1. Accueil
  2. Africa

Montrez-nous l’argent !

L’intervention, à la mi-novembre à Arusha, en Tanzanie, d’activistes du sida fustigeant la tentative américaine de retarder une nouvelle série de subventions du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, a suscité une vague de protestations sur la toile. Les Etats Unis, premier contributeur du Fond créé il y a trois ans, ont remis en question l’efficacité, la transparence, la capacité d’absorption des pays bénéficiaires ainsi que les subventions accordées aux Etats-voyous comme la Corée du Nord. Les participants se sont tout de même mis d’accord sur l’octroi, l’année prochaine, d’une nouvelle série de subventions d’une valeur d’un milliard de dollars américains. Cet incident a tout de même rappelé l’incertitude avec laquelle opère le Fonds mondial et la myriade d’activités liées au sida qu’il finance, de l’Albanie au Zimbabwe. Depuis sa création, le Fonds mondial a octroyé, en quatre séries de subventions, près de trois milliards de dollars de subventions à 128 pays. C’est bien inférieur aux 10 milliards de dollars annuels fixés comme objectif trois ans auparavant. Entre temps, le congrès américain a réduit de 200 millions de dollars la contribution des Etats-Unis au Fonds pour l’année 2005, qui s’établit désormais à 350 millions de dollars. Cette décision prouve, d’après les activistes, que Washington a choisi une approche unilatérale de la lutte contre le sida, écartant les institutions multilatérales au profit du PEPFAR, le plan d'urgence américain pour l'aide contre le sida du Président George Bush, lancé en 2003. Ce programme controversé doté d’une enveloppe de 15 milliards de dollars est prévu pour cinq ans et finance le traitement, la prévention, et les soins dans 15 pays en développement (Botswana, Côte d'Ivoire, Ethiopie, Guyane, Haïti, Kenya, Mozambique, Namibie, Nigeria, Rwanda, Afrique du Sud, Tanzanie, Ouganda, Vietnam et Zambie). Marques contre génériques La controverse vient du fait que PEPFAR privilégie les antirétroviraux de marque au détriment de médicaments génériques moins chers, et l’abstinence sexuelle et la fidélité sur l’usage du préservatif. Les détracteurs de l’initiative disent que le PEPFAR défend les intérêts des grands groupes pharmaceutiques américains et de la droite religieuse chrétienne. Le Réseau pharmaceutique oecuménique (EPN), qui représente les hôpitaux et associations chrétiennes dans 22 pays développés, s’était lui aussi, bien avant la conférence d’Arusha, insurgé contre le choix du PEPFAR d’utiliser des médicaments de marque dans les thérapies antirétrovirales (ART). Dans les pays en voie de développement, les services de santé traitent le plus souvent le sida au moyen de médicaments génériques. L’adjonction d’antirétroviraux de marque crée donc un système à deux vitesses tandis que la multiplication des médicaments complique les mécanismes d’achats et d’approvisionnement. Elle alourdit également la tâche des professionnels de la santé et des travailleurs communautaires qui doivent administrer des régimes différents à des patients appartenant parfois à la même famille. Les traitements génériques utilisent des combinaisons de trois cachets en une pilule à prendre une fois par jour tandis que les ART de marque se présentent sous la forme de plusieurs pilules à avaler quotidiennement. Cela peut donc compliquer l’observance et amener les patients à partager leurs pilules avec les membres de leur famille, d’après EPN. Le PEPFAR n’utilise pas les ARVs génériques s’ils n’ont pas été approuvés par l’autorité américaine de régulation, la FDA, même s’ils sont agrées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Pour les détracteurs du programme, la FDA ne devrait pas s’octroyer le rôle de contrôleur universel de la qualité des médicaments mais devrait plutôt renforcer le rigoureux processus de certification développé par l’OMS au lieu de le désavouer. Cédant sur ce point, la FDA a amorcé une procédure d’autorisation accélérée des médicaments génériques trois-en-un pour 2005. Mais pour le groupe de pression américain Health Gap, la manœuvre de la Food and Drugs Administration n’a d’autre but que d’exclure les génériques de la liste des médicaments autorisés tout en laissant le temps aux compagnies pharmaceutiques de développer des médicaments trois-en-un de marque. Les premiers essais cliniques sur l’innocuité et l’efficacité d’un médicament trois-en-un effectués au Cameroun par la branche suisse de Médecins Sans Frontières (MSF) et une agence française de recherche sur le sida (dont les résultats ont été publiés plus tôt dans l’année) ont montré que Triomune, un médicament produit par le fabricant indien CIPLA, a aussi bien fonctionné que les médicaments de marque. Après six mois de suivi, 80 pour cent des patients, précédemment au stade IV du sida (lorsque le système immunitaire est détruit par le virus), avaient une charge virale indécelable. «Notre expérience de terrain nous permet de dire que ces combinaisons génériques d'antirétroviraux à dose fixe prolongent des vies», a dit MSF dans un communiqué. Tandis que le prix des ARV a considérablement baissé ces dernières années, passant de 15 000 à 185 dollars par an et par patient en Afrique du sud, PEPFAR paie le prix fort pour ses médicaments. Le Wall Street Journal a écrit, au mois d’octobre, que PEPFAR payait les médicaments destinés à lutter contre le sida au double du prix payé par la Banque mondiale ou le Fonds mondial, les deux autres sources principales de financement des ART. Payer le double du prix revient à traiter moitié moins de patients, disent les détracteurs du programme. C’est cette baisse du prix des médicaments qui a provoqué ce que le docteur Eric Goemare de MSF qualifie de "bouleversement sismique" dans la capacité et la volonté des gouvernements à traiter leurs ressortissants. Changements de stratégie Réagissant aux critiques formulées en mai 2004, le PEPFAR s’est engagé à harmoniser son travail avec les autres bailleurs de fonds et gouvernements. L’ambassadeur Randall Tobias, coordinateur pour les Etats-Unis de la lutte contre le sida, s’est engagé à "respecter les décisions des gouvernements locaux sur la manière de gérer les programmes VIH/SIDA". Le Mozambique, qui ne fournit que des ARV génériques, est un bon exemple. La multiplication de protocoles thérapeutiques ajouterait encore au fardeau d’un système de santé délabré où les professionnels de santé sont rares dans l’un des pays les plus pauvres au monde. "Nous ne pouvons avoir des systèmes parallèles et dupliquer les efforts en matière d’achats de médicaments, de pharmacie, d’informatisation, de contrôle et de formation", a dit le docteut Mouzinho Saidi du Programme national mozambicain de lutte contre le VIH/SIDA. "Imaginez un seul instant: les patients et les docteurs seraient confinés à l’endroit où ils peuvent trouver un certain type d’ART." Le gouvernement mozambicain a déclaré que le PEPFAR devrait soutenir la stratégie nationale et ne pas en imposer de nouvelles. "Nous avons eu des négociations longues, difficiles et de haut niveau mais nous sommes parvenus à un accord", a dit Saidi à PlusNews. PEPFAR a accepté de financer les volets non pharmaceutiques d’ART, d’élargir les sites de traitement, de former des travailleurs de santé, d’améliorer les laboratoires, et de garantir la sécurité des transfusions de sang et leur qualité. Il fournira également des ARV de seconde génération pour les patients qui présentent des résistances et des ARV pour les enfants, les plus chers. Au Mozambique PEPFAR s’est engagé à débloquer 25,5 millions de dollars en 2004 pour financer notamment la prévention, le conseil, la prévention de la transmission du sida de la mère à l’enfant ainsi que les soins aux orphelins et à domicile. EPN a recommandé une meilleure coordination du PEPFAR avec les programmes existants de lutte contre le sida. Compte tenu de la diversification des sources de financement, le besoin est grand d’harmoniser et de rationaliser les procédures des bailleurs de fonds pour mieux utiliser les subventions. D’après l’Onusida, qui a développé trois objectifs majeurs pour la coordination (‘Three ones’), il est nécessaire de se doter d’un cadre national de lutte contre le VIH/SIDA, d’une autorité nationale de coordination et d’un système d’évaluation et de contrôle pour éviter les duplications et identifier les blocages dans les flux d’aide. Beaucoup considèrent que le Fonds mondial est plus qu’un mécanisme de financement. "Le Fonds réécrit les règles de l’assistance. Il essaye de marrier de ce qui existe : le sens de l’urgence, des programmes adoptés par les bénéficiaires et auxquels ils participent», a déclaré lors de la conférence de Bangkok sur le sida Mabel van Orange, directrice du Open Society Institute basé à Bruxelles. On reproche souvent au PEPFAR de détourner les financements potentiels du Fonds mondial. "Les gouvernements donateurs devraient considérer le Fonds mondial de la même manière qu’ils considèrent leurs autres priorités nationales, comme les contributions au maintien de la paix dans le monde ou les investissements dans le système éducatif national", a déclaré le Conseil international des organisations de lutte contre le sida dans un rapport publié en 2004. Cet article est tiré d’un dossier spécial PlusNews sur les thérapies en Afrique

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

Partager cet article

Get the day’s top headlines in your inbox every morning

Starting at just $5 a month, you can become a member of The New Humanitarian and receive our premium newsletter, DAWNS Digest.

DAWNS Digest has been the trusted essential morning read for global aid and foreign policy professionals for more than 10 years.

Government, media, global governance organisations, NGOs, academics, and more subscribe to DAWNS to receive the day’s top global headlines of news and analysis in their inboxes every weekday morning.

It’s the perfect way to start your day.

Become a member of The New Humanitarian today and you’ll automatically be subscribed to DAWNS Digest – free of charge.

Become a member of The New Humanitarian

Support our journalism and become more involved in our community. Help us deliver informative, accessible, independent journalism that you can trust and provides accountability to the millions of people affected by crises worldwide.

Join