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«Même si c’est le sida, on veut savoir !»

Les centaines de travailleuses du sexe de Birnin-Konni, ville-carrefour entre le Nigeria et le Niger, préfèreraient connaître leur statut mais personne ne veut le leur dire, faute de conseils et de traitement à leur offrir. Ici, le sida est endémique. Birnin-Konni est un des plus importants nœuds commerciaux du Niger, à moins de sept kilomètres de la frontière avec le Nigeria. Dans ses rues sableuses, les poids-lourds venus de toute l’Afrique de l’Ouest luttent pour se frayer un passage parmi les chameaux, les singes et les moto-taxis. Birnin-Konni est traversée chaque jour par des camions qui rejoignent l’Algérie ou la Lybie au nord, ou les ports de Lagos ou d’Abidjan, sur la côte atlantique. Dans des bars sur le bord de la route, ou dans des maisons closes bondées, aux néons aguicheurs, les prostituées attendent. Déjà peu nombreuses, les infrastructures médicales de la ville sont en outre mal préparées à la lutte contre la pandémie de VIH/SIDA, qui ne fait que commencer. Une étude menée auprès de 114 prostituées de la ville en 2003 a montré que 60 pour cent d’entre elles étaient séropositives. Selon les médecins locaux, pourtant, leur révéler leur statut ne servirait à rien : les médecins eux-mêmes ne sont pas en mesure de les traiter. «Nous ne les encourageons pas à connaître leur statut. Nous effectuons uniquement un examen médical trimestriel, qui nous permet de diagnostiquer la syphilis et les infections urinaires», explique Yahaya Issoufou, le médecin-chef de l’hôpital public de Birnin-Konni. «Ca ne sert à rien de les informer de leur séropositivité, puisque nous ne pouvons rien faire pour elles», poursuit-il. «Ce serait comme si on leur disait qu’elles étaient déjà en phase terminale. Ca ne ferait qu’accélérer le développement de la maladie.» Par conséquent, de nombreuses prostituées de Birnin-Konni ont cessé de se rendre à l’hôpital pour y être traitées et le nombre des tests de dépistage a dangereusement chuté. Birnin-Konni compte plusieurs dizaines de maisons closes, où la clientèle abonde. Imostate a fui son état natal du nord du Nigeria lorsque la loi islamique (la Charia) y a été imposée. A 24 ans, elle se prostitue au «Campement». Elle connaît bien le problème. «On ne nous dit pas de quoi on est malades.» «Lorsqu’on va à l’hôpital, les médecins ne nous disent pas ce qu’on a. Ils nous donnent juste une liste de médicaments à acheter», raconte-t-elle à PlusNews. Assise à l’ombre d’un arbre, elle attend la tombée de la nuit pour commencer à travailler. «Pourquoi ne pas nous dire quelle maladie nous avons ?» s’exclame son amie Soyaba, une jolie Nigérienne de 22 ans, au front couvert de scarifications. «Même si c’est le sida, on veut savoir !» A la nuit tombée, les clients se bousculent dans la grande cour de la maison close, négociant les prix avec les filles avant de disparaître avec celle de leur choix à l’intérieur d’une des chambres de la maison, éclairées par des néons tape-à-l’œil, verts, jaunes ou roses. Pendant la journée, en revanche, les prostituées du «Campement», désoeuvrées, se reposent. Fatima, une Nigérienne potelée de 24 ans, dit avoir complètement cessé de se rendre à l’hôpital. «Nous avons remarqué qu’ils nous prescrivaient toujours la même chose», explique-t-elle, en énumérant une liste de médicaments contre les maladies vénériennes. «Mais maintenant, quand nous avons des infections de la peau ou des boutons sur le sexe, on ne prend plus la peine d’aller chez le médecin», ajoute-t-elle. «On achète juste du Nifluril ou d’autres médicaments qu’on trouve chez les vendeurs ambulants». Les rues de Birnin-Konni regorgent de petits commerçants qui vendent des assortiments de médicaments importés illégalement du Nigeria, ainsi que des paquets de cigarettes et des lampes de poche bon marché, fabriquées en Chine. Le Niger, pays enclavé parmi les plus pauvres du monde, a lancé l’année dernière une campagne pour distribuer des médicaments antirétroviraux (ARV), qui permettent aux personnes vivant avec le VIH/SIDA de prolonger leur espérance de vie. Il y a quelque temps encore, ces médicaments n’étaient distribués gratuitement qu’à 300 personnes vivant à Niamey, la capitale, située à 417 km à l’ouest de Birnin-Konni. Péniblement, la lutte contre le VIH/SIDA commence à s’organiser à Birnin-Konni. Dépistage : pour quoi faire ? Selon le docteur Abdoulaye Bagnou, le conseiller principal du gouvernement sur la question du sida et des infections sexuellement transmissibles (IST), les habitants de Birnin-Konni peuvent maintenant se procurer des ARV au nouveau centre de traitement du sida de Galmi, une petite ville située à 50 km à l’est. Le centre a été ouvert cette année, à l’hôpital missionnaire chrétien de la ville, dans le cadre d’une politique de décentralisation du traitement du sida. Selon Bagnou, il fournirait déjà des ARV à 35 personnes. Le docteur Issoufou, de l’hôpital public de Birnin-Konni, affirme qu’il y envoie ses patients depuis un mois. Une étude nationale réalisée en 2002 indique que le taux de prévalence global du VIH est de 0,87 pour cent au Niger, soit l’équivalent de 80 000 personnes sur la population totale (12 millions) de ce pays, aux trois quarts désertique. Cependant, la même étude a révélé un taux nettement plus élevé d’infections (25 pour cent) chez les prostituées. Les employés médicaux estiment que 500 d’entre elles travaillent à l’heure actuelle à Birnin-Konni. Il y a deux ans, le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) a ouvert un centre de dépistage volontaire à Birnin-Konni dans le cadre d’une initiative pour réduire la transmission du virus de la mère à l’enfant. Selon le docteur Thalcienne Ddihokubway qui travaille sur ce programme, ce centre aurait permis aux populations de Birnin-Konni d’être soignées pour les maladies opportunistes liées à la défaillance progressive de leur système immunitaire. Pourtant, selon le docteur Issoufou, les habitants qui craignent d’avoir contracté la maladie semblent ne plus avoir confiance en l’efficacité des services de l’hôpital. A l’ouverture du centre, en 2003, celui-ci accueillait environ 20 femmes par jour, contre cinq à dix patients par jour aujourd’hui. «Si de moins en moins de femmes consentent à effectuer un test de dépistage, c’est tout simplement parce que nous ne pouvons pas leur fournir le traitement nécessaire», explique le docteur Issoufou. «Les femmes qui se découvrent séropositives ne peuvent compter que sur leurs propres ressources.» Si les traitements font cruellement défaut à Birnin-Konni, des progrès ont néanmoins été effectués en matière de prévention, en collaboration avec le syndicat national des camionneurs. Un préservatif ou rien ! L’Union européenne a financé une campagne de sensibilisation et de distribution de préservatifs baptisée «Aids on the move» («Sida en exode»). Organisée par l’ONG américaine CARE, cette campagne est parvenue à sensibiliser à la fois les camionneurs et les prostituées à l’importance du port du préservatif. Les camionneurs devront passer le message aux milliers de travailleurs saisonniers qui se retrouvent à la gare routière de Birnin-Konni, à la recherche d’un moyen de transport vers la Côte d'Ivoire, au sud. Les prostituées ont véritablement pris conscience de la nécessité de se protéger. A tel point qu’il leur arrive de se liguer pour dénoncer et harceler les clients qui refusent le préservatif. Au «Campement», Mariama, une prostituée de 35 ans, brandit fièrement un paquet de 72 préservatifs. Elle explique qu’elle l’a acheté tout près de là, dans un petit kiosque tenu par l’Association des camionneurs nigériens, au prix subventionné de 1 250 francs CFA (2,50 dollars américains). «Mettons qu’un client entre dans la chambre et paie 1 000 francs CFA (2 dollars) pour la passe», raconte Mariama. «Je lui donne le préservatif. Je veux bien le lui mettre, même, s’il le faut. S’il refuse, je ne lui rends que la moitié de son argent. Et si ça ne lui plaît pas, je garde tout. S’il veut faire un scandale, on se dispute. Mais, au bout du compte, c’est lui qui y perd». Rakia, une jeune fille qui semble avoir la moitié de l’âge de Mariama, approuve. «Parfois, on se rassemble pour tabasser un client qui refuse de mettre un préservatif», ajoute-t-elle, tandis qu’un autre groupe de filles, qui écoutent la conversation, hochent la tête en signe d’assentiment. «Depuis que j’ai été sensibilisée au problème, c’est un préservatif ou rien», déclare Rakia. «Le préservatif nous protège aussi contre les IST.» Cette nuit-là, pourtant, Mariama, après avoir bu quelques verres, racole un client dans un bar des alentours, une cigarette dans une main et une bouteille de Conjoncture, la bière locale, dans l’autre. Le couple quitte le bar peu de temps après, bras dessus, bras dessous, en direction de la maison close. Mariama, éméchée, tient à peine sur ses jambes. «J’ai du mal à croire qu’elle pensera au préservatif», observe Ibrahim Adama, un travailleur de proximité du programme local de CARE, en la regardant partir.

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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