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La prostitution pour survivre, loin de la famille

Doudou a trouvé auprès de la principale association d’homosexuels au Sénégal le réconfort que lui avaient refusé les membres de sa famille. Jeté dehors par ses proches, il s’est bien gardé de leur apprendre sa séropositivité et son moyen de subsistance : la prostitution. C’est un grave accident de voiture, survenu une nuit de mai 2003 à Dakar et auquel son compagnon n’a pas survécu, qui a tout déclenché, a raconté Doudou – un nom d’emprunt. Souffrant de multiples fractures aux jambes, le jeune homme de 24 ans devra se déplacer en béquilles pendant près d’un an. Lui qui, avant l’accident, était rarement au domicile familial se retrouve immobilisé et découvre alors que sa famille n’a jamais accepté son homosexualité. «Mes demi-frères et demi-sœurs m’ont bouté hors de la maison alors que je marchais encore avec des béquilles», s’est-il souvenu, ajoutant que, de toute façon, il ne pouvait plus «supporter les mots qu’ils [lui] lançaient chaque jour». Alors qu’il n’était qu’un enfant, il s’est rappelé avoir subi des violences sexuelles de la part d’un ami de son oncle. Avec ses quelques économies, Doudou a alors loué une chambre dans la capitale sénégalaise. Il décide, sur les conseils d’amis MSM (Men having Sex with Men, les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes), de s’adresser à l’association sénégalaise de MSM ‘And Ligeey’ (‘Travaillons ensemble’, en wolof, la langue la plus parlée au Sénégal.) «Doudou s'est rapproché de l'association parce qu’il avait besoin d'une assistance financière et psychologique», a raconté un responsable de l’association. «Il avait perdu son fiancé qui faisait tout pour lui, et le médecin psychologue qui conseillait les MSM était à ce moment-là en voyage». C’est à travers And Ligeey, qui mène régulièrement des campagnes d’information sur le VIH/SIDA avec l’appui de l’organisation Enda-Santé, que Doudou décide en 2004 de faire le test de dépistage du VIH. «Doudou a fait son test au cours d’un atelier d’information, au moment où une étude était menée pour connaître le taux de prévalence du VIH/SIDA parmi les MSM», a expliqué un responsable de l’association. Cette étude, menée par des chercheurs sénégalais et français entre avril et août 2004 et publiée récemment, a révélé que 21,5 pour cent des MSM au Sénégal étaient infectés au VIH. Selon l’enquête nationale 2005 de démographie et de santé, ce taux de prévalence est de 0,7 pour cent pour l’ensemble de la population. Le test de dépistage du VIH de Doudou est positif. Convaincu que ses proches, avec qui il a coupé les ponts, ne l’aideront de toute façon pas, il décide de ne pas leur révéler son statut sérologique. Se prostituer pour continuer à vivre «Avec tout ce que ma famille m’a fait subir simplement parce que j’avais des jambes fracturées, j’imagine que ça aurait été pire d’être alité en phase sida», a dit Doudou. Sans formation, le jeune homme, qui a abandonné ses études avant la fin du collège, n’a jamais eu d’emploi fixe. Avant son accident, ce sont ses partenaires sexuels qui lui fournissaient ses moyens de subsistance. «Je peux dire que je m’adonnais à la prostitution», a t-il dit. «Je ne travaillais pas mais j’avais toujours beaucoup d’argent, mes partenaires m’en donnaient». C’est dans le milieu de la prostitution que Doudou a rencontré, en 1999, son compagnon décédé dans l’accident de voiture. Ce dernier était marié à une prostituée. «Il disait qu’il avait épousé cette femme uniquement pour avoir des enfants», a expliqué Doudou. Selon l’étude menée en 2004 auprès des MSM, plus de 94 pour cent des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes au Sénégal ont également des rapports sexuels avec des femmes. Doudou a reconnu qu’avant d’apprendre sa séropositivité, il n’avait jamais pris de précautions pour se protéger de l’infection au VIH ou des infections sexuellement transmissibles. «Mais depuis que je connais ma séropositivité, je me protège en demandant à mes partenaires de porter des préservatifs car je sais que je peux me surinfecter», a-t-il dit. Depuis août 2005, Doudou est sous traitement antirétroviral (ARV). Il dit respecter scrupuleusement les conseils que lui prodiguent les médecins du Centre de traitement ambulatoire (CTA) de la Croix rouge à Dakar, où il reçoit ces médicaments qui permettent d’améliorer et de prolonger la vie des personnes séropositives. Sans ressources, comment se protéger ? Au Sénégal, les médicaments contre le sida ainsi que les tests biologiques nécessaires au suivi du traitement antirétroviral sont fournis gratuitement par le gouvernement à travers l’Initiative sénégalaise d’accès aux ARV, l’ISAARV, mise en place en 1998. En dépit de cette gratuité, Doudou connaît les plus grandes difficultés à assurer sa subsistance depuis son accident et son départ du domicile familial. Après avoir épuisé ses économies, il a dû quitter la chambre qu’il louait et a alors été hébergé pendant quelques temps chez un ami dans la banlieue dakaroise. Il vit maintenant à Mbour, une localité côtière située à environ 80 kilomètres au sud de Dakar. «Doudou m'a dit qu'un ami lui aurait proposé du travail à Mbour, mais j'ai su plus tard qu'il se prostituait là-bas pour vivre», s’est désolé l’un des membres de l’association And Ligeey, précisant qu’il insistait à chaque rencontre avec Doudou sur la nécessité d’utiliser des préservatifs avec ses partenaires. Il ignore si ses conseils sont suivis. Selon Doudou, les MSM éprouvent les plus grandes difficultés à trouver un emploi dans un pays à 95 pour cent musulman où les relations sexuelles entre personnes du même sexe, qualifiées de «contre nature», sont illégales selon le code pénal. «Quand les gens se rendent compte qu’on est MSM, ils ne nous emploient pas, ou font tout pour nous chasser du travail que nous occupons déjà», a déploré le jeune homme. Près de deux ans après son accident, Doudou continue de souffrir de ses graves blessures. Les broches fixées dans ses jambes l’obligent à un suivi médical régulier très onéreux et qu’il ne peut plus financer, malgré l’aide de ses amis et d’And Ligeey. «A Mbour, deux MSM ont eu l'initiative d'organiser une soirée dansante pour collecter des fonds et venir en aide à Doudou, mais la soirée a été un fiasco», a regretté l’un des responsables de l’association. «Il y a une semaine, Doudou m'a demandé 1000 CFA [deux dollars] pour payer le trajet Mbour-Dakar pour se rendre au CTA prendre ses ARV», a-t-il ajouté. «Il n'a plus rien, il a même vendu son téléphone portable».

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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