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Esclavage « légitimé » - défenseurs des droits humains

Des organismes de défense des droits humains ont dénoncé, dans un rapport publié récemment sur le sort du million d’ouvriers agricoles que compte le Zimbabwe, les salaires de misère et les quelque 10 000 décès d’ouvriers agricoles provoqués par la politique publique de redistribution des terres.

Auparavant, les propriétaires agricoles étaient pour la plupart blancs ; aujourd’hui, ce sont majoritairement des Noirs. Ce changement, occasionné par le programme de réforme agraire accélérée, lancé par le président Robert Mugabe en 2000, n’a pas amélioré le sort des ouvriers agricoles et a été condamné par plusieurs avocats défenseurs des droits humains dans un communiqué récent, intitulé ‘La légitimation des formes contemporaines d’esclavage – Le cas des ouvriers agricoles au Zimbabwe’.

« Les Avocats zimbabwéens pour la défense des droits humains [ZLHR] se joignent aux Zimbabwéens qui se trouvent dans les mêmes dispositions pour condamner, de la façon la plus virulente, la condition des ouvriers agricoles zimbabwéens et le traitement qu’ils continuent d’endurer », ont déclaré les ZLHR.

Les ZLHR ont appelé le gouvernement et les agriculteurs à « prendre conscience de la conjoncture économique difficile et en dégradation constante, et de la nécessité pour les travailleurs de survivre », une opinion partagée par le Syndicat général des travailleurs de l’agriculture et des plantations du Zimbabwe (GAPWUZ).

« Le problème principal, c’est que les ouvriers agricoles sont, depuis longtemps, traités avec mépris par leurs employeurs. Les gens se disent qu’ils viennent de régions rurales où les populations n’ont pas besoin de beaucoup d’argent pour vivre, mais en fin de compte, ce sont des employés, au même titre que ceux qui travaillent dans des bureaux, et ils méritent le respect qu’on doit aux employés », a expliqué à IRIN Gift Muti, le secrétaire général adjoint du GAPWUZ.

Bien que le GAPWUZ ait réussi à obtenir une augmentation de salaire en mai dernier, la plupart des propriétaires agricoles s’en sont tenus aux anciens salaires.

Conformément à la nouvelle structure salariale, les ouvriers agricoles les mieux rémunérés, ceux qui travaillent dans les plantations de peuplements industriels, devraient percevoir un salaire mensuel de 300 000 dollars zimbabwéens (3,65 dollars américains au taux de 82 000 dollars zimbabwéens pour un dollar américain, pratiqué sur le marché parallèle) ; les ouvriers horticoles devraient empocher 200 000 dollars zimbabwéens (2,43 dollars), et les employés non spécialisés qui travaillent à la production de maïs et de blé devraient gagner 96 000 dollars zimbabwéens (1,17 dollar) par mois.

Des salaires mensuels de moins d’un dollar

Avec l’ancienne structure salariale, encore en vigueur à l’heure actuelle, un ouvrier agricole général gagnait 30 000 dollars zimbabwéens (0,36 dollar) par mois – assez pour acheter deux miches de pain au prix actuel ; une somme bien inférieure au seuil de pauvreté du pays, estimé à 3,5 millions de dollars zimbabwéens (43 dollars).

La récession, qui dure depuis sept ans au Zimbabwe, a engendré un taux de chômage de 80 pour cent et un taux d’inflation annuel de plus de 3 700 pour cent – le plus élevé du monde.

Au début de l’année, les ouvriers agricoles ainsi qu’une commission parlementaire commune sur l’agriculture et le travail ont mis les salaires dérisoires sur le compte de l’échec du GAPWUZ à représenter efficacement les intérêts de la population ouvrière.

Mulandu Bauleni, 44 ans, travaille dans une plantation de maïs et de blé, dans la province du Mashonaland Central.

« Ces trois dernières années, nous n’avons reçu la visite d’aucun représentant syndical et nos opinions ne sont jamais sollicitées pendant les négociations. Je n’arrive pas à comprendre comment ils pourraient réussir à nous obtenir de bons salaires s’ils ne comprennent pas notre condition », a-t-il expliqué à IRIN.

M. Bauleni a raconté que ses deux enfants étaient censés être à l’école primaire, mais qu’ils n’y allaient plus parce qu’il n’avait plus les moyens de leur acheter des uniformes ni de payer les frais de scolarité trimestriels de 25 000 dollars zimbabwéens (0,30 dollar).

« Parfois, je pense que Dieu nous a condamnés à une vie de misère. Mes parents, qui travaillaient dans des exploitations de Blancs avant que les Noirs ne les reprennent, étaient presque des esclaves. Maintenant, on dirait que c’est pire pour moi, et je n’ai aucun espoir que mes enfants, ni leurs enfants à eux, se sortent de ce pétrin », a déploré M. Bauleni, qui portait une salopette déchirée, son seul vêtement.

« La vie est de plus en plus dure »

L’exploitation agricole dans laquelle travaille M. Bauleni a été reprise par un haut fonctionnaire du ZANU-PF, le parti au pouvoir, en 2001. Aujourd’hui, M. Bauleni vit encore dans une cabane et sa famille doit se contenter, pour survivre, de deux plats de bouillie de maïs par jour, parfois accompagnés de poisson, pêché par ses enfants dans les barrages ou les ruisseaux de l’exploitation.

Selon M. Bauleni, son employeur lui aurait dit qu’il ne se conformerait pas à l’augmentation de salaire de mai en raison de la sécheresse.

« Mais c’était un mensonge. Ses cultures sont irriguées et le barrage est à moitié plein, malgré le peu de précipitations », a-t-il dit. « En plus, nous avons contribué à lui assurer de bonnes récoltes de maïs et de blé, et de toute évidence, il empoche de grosses sommes d’argent à la sueur de notre front, puisqu’il s’est acheté une nouvelle voiture et deux tracteurs ».

Non loin, dans une autre exploitation agricole, Joyce Muzondo, une mère célibataire de 30 ans, a révélé que les ouvriers agricoles travaillaient de longues heures mais n’étaient pas rémunérés pour leurs heures supplémentaires, et qu’il leur arrivait parfois de ne pas percevoir de salaire pendant plusieurs mois.

Les travailleurs n’ont pas de congés maladie ni de congés maternité, et beaucoup d’entre eux quittent les plantations pour tenter de trouver un travail mieux rémunéré, tels le lavage illégal de l’or à la batée, le brassage de bière ou la prostitution.

Samual Rundori, à qui le gouvernement a donné 400 acres de terres en 2003, est propriétaire d’une plantation de tabac et de maïs dans la province du Mashonaland Central ; il a admis que certains nouveaux propriétaires agricoles traitaient leurs ouvriers comme des prisonniers, mais a défendu les salaires faibles qu’il donnait à ses employés.

« Les gens doivent prendre conscience du fait qu’en tant que nouveaux propriétaires, nous opérons dans des conditions difficiles. Contrairement aux anciens agriculteurs commerciaux, qui possédaient de vastes superficies de terres, nous avons des terrains plus petits et n’avons pas les infrastructures suffisantes pour que nos exploitations soient lucratives », a expliqué M. Rundori à IRIN.

De plus, « il nous est difficile d’obtenir des prêts parce que les banques exigent des nantissements, que nous ne pouvons pas constituer à l’heure actuelle, tandis qu’en même temps, nous devons rembourser le gouvernement des apports qu’il a faits », a-t-il ajouté.

En 2006, le gouvernement a commencé à accorder des baux de 99 ans aux fermiers, en les autorisant à les faire valoir à titre de nantissement, mais la plupart des banques refusent de les accepter, soutenant que ces baux ne permettent pas de garantir un remboursement en cas de cessation de paiement, parce que les terres restent la propriété de l’Etat.

Des milliers de décès d’ouvriers agricoles

Le programme de réforme agraire du gouvernement aurait coûté des milliards de dollars américains aux contribuables, et pas moins de 10 000 ouvriers agricoles seraient morts d’avoir été déplacés par l’invasion de leur exploitation agricole, selon « Ajouter l’insulte à l’injustice », un rapport sur les violations des droits humains perpétrées entre 2000 et 2005, rédigé par Forum, une ONG zimbabwéenne de défense des droits humains, en collaboration avec l’ONG Justice for Agriculture Trust.

Entre 2006 et 2007, une étude a été menée sur une période de six mois dans 187 exploitations agricoles commerciales appartenant auparavant à des propriétaires blancs, et dont 94 pour cent avaient été partagés entre de nouveaux propriétaires.

Les chercheurs ont découvert qu’environ un pour cent des ouvriers déplacés et leur famille étaient morts, ce qui, « extrapolé à l’ensemble des ouvriers agricoles, soit un million de personnes, et à leurs familles », reviendrait à dire que 10 000 personnes pourraient être mortes après avoir dû quitter leurs exploitations.

Selon les estimations publiées dans le rapport, les pertes financières totales subies par le secteur agricole commercial du fait de la redistribution des terres s’élèvent à 8,4 milliards de dollars. Environ un Zimbabwéen sur 12 aurait également subi au moins une violation de ses droits humains, tandis que de nombreuses personnes « auraient subi des mauvais traitements multiples ».

« Il est probable que des crimes contre l’humanité aient été commis au cours de ces déplacements », peut-on également lire dans l’étude ; ils auraient été perpétrés par des anciens combattants, des membres du ZANU-PF, des officiers de police, ou encore des parlementaires, des membres de la présidence et d’autres représentants du gouvernement.

« Ces découvertes indiquent qu’il s’agirait d’une confiscation organisée des terres, planifiée par les fonctionnaires, et non une saisie spontanée, effectuée par des populations noires sans terre, comme le prétend le gouvernement », d’après le rapport.

fm/go/he/nh/ads/ail


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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