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Une extension des traitements à hauts risques

Il y a trois ans, ils n’étaient qu’une poignée de personnes infectées au VIH à bénéficier de traitements antirétroviraux au Burkina Faso. Ils sont désormais des milliers à en recevoir dans ce pays pauvre, poussé par le milieu associatif et la communauté internationale à faire mieux et plus vite. Ainsi, plus de 6 600 personnes infectées au VIH reçoivent, en 2005, des traitements antirétroviraux (ARV) qui prolongent leur espérance de vie, contre 630 patients en 2002, une augmentation significative de la prise en charge médicale qui pèse sur un système public de santé peu préparé et mal organisé pour répondre à une telle demande. “C’est la première fois que nous sommes confrontés à une maladie à vie qui a une dimension et un impact social si grand”, a expliqué à PlusNews le docteur Gilbert Bakouan, le coordonnateur du Comité ministériel de lutte contre le sida (CMLS) au sein du ministère de la Santé. “On lit l’expérience des autres pays pour bien répondre, pour s’assurer que tout le monde aura accès aux traitements et qu’ils seront correctement suivis”, a commenté le docteur Bakouan. “Si nous commettons des erreurs, cela va retomber sur des milliers de malades.” Selon les autorités en charge de la lutte contre le virus, 120 000 personnes auraient besoin d’ARV au Burkina, un pays où, de sources officielles, le taux d’infection est en voie de stabilisation, autour de 2,3 pour cent en 2004, contre 2,7 pour cent en 2003 -- des “tendances encourageantes”, selon le programme conjoint des Nations Unies sur le sida (Onusida) dans son rapport épidémiologique pour 2005. En vue d’assurer un traitement à vie à tous ceux qui en ont besoin, maintenant et dans les années à venir, les autorités ont choisi de faire cotiser les patients : à l’heure actuelle, le coût des ARV subventionnés est évalué à 5 000 francs CFA (neuf dollars) par mois, une contribution à laquelle s’ajoute 3 000 francs CFA (5,3 dollars) au titre du suivi biologique. Ces examens, obligatoires dans le cadre de la surveillance du patient sous traitement, sont également subventionnés parce que beaucoup trop coûteux pour les populations de ce pays, le troisième plus pauvre au monde selon l’indice de développement humain du Programme de développement des Nations unies (PNUD). “Si quelqu’un est indigent, et si les autorités confirment sa situation en lui délivrant un certificat d’indigence, alors tout sera gratuit pour lui”, a expliqué le docteur Bakouan. Des traitements offerts gratuitement, malgré tout Les associations et les organisations non-gouvernementales n’ont pas attendu d’obtenir des certificats d’indigence, rarement demandés par les patients, pour délivrer des ARV gratuitement. Pour elles, les traitements demeurent hors de portée de la majorité des patients, souvent sans emploi ni revenus fixes -- au Burkina, le revenu moyen est estimé autour de 30 000 francs CFA (54 dollars) par mois. “C’est facile de décréter la non-gratuité des médicaments, mais en pratique c’est impossible : ceux qui viennent dans les associations sont les plus pauvres, ne pas leur donner les médicaments c’est de la non-assistance à personne en danger”, s’est insurgé Vincent Bastien, le coordonnateur de Vie positive, une association qui distribue directement des ARV à 43 personnes. Selon le Programme d’appui au monde associatif et communautaire, Pamac, 80 pour cent des traitements ARV prescrits au Burkina sont délivrés gratuitement, y compris par les structures hospitalières publiques. Mais “c’est une chose de le faire, c’en est une autre de l’annoncer” officiellement, a estimé le docteur Bertrand Cochoua, qui intervient auprès du CMLS au nom de la coopération française. Ces associations, appuyées par des ONG et des hôpitaux occidentaux, avaient démarré, dès le début des années 2000, la prescription de traitements gratuits à leurs patients, en toute illégalité, selon des responsables associatifs. “Tout le monde le savait, mais il était légalement difficile de travailler avec les médecins prescripteurs. Mais nous n’avions pas le choix : c’était ça ou beaucoup de monde allait mourir”, a dit Philémon Ouédraogo, le secrétaire général de l'Association Africa Solidarité, AAS, l’une des plus importantes du pays avec 300 patients sous traitement et une file active d’un millier de personnes. Afin de légaliser une situation connue de tous, l’Etat a fini par autoriser, en juillet dernier, quatre associations, parmi lesquelles AAS, à distribuer des traitements, une autorisation qui devient définitive dès lors que les structures se dotent d’une unité de soins qui répond aux critères de fonctionnement et d’hygiène d’un centre médical. Mais le CMLS, qui pilote les actions du ministère de la Santé en matière de lutte contre l’épidémie, ne souhaite pas étendre ces autorisations à toutes les associations de prise en charge, au risque de voir se développer un système de santé parallèle au système public, dont la philosophie échapperait aux autorités de tutelle. “Si elles donnent des médicaments gratuitement, il faut qu’elles nous assurent que ce sera à vie”, a estimé le docteur Bakouan,. “Si la subvention s’arrête, le patient devra revenir dans le système payant, ce qui est loin d’être évident.” Selon le Pamac, le budget nécessaire pour une prise en charge médicale de 25 000 personnes à vie serait de 12 millions de dollars par an, une somme que l’Etat affirme ne pas avoir à disposition alors qu’il doit prendre en charge d’autres pathologies telles que le paludisme, la tuberculose, la fièvre jaune ou l’hypertension. Des traitements payants pour un Etat responsable Cette préoccupation des autorités burkinabè fonde la réflexion sur l’accès universel aux médicaments et justifie le rejet de la gratuité, malgré la pluie de millions qui s’abat depuis quelques années sur ce pays semi-désertique, selon les acteurs de la lutte contre le VIH. Le Burkina vient en effet d’obtenir 12 millions de dollars du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, la deuxième tranche d’un programme de 20 millions de dollars approuvé en 2003 qui s’ajoute au 47 millions de dollars accordés par la Banque mondiale au titre du plan stratégique 2006-2010, selon l’Onusida. Mieux encore, le Burkina est, avec le Ghana et le Malawi, l’un des pays pilotes choisi par la Banque mondiale pour l’accélération de la prise en charge médicale des personnes vivant avec le VIH/SIDA, un programme d’accès aux traitements intitulé TAP. Au Burkina, le TAP, doté de 18 millions de dollars pour trois ans, s’appuie uniquement sur les associations -- 13 ont été sélectionnées, dans 22 districts du pays --, qui recevront du matériel et des médicaments pour 6 000 personnes, via la CAMEG, la centrale d’approvisionnement des médicaments génériques. “Le TAP, partant du constat que l’Etat ne faisait rien, voulait prouver que les patients africains pouvaient accéder aux médicaments ailleurs que dans le secteur public”, a expliqué Fodé Simaga, le coordonnateur du Pamac. Pourtant, pour le Pamac comme pour les associations engagées dans la prise en charge, des efforts ont été consentis par les autorités pour mettre le système de santé à niveau, compte tenu des difficultés économiques et des réalités sociales. Ainsi, le Burkina Faso a obtenu un premier financement pour la prise en charge thérapeutique en 2002, et l’Initiative d’accès aux traitements ne date que de 2003, a signalé M. Simaga estimant que “s’il n’y a pas eu de progrès, c’est qu’il n’y avait pas de moyens.” Selon des statistiques officielles, 35 pour cent des besoins médicaux de la population burkinabè sont satisfaits et seuls 359 médecins et 500 sage-femmes travaillent dans le secteur public, pour une population estimée à 13 millions d’habitants. Dans la plupart des cas, ces praticiens travaillent aussi dans le secteur privé, dans les centres médicaux ou les associations, pour améliorer leurs revenus : alors qu’un médecin dans le secteur public plafonne en fin de carrière à 350 000 francs CFA (628 dollars), il peut espérer obtenir rapidement un salaire identique dans le privé ou le milieu associatif. Des médecins introuvables “C’est flagrant, 95 pour cent des médecins font des prestations dans le privé”, a estimé Paul Nikiema, le directeur de l’hôpital pédiatrique Charles de Gaulle, à Ouagadougou, qui assure la prise en charge médicale gratuite de 200 enfants séropositifs. “Résultat, les gens ne sont pas souvent à leur poste et quand ils viennent c’est pour faire le minimum pour ne pas se faire prendre”, a-t-il affirmé. Pour Mamadou Sawadogo, la première personne vivant avec le VIH à avoir déclaré son statut sérologique au Burkina, en 1987, il est indispensable que l’Etat motive le personnel de santé, plutôt que de le laisser partir vers le monde associatif. “Les associations ont été pionnières parce que le système de santé avait démissionné et désormais avec l’argent du TAP, tout le monde attend que les associations aient l’argent pour aller travailler avec elles”, a-t-il dit. Néanmoins, grâce aux fonds de la lutte contre le VIH/SIDA, les établissements publics commencent, peu à peu, à s’équiper en matériel moderne qui, au-delà des patients infectés par le virus, profite à tous, ont admis des praticiens. “Tout est financé par l’argent du sida : on est gagnant de manière indirecte”, a indiqué M. Nikiema, ajoutant que l’hôpital avait ainsi pu acquérir des appareils de mesure de charge virale, de comptage des CD4 et des réactifs pour le dépistage du VIH, indispensables en matière de sécurité transfusionnelle. “Au final, toute la population y gagne, d’autant que d’autres maladies peuvent être ainsi dépistées”, a-t-il dit, rejoint par le docteur Cochoua : “Le sida a tiré l’hôpital vers le haut, ça a poussé à l’amélioration des plateaux techniques, à la qualité des soins.” C’était bien là l’un des objectifs des autorités, qui constatent avec satisfaction que moins d’un millier de traitements ARV sont distribués gratuitement à travers les associations, soit un sixième des traitements offerts par les structures hospitalières et les centres de santé décentralisés, selon le Pamac. “Les ARV sont arrivés sans que le système soit organisé, coordonné, le système de recouvrement des coûts fonctionne difficilement”, a estimé le docteur Cochoua. “Mais si nous déplorons que le discours officiel s’arc-boute sur la non-gratuité des traitements, il faut avouer que dans les faits, rien n’empêche que ça le soit. Aucune structure n’a de compte à rendre si elle décide qu’elle veut offrir des traitements. Leur position peut paraître raide, mais elle est en réalité très souple”, a-t-il expliqué. Néanmoins, ce double langage gêne les praticiens, qui souhaiteraient plus de clareté afin d’identifier et de suivre correctement les personnes sous traitement, qui ont tendance à aller et venir entre les associations en fonction de leurs disponibilités en ARV . “Instaurer la gratuité permettrait de résoudre un certain nombre de problèmes, et notamment d’amener davantage de patients vers les centres de santé”, a suggéré le docteur Samuel Koala, en charge du suivi des personnes sous traitement à AAS. “Pour l’instant, chacun fait ce qu’il veut, avec des tarifs différents et le patient est perdu.” Articuler le secteur privé et le secteur public Une meilleure coordination entre le secteur public et le milieu associatif est également souhaitée par ce dernier, qui voit dans l’articulation des deux pôles de santé une meilleure prise en charge des personnes infectées. “Le jour où l’Etat est prêt, au niveau des structures sanitaires, on peut transférer les patients vers les établissements publics et vaquer à d’autres occupations”, a expliqué Philémon Ouédraogo, d’AAS, créée en 1991 pour répondre aux besoins des personnes vivant avec le VIH. “La réponse de l’Etat a été très lente et les associations l’ont adaptée à la vie communautaire : nous ne sommes pas venus pour gâter le système sanitaire mais pour répondre aux besoins de la population et nous militons pour la gratuité”, a-t-il ajouté. “C’est désormais à l’Etat de faire la preuve qu’au niveau de l’hôpital, les gens sont bien pris en charge, qu’ils trouvent tout ce qu’ils veulent. C’est à eux d’en apporter les preuves et les associations suivront.” Comme beaucoup d’associations de personnes vivant avec le virus au Burkina, AAS cherche à valoriser d’autres projets et d’autres savoir-faires, propres au monde associatif, comme l’accompagnement psychosocial, le dépistage ou les groupes d’auto-support, des activités essentielles dans le suivi et le soutien aux patients. “Le passage à l’échelle [l’extension de l’accès au traitement] ne se fera qu’en suivant le système normal, traditionnel”, a insisté le docteur Koala. “Mais les associations ont leur place, notamment dans le suivi des files actives afin de désengorger les hôpitaux des patients que nous pouvons prendre en charge.”

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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