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La privatisation de la filière coton suscite des craintes

Après plusieurs années de retard, la Compagnie malienne pour le développement du textile (CMDT), la société nationale de coton du Mali, est sur le point d’être privatisée et l’appel d’offres pour la reprise de l’entreprise vient d’être lancé. Toutefois, la Banque mondiale, qui soutient le choix de privatiser l’entreprise, craint que les conditions favorables à cette opération ne soient pas réunies actuellement.

« Le but de la privatisation est de parvenir à mieux gérer la filière coton […] afin que le Mali puisse concurrencer d’autres pays producteurs comme l’Inde ou le Brésil […] mais cela ne pourra pas se faire [...] Je suis très, très pessimiste à propos du processus de privatisation », a déclaré Olivier Durand, expert agricole de la Banque mondiale au Mali.

Selon Oxfam international (OI), une organisation non-gouvernementale (ONG), depuis les années 1990, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) sont favorables à la privatisation de la filière coton, mais l’opération a été retardée parce que la CMDT et les producteurs de coton ne sont pas encore organisés en coopératives bien structurées, capables de faire face aux effets de la privatisation, et que leurs matériels agricoles et leurs champs ne sont pas encore assez bien entretenus pour attirer les investisseurs.

Compte de tenu de ces éléments, des institutions financières telles que la Banque mondiale et le Fonds monétaire international estiment que la privatisation est la seule solution.

Le Mali est un des plus grands producteurs de coton d’Afrique sub-saharienne. Quatre millions de Maliens vivent de la culture du coton et ce produit représente 25 pour cent des exportations totales du pays.

La société nationale de coton en difficulté

Le Mali a produit 600 000 tonnes de coton en 1998, mais actuellement il en produit moins de la moitié, selon les statistiques officielles. D’après un rapport d’OI, publié en 2007, le coton est cultivé dans pas moins de 200 000 petites exploitations familiales dans les régions de Sikasso, Koulikoro, Segou et Kayes et 80 pour cent des producteurs de coton du Mali vivent dans la pauvreté.

Ces dernières années, la filière a connu de graves problèmes en raison de la chute du prix fixe national, qui a suivi celle des cours mondiaux – passant de 50 centimes de dollar le kilogramme en 2004 à 39 centimes, en 2007 –, de l’envolée du prix des engrais, qui a augmenté de pas moins de 80 pour cent en une année, du mauvais entretien du matériel agricole, de la mauvaise gestion de la société nationale de coton et de la baisse de la production, selon Fagnanama Koné, chef de la Mission de restructuration du secteur coton au Mali (MRSC).

Au Mali, l’industrie du coton fonctionne sur le principe du crédit. Les investisseurs financent à l’avance une récolte ou « campagne » cotonnière à travers la CMDT, afin que les producteurs puissent acheter des engrais et des pesticides. La CMDT commercialise le coton, se charge de l’égrenage, du transport, forme les producteurs et fixe les prix avant le début de la récolte. Les paysans reçoivent environ 40 pour cent du bénéfice net.

Mais compte tenu des conditions actuelles et des difficultés qu’ils ont à être concurrentiels sur un marché américain fortement subventionné, les producteurs de coton n’ont plus d’argent pour rembourser les crédits accordés par la CMDT, selon Siaka Diakité, secrétaire général de l’Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM). Aussi la CMDT se retrouve-t-elle avec une dette de 65 millions de dollars.

« La CMDT n’est plus en mesure de soutenir les producteurs. Elle ne peut pas rembourser ses dettes et cela pèse lourdement sur le budget national », a expliqué Fagnanama Koné.

Les conséquences sur les paysans

En raison de ces dettes, la CMDT n’a pu payer bon nombre de ses producteurs après la récolte d’octobre 2007. « Après la récolte, nous nous attendions à être payés au bout de deux semaines, comme d’habitude, mais six mois plus tard, nous n’avons toujours rien reçu », a confié à IRIN Soumana Sylla-Diba, un producteur de coton de Fana, une localité située à 120 kilomètres au nord-est de Bamako.

Les paysans abandonnent en masse la filière : sur 1,7 million de producteurs inscrits à la CMDT, 56 816 ont quitté la filière depuis 2005, selon Oumar Traoré qui travaille pour la compagnie depuis 17 ans.

« J’ai commencé à planter d’autres cultures comme le maïs et le mil : le prix des engrais est tout aussi élevé, mais c’est mieux que de cultiver du coton », a expliqué M. Sylla-Diba à IRIN.


Photo: Anna Jefferys/IRIN
Les revenus du coton étant trop faibles, Soumana Sylla-Diba de la région de Fana s'est désormais tourné vers la culture du maïs
Les partisans de la privatisation

« L’objectif visé par la privatisation est de limiter les risques financiers encourus par l’Etat, d’améliorer la gestion et la rentabilité de la filière et de favoriser l’entrée des investisseurs dans le capital », a confié à IRIN M. Koné.

Une fois la filière privatisée, les producteurs pourront s’en sortir avec de plus grandes marges de bénéfice sur la vente de leur coton, a expliqué M. Durand, ce qui les placera dans une position plus forte si les cours mondiaux augmentent. En outre, ils devront gérer plus efficacement leurs activités parce qu’ils seront tenus de rendre des comptes aux investisseurs.

Mais dans le même temps, M. Durand reconnaît qu’aucune des conditions favorables à une privatisation réussie n’est encore en place. Les producteurs ne se sont pas regroupés en coopératives bien structurées et ne sont pas capables d’entretenir leur matériel agricole correctement, de façon à attirer les investisseurs.

« Nous sommes dans un cercle vicieux où les banques commencent à retirer leurs investissements de la CMDT. Résultat : plus aucun crédit n’est accordé aux paysans, les producteurs ne peuvent donc pas entretenir leur matériel et la production est faible. Cela réduit davantage les chances de voir des investisseurs reprendre la compagnie », a expliqué M. Durand.

Pour mettre fin à ce cycle, plutôt que de retarder davantage la privatisation, « il faut la faire dès que possible, avant la récolte 2008 », a-t-il prévenu.

Les craintes

Pour Diakaridia Traoré de l’UNTM, « la mise en liquidation de la CMDT comporte des risques énormes, tant aux plans technique et économique que social. Du licenciement des ressources humaines, à l'effondrement de la production, en passant par l'absence d'opérateurs sérieux pour l'acquisition des filiales. Les conséquences de la privatisation de la filière coton pourraient être dramatiques pour l'essor socio-économique de notre pays ».

Selon Adama Coulibaly, un producteur de coton, les travailleurs sont inquiets des chocs économiques auxquels ils pourraient être confrontés à la suite d’une fixation du cours du coton. « Pendant des années, la CMDT nous a protégés [...] nous savons que ce sera différent avec les nouveaux repreneurs ».

D’après les recherches d’OI, la privatisation va reporter sur les paysans tous les risques associés à la baisse des cours du coton, et cela « pourrait éventuellement augmenter de cinq pour cent la pauvreté en milieu rural au Mali ».

Alternatives

Pour certains producteurs comme M. Sylla-Diba, plutôt que de privatiser la filière, le gouvernement devrait restructurer la CMDT pour la rendre plus efficace.

Mais reconnaissant que le processus de privatisation est inéluctable, d’autres producteurs essaient de trouver des solutions pour en atténuer les effets.

OI encourage la Banque mondiale et les investisseurs à appliquer au Mali le processus de privatisation de la filière coton mis en œuvre au Burkina Faso. Au Burkina Faso, un fonds d’appui est en cours de création, avec l’aide des bailleurs ; il permettra d’aider les paysans à amortir le choc de la chute des cours mondiaux. Des coopératives d’exploitation de coton ont également été encouragées à se regrouper en confédérations, à se former à la gestion d’entreprise et à se conformer aux nouvelles obligations de la privatisation, afin d’influer sur le processus de privatisation.

OI appelle également les bailleurs de fonds et les investisseurs à garantir un prix d’achat minimum aux producteurs de coton maliens pour leur éviter de sombrer dans la pauvreté si les cours mondiaux venaient à chuter.

Baboye Silla-Diba, qui dirige une coopérative de producteurs de coton à Fana et sert d’agent de liaison avec le gouvernement, a accueilli favorablement ces propositions.

« Nous essayons de nous organiser, mais la plupart de nos membres sont illettrés, ce qui n’arrange pas les choses. Nous avons besoin d’une aide supplémentaire pour que nos points de vue soient pris en compte », a-t-il expliqué à IRIN.

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This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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