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“Mon seul problème, c’est mon mari”

[Senegal] HIV-positive women in Senegal have many problems to talk publicly about the virus with families and men shutting them up at home. Pierre Holtz/IRIN
Selon Enda-Santé, 80 pour cent des professionnelles du sexe à Dakar travaillent dans la clandestinité.
Elle hésite encore… mais sa décision semble déjà prise : Fatou quittera son foyer si son mari persiste à l’empêcher de parler à visage découvert de sa séropositivité et des efforts qu’elle consent pour “aider ses soeurs”.

“Je pourrais aider beaucoup de gens si j’étais plus ‘visible’, je pourrais aider toutes les femmes au lieu de n’aider que ma famille”, explique Fatou. “Si mon mari ne me laisse pas faire, alors je le quitterais”, dit-elle, d’une voix calme et réfléchie.

Pourtant, elle l’admet volontiers : c’est grâce à lui, à sa compréhension et à son affection, qu’elle a pu surmonter le choc qu’a provoqué, chez cette jeune fille de 23 ans, l’annonce de sa séropositivité.

“C’est grâce à lui, à mes enfants, que j’ai pu m’en sortir”, raconte Fatou, 31 ans aujourd’hui. “Beaucoup de femmes sont désemparées parce qu’elles sont seules à gérer leur situation, elles sont seules à savoir et à comprendre ce qui leur arrive. Ca n’a pas été mon cas et cela m’a sauvé.”

Forte de cet appui familial, Fatou a pu intégrer la première et la seule association de femmes séropositives du Sénégal, dont elle est désormais la présidente.

Mais en raison des réticences de son mari vis-à-vis de sa vie publique, elle garde l’anonymat et secret le nom en wolof, la principale langue d’usage au Sénégal, de son association, 150 femmes “Unies dans l’espoir.”

C’est donc sous un nom d’emprunt que Fatou raconte son histoire. Drapée dans une élégante tenue mauve, des chaussures à hauts talons assortis et brodés de perles, elle se souvient des premières années quand, enfermée chez elle, elle réfléchissait à sa vie future.

“J’ai appris ma séropositivité après la naissance de mon deuxième enfant, le premier que j’ai eu avec mon mari actuel”, se rappelle Fatou. “Pendant la grossesse, j’étais tout le temps malade et ça a continué après la naissance de ma fille. Les médecins m’ont fait faire des examens, sans me parler d’un test VIH.”

Et ce n’est pas à Fatou que les médecins annonceront son statut, mais à son mari.

“Heureusement, il a très bien réagi. Pourtant, on ne connaissait rien, mais c’est lui qui a proposé, tout de suite, d’aller faire son test”, explique-t-elle.

Le test se révèle positif et son mari est mis sous traitement antirétroviral six mois après. A 38 ans, il continue de prendre ses médicaments, gratuits au Sénégal, et à travailler.

Les débuts n’ont pas été faciles. “On s’est disputé, bien sûr, pour savoir qui était responsable. On s’est renvoyé la balle, on s’est posé beaucoup de questions.”

“Et puis, un jour, on s’est dit qu’il fallait arrêter ça et gérer la situation. On n’en a plus jamais reparlé : j’ai fait des bêtises, j’ai eu un premier enfant avant de le rencontrer, il a fait des bêtises, il a eu des aventures. C’est comme ça.”

Pendant deux ans, Fatou réfléchit, tentant de comprendre ce qui lui arrive. Sans formation, sans emploi, elle reste à la maison. “Un jour, je me suis dit que si je restais une minute de plus enfermée chez moi, mieux valait mourir. D’ailleurs, je serais peut-être déjà morte, à force de ruminer.”

Son mari est contre. “Il ne voulait rien entendre. Il ne fallait pas que je sorte, que je parle de ce qui nous arrivait.”

Au centre de santé auquel elle se rend régulièrement, sur le campus de l’hôpital de Dakar-Fann, elle rencontre d’autres femmes, séropositives comme elles. Là émerge l’idée de l’association : se regrouper pour s’entraider, reconstruire une communauté.

Elles sont six et démarreront peu après, grâce aux appuis financiers d’associations locales et d’organisations internationales, telles que l’Agence nationale contre le sida (ANCS), la branche sénégalaise de l’Alliance internationale VIH/SIDA, le Fonds des Nations Unies pour les femmes (UNIFEM) ou l’Initiative panafricaine Hope for African Children (HACI).

Depuis le début de l’année, le Conseil national de lutte contre le sida au Sénégal (CNLS) a accepté de payer le loyer des 13 associations qui représentent les personnes qui vivent avec le virus, une première saluée par les activistes de la lutte.

Au début de l’aventure, Fatou est trésorière. Mais elle devient vite secrétaire générale de l’association puis présidente à la mort de la fondatrice, en juin dernier. Elle donne de la voix, joue des coudes pour que les plus vulnérables de ses membres puissent être prises en charge.

“Les femmes de l’association sont presque toutes dépendantes de leur mari ou de leur entourage, elles ont des problèmes pour être autonomes. Elles sont écrasées, soumises dans leur ménage”, explique Fatou, qui hausse les épaules à l’évocation des mariages polygames, très courants dans la société sénégalaise musulmane.

“La polygamie, c’est terrible. Les femmes ne peuvent pas et ne savent pas gérer leur sexualité, elles ne savent pas en parler. Même quand elles sont informées, elles ne peuvent pas se faire entendre”, dit-elle.

Pourtant, poursuit-elle, “90 pour cent des femmes que je vois aident leurs maris à acheter et à prendre leurs médicaments. Elles les accompagnent à l’hôpital, restent avec eux, les soutiennent même si elles sont séropositives elles-mêmes. En même temps, elles gèrent la maison, les enfants…”

“Ils arrêtent de travailler… elles continuent”, soupire-t-elle, sans cesse interrompue par des jeunes femmes, des veuves (certaines âgées de 60 ans) venues lui demander quelques pièces pour rentrer chez elles, un peu d’argent pour payer le loyer.

L’association s’occupe aussi de plus de 100 orphelins, certains ont un parent, d’autres aucun, une vingtaine d’entre eux serait infectée. ‘Unies dans l’espoir’ les nourrit, les habille, leur paye leurs frais de scolarité et leurs médicaments, si cela s’avère nécessaire.

“Plus de la moitié de nos membres sont sous traitement antirétroviral. Des femmes ont dû arrêter leurs activités, d’autres sont trop âgées pour continuer ou sont dans une situation si misérable qu’elles n’osent pas parler à leur entourage”, explique-t-elle.

Certaines, dit-elle, ne veulent plus rien savoir. “Elles veulent juste rester là et mourir.”

L’association les aide à créer leurs propres activités pour générer des revenus et être dignes. Certaines apprennent l’informatique, d’autres vendent des légumes ou des pagnes, ces tissus imprimés dont se drappent les femmes africaines. Elles peuvent, si elles le souhaitent, participer aux groupes de paroles qu’organisent tous les mois l’association.

“Nous tentons de les convaincre de se confier à leur famille, parce qu’il est essentiel d’avoir quelqu’un qui comprend ce dont on souffre et qui peut nous aider quand on est trop faibles”, raconte Fatou. “Mais c’est un long processus.”

Fatou, elle, a réfléchi pendant deux ans avant d’informer ses parents. “J’avais besoin de réfléchir, de parler avec eux du sida pour qu’ils comprennent ce que c’était avant de le leur annoncer.”

“Ma mère m’a tout de suite demandé qui était le responsable. J’ai dit que je ne savais pas, pour protéger mon mari. Depuis ils me soutiennent beaucoup, ils m’appellent, me donnent de l’argent. C’est très important pour moi.”

“La famille a un rôle à jouer, elle est vitale pour ces femmes parce qu’un jour l’association trouve ses limites”, commente Fatou. “Il y a des cas… des femmes… “

Fatou ne trouve pas ses mots face à la souffrance et s’étire longuement.

“Je suis souvent malade et fatiguée mais pour l’instant, je suis encore debout et sans traitement”, dit-elle avec un grand sourire. Ses quatre enfants, âgés de trois à 10 ans, sont négatifs, grâce aux antirétroviraux qu’elle a pris durant ses grossesses et pendant les accouchements.

“Je fais très attention à moi, à ce que l’on mange à la maison, je cache mes affaires personnelles qui pourraient couper ou infecter les enfants”, explique Fatou.

Ses enfants ne savent pas que leurs parents sont porteurs du virus, mais Fatou les prépare, peu à peu, à le comprendre. “Je parle beaucoup du sida avec ma fille aînée, il faut que je le fasse dans l’intérêt de la famille et des autres enfants.”

“Je suis devenue forte maintenant et j’essaye de le faire partager aux autres”, affirme-t-elle.

Pour cela, Fatou a besoin de se faire entendre. “Quand nous, séropositifs, on a pris le micro en début d’année pour expliquer au CNLS et au Premier ministre qu’il devenait urgent de nous impliquer dans la lutte et de nous donner les moyens de travailler… ca a marché !”, explique-t-elle, ravie.

Son mari, lui, lutte de plus en plus contre l’engagement de son épouse. “Il devient très résistant”, dit-elle pudiquement. D’ailleurs, il n’a pas toujours pas annoncé sa séropositivité à sa famille.

“Je sais que je pourrais aider beaucoup de gens, je pourrais aider toute la nation, toutes les femmes sénégalaises si je parlais à visage découvert, si je faisais de la publicité à mon association”, réfléchit-elle.

Pensive, elle dit être “en train de négocier” avec son mari. “J’essaye de le convaincre de me laisser faire. Sinon, je le quitterai pour me mettre au service de mon pays et de mes soeurs.”

En fait, dit-elle en fronçant les sourcils, “mon seul problème, c’est lui.”

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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