas avec leur copain, or celui-ci a souvent trois ou quatre copines», se désole le docteur Yatera, regrettant que le niveau d’information des travailleuses du sexe clandestines, qui échappent à la plupart des campagnes de sensibilisation sur le VIH, soit parfois très faible, notamment chez les plus jeunes. Jusqu'à présent, la clinique mobile ne fait pas de dépistage du VIH. «C'est [un service] très lourd et [qui implique] d’assurer un suivi [en cas d’infection par le virus], mais nous comptons nous y mettre dans les mois qui viennent», explique M. Diouf. Promouvoir le dépistage au VIH et une bonne information En attendant, les équipes d’Enda-Santé travaillent en étroite collaboration avec le Centre de traitement ambulatoire (CTA) de l'hôpital de Fann, à Dakar, et elles orientent les patientes de la clinique mobile vers ce centre de dépistage et de prise en charge du VIH/SIDA, précise M. Diouf. «Nous insistons sur la promotion du dépistage et voulons faire accepter [aux femmes] l'idée d'être prises en charge», dit-il. Les médicaments antirétroviraux (ARV), de même que les examens biologiques liés au traitement du sida, sont gratuits au Sénégal depuis 2004. Si la mission première de la clinique mobile est d'apporter des soins médicaux, le rôle social qu’elle joue auprès de ces populations vulnérables a peu à peu pris de l’importance. Au-delà des tournées nocturnes, les animatrices rencontrent les travailleuses clandestines dans la journée. «Il y a toujours des problèmes à régler, avec leurs clients, entre elles, avec la police. Nous sommes en permanence en contact et mon portable est allumé 24 heures sur 24», avoue Amy en souriant. «On les materne un peu, c'est très rare pour elles de voir quelqu'un les soutenir, et les écouter lorsqu'elles elles évoquent leurs problèmes familiaux». Le programme prévoit aussi des visites à domicile et des formations sur la reproduction, sur le dépistage et sur les IST au cours desquels sont diffusés des films de sensibilisation. «On y parle de leurs relations avec la police, de la clandestinité, des rivalités entre les filles, mais aussi évidemment de santé et de dépistage. On insiste pour que les filles connaissent leur statut sérologique», explique Amy. Outre la satisfaction d'avoir su créer un lien social avec l’une des franges de la population les plus stigmatisées au Sénégal, l'équipe d'Enda-Santé se réjouit surtout de voir que les groupes de filles et de femmes suivies régulièrement ne sont plus confrontées à des problèmes de santé récurrents. Les efforts fournis par les médecins et animateurs semblent donc porter leurs fruits, en déduit Amy. «Des jeunes femmes qui ne connaissaient rien aux problèmes du sida il y a quelques mois viennent désormais à chaque passage pour récupérer des préservatifs, et elles sont allées pour la plupart se faire dépister».

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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