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Les critères du traitement contre le sida : décider qui doit vivre

Chaque samedi, un autobus sous escorte armée amène des prisonniers dans une clinique de Machava, dans les environs de la capitale du Mozambique Maputo, pour recevoir leur traitement antirétroviral. Sous les auspices d’une œuvre de bienfaisance catholique et italienne, la clinique traite 2 500 patients dont plus de 100 incarcérés à la prison locale. Cette initiative a déplu au ministère de la Santé, qui s’est plaint de ne pas en avoir été informé du traitement des prisonniers, ce à quoi Santo Egidio a répondu qu’il en était des services correctionnels d’en informer le ministère. Le cas de Santo Egidio énonce une véritable problématique : lorsque la demande en antirétroviraux est plus importante que l’offre, qui a la priorité? Au Mozambique, l’essence du problème réside dans l’absence de critères nationaux pour sélectionner les patients. Dans ces conditions, les fournisseurs d’ARV peuvent faire leurs propres choix. Selon l’Organisation mondiale de la santé, le critère de base pour commencer le traitement est que le nombre de CD4 doit être inférieur à 200 ou être à la phase III ou IV du sida. Les critères sociaux varient quant à eux énormément. Santo Egidio n’a qu’un seul critère : la situation géographique. Santo Egidio est une institution catholique et «donne une importance cruciale à la vie de tous et de chacun» comme elle le mentionne dans son dépliant «Un rêve : traiter le sida en Afrique». «Toute personne malade mérite un traitement», a dit le docteur Noorjehan Abdul Magid de la clinique Machava. Le dépliant mentionne néanmoins que la priorité doit être donnée aux femmes enceintes, aux mères célibataires, aux enseignants et aux professionnels de la santé. Les réseaux mozambicains de personnes vivant avec le VIH/SIDA estiment, eux, que les prisonniers ne peuvent avoir une vie saine et compléter les traitements avec une alimentation équilibrée, de l’exercice et des pratiques sexuelles protégées dans les prisons. «Compte tenu du manque de ressources, nous devrions traiter ceux qui peuvent avoir le soutien et la sécurité qu’offre une famille ou une association pour séropositifs», affirme Julio Mujojo, secrétaire exécutif du Réseau national des associations de personnes vivant avec le VIH/SIDA. Qui seront les premiers ? Le manque de ressources entraîne de grandes variations dans les critères sociaux censés sélectionner les candidats aux traitements. Le Bostwana, qui distribue gratuitement les thérapies anti-rétrovirales via son service de santé publique, donne la priorité aux personnes atteintes de tuberculose, aux femmes enceintes et à leurs enfants et conjoints. En Ouganda, il a fallu de longs débats au sein de l’Organisation de soutien aux malades du sida (TASO) pour accepter que les personnes les plus âgées soient prioritaires. TASO, un modèle de groupe de soutien pour les personnes séropositives fondé en 1987, a 30 000 membres et commencera la distribution de médicaments en 2005. A la clinique de l’organisation internationale Médecins sans frontières (MSF) à Khayelitsha en Afrique du Sud, un comité comprenant des professionnels de la santé, des travailleurs sociaux, des représentants des personnes infectées par le VIH et des membres de la communauté a arrêté un certain nombre de critères pour accéder aux thérapies : résider dans un endroit déterminé, fréquenter régulièrement la clinique pendant au moins trois mois, le nombre de personnes à charge, l’état de santé et le revenu. Un professionnel de la clinique visite le candidat aux ARV à la maison pour vérifier la stabilité du foyer, la consommation d’alcool, le soutien familial, la possibilité d’informer au moins un membre de la famille et, de préférence, la capacité de vivre ouvertement avec le VIH en s’intégrant à la vie communautaire. «La sélection des patients remet en question l’équité des services et, à cet effet, nécessite des critères clairement définis et transparents», révèle une étude de MSF à Khayelitsha. Question de genre Les disparités entre les sexes déterminent qui recevra un traitement ou pas. Des expériences menées dans plusieurs pays africains montrent que, lorsque le traitement est gratuit, plus de femmes et d’enfants y ont accès. Lorsqu’il y a un coût partagé, si infime soit-il, la majorité des patients sont des hommes. En moyenne, dans les programmes gratuits de distribution d’ARV, 60 pour cent des patients sont des femmes, 10 pour cent des enfants et 30 pour cent sont des hommes. Lorsqu’il y a partage des coûts, 60 pour cent sont des hommes et 40 pour cent des femmes. «Pour la distribution d’ARV, le sexe devrait être une préoccupation constante, une obsession», a déclaré Stephen Lewis, l’envoyé spécial des Nations Unies pour le sida en Afrique. Beaucoup d’écrits sont consacrés à la vulnérabilité des veuves : elles perdent leurs enfants, leur terre, leur maison et sont soumises aux rites traditionnels liés au veuvage. La polygamie est aussi une problématique difficile. «Si seulement deux adultes par famille peuvent être traités, qui aura la priorité : l’aînée ou la cadette des épouses?» s’interroge Florence Mahoro, une militante séropositive. Les militants séropositifs prioritaires ? Les militants séropositifs cherchent souvent à avoir un service préférentiel comme récompense pour leur combat contre le sida. Le Mali et d’autres Etats d’Afrique de l’ouest offrent de couvrir les frais des ARV aux militants qui acceptent de divulguer publiquement leur séropositivité en prenant part à un programme de prévention. Les associations de personnes vivant avec le VIH ont noté une hausse des nouveaux membres qui désirent un traitement en échange. Dans son étude ‘Equity in Access to AIDS Treatment in Africa: Pitfalls Among Achievements', Aline Desclaux se demande si «l’affirmation publique n’est pas une deuxième forme de paiement pour accéder aux traitements, une forme de confession parce que l’on a une maladie encore mal acceptée». Mais ces récompenses fortifient le rôle des militants dans les programmes de traitement et aide à ce que les personnes vivant avec le VIH soient acceptées par la société. Pourtant, on note qu’elles entraînent des conflits de pouvoir au sein des organisations de lutte. «Il est difficile de devoir décider qui vivra et qui mourra. Nous devrions laisser cette responsabilité aux médecins qui prennent quotidiennement ce genre de décisions», a dit le docteur Francis Omaswa, au ministère ougandais de la Santé. Les réseaux de personnes vivant avec le sida en Ouganda ne l’entend pas ainsi et souhaitent être représentés dans les comités de sélection des patients dans les hôpitaux et obtenir un traitement de faveur pour leurs militants. «En retour, nous donnons beaucoup à la société», spécifie Musisi Josephus Gavah, le coordonnateur du réseau des personnes vivant avec le sida dans le district de Mukono (Mudinet) dans le centre de l’Ouganda. Grâce à ses 600 membres, Mudinet offre des services de consultation sur la prévention du sida et des soins à domicile. Il distribue aussi préservatifs et moustiquaires pour éviter le paludisme, soutient les orphelins (don d’uniformes, défraiement des coûts de scolarité), offre des formations en planification budgétaire et possède plus de 50 groupes générateurs de revenus. Pour des coûts partagés Certains Etats d’Afrique de l’Ouest exigent que les coûts des ARV soient partagés en fonction des ressources du patient. Le Sénégal, le premier pays d’Afrique à créer un programme national de traitement aux ARV en 1997, a expérimenté un système de coût variable. Mais l’administration des frais s’est avérée coûteuse et chaotique et le Sénégal abandonna l’idée en 2001 après avoir réalisé que les sommes collectées ne représentaient que 12 pour cent des coûts défrayés par l’État. Des études ont démontré que le coût partagé réduit le nombre de nouveaux adhérents et augmente le risque d’abandon. Des études similaires menées au Burkina Faso et en Afrique du sud démontrent que les meilleurs taux d’adhérence sont enregistrés auprès des patients n’ayant pas à assumer le coût de leur traitement. «En Afrique, aucun patient et sa famille ne peuvent assumer les coûts», affirme le docteur Bernard Taverne, de l’Institut de recherche sur le développement de Dakar, au Sénégal. Si les ARV deviennent trop onéreux pour le patient, le risque est grand qu’il abandonne le traitement et qu’il développe ainsi une résistance aux médicaments ou même qu’il se tourne vers le marché informel des ARV, de la médecine traditionnelle, des médicaments non-approuvés voire qu’il se rend dans les pays voisins qui proposent des ARV moins chers. Compte tenu de cette situation, une coalition d’agences de développement et d’aide humanitaire a lancé une campagne internationale en novembre 2004 appelée Free by five, qui demande que tous les soins supportés par les personnes vivant avec le sida soient gratuits (www.heard.org.za). «Les frais de participation sont une barrière pour l’égalité, l’efficacité et la qualité des traitements du SIDA», affirme le manifeste de la campagne. Au Mali, au Sénégal, au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire, il existe des programmes d’exemption ou de réduction des frais pour les ARV destinés à certains individus ou groupes, comme les professionnels de la santé, les enfants, les militants séropositifs, les patients ayant participé à des programmes de recherche, les veuves, les orphelins, les femmes enceintes, les retraités, les démunis ou les étudiants. L’accès aux traitements est fondée sur le mérite, la productivité sociale, le nombre de personnes dépendantes, la capacité de payer et l’éthique dans les programmes de recherche. Le processus de prise de décision suppose un consensus parmi les superviseurs de programmes, les décisions politiques prises par les experts médicaux, l’étude des situations individuelles par les comités multidisciplinaires et la présélection par les professionnels de la santé, les travailleurs sociaux et les association de séropositifs. Ce que l’expérience et les études ont su prouver, c’est le besoin d’un processus de vérification afin d’éviter que les ART reproduisent les inégalités déjà existantes : celui qui a les contacts a l’accès. Un cas exemplaire est l’Angola où l’Etat fournit des ARV gratuits à plus de 2 000 patients. Depuis que le programme est subventionné par le gouvernement sans l’apport de bailleurs extérieurs, la sélection est devenue opaque. «Jusqu’à présent il n’y a eu aucun contrôle pour ce programme», a déclaré Rafael Marques, le directeur national de Open Society en Angola. Comme les traitements aux ART s’étendent en Afrique, le choix des bénéficiaires va devenir de plus en plus difficile et plus de débats seront nécessaires. «Les droits de l’Homme, la loi et l’éthique doivent nous guider pour que l’on puisse permettre de donner à tous de manière juste et équitable», conclue le rapport de la commission sur le VIH/SIDA et la gouvernance en Afrique des Nations Unies.

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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