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Impliquer communautés et familles dans la prise en charge des orphelins du sida

[Senegal] Girl in Senegal. UN
L'enfant est aujourd'hui considéré comme une personne autonome
Les activistes de la lutte contre le sida estiment qu’il faudrait impliquer davantage les communautés et les familles dans la prise en charge des orphelins et des enfants vulnérables, de grands oubliés de la lutte contre l’épidémie au Sénégal dont on commence à peine à percevoir les souffrances. Oumy (un nom d'emprunt) a 17 ans même si elle annonce en avoir 13, en raison de sa petite taille, selon les animateurs de l’association d’assistance aux enfants en situation difficile (AASEED), qui la suivent depuis trois ans. A la mort de ses parents, décédés tous deux du sida en 1998, elle est allée vivre chez son oncle. «Au début, je tombais tout le temps malade», se souvient Oumy. «C’est alors que mon oncle m’a dit : tu n’as pas la fièvre jaune, tu as le sida, cette maladie qui a tué tes parents». «J’ai commencé à fuguer parce que je ne voulais plus rentrer à la maison», raconte Oumy en baissant les yeux. «Quand je restais à la maison, je dormais souvent par terre dans le garage et cela ne dérangeait personne. Ma tante ne voulait pas non plus que je mange avec eux, elle me mettait à part». Suite à l’intervention de médecins et d’associations auprès de la famille et de la jeune fille, Oumy a fini par retourner chez son oncle. «J’ai de bonnes relations avec mes cousins et cousines mais je ne vois pas beaucoup les voisins parce qu’on nous empêche de sortir, nous restons toujours enfermés à la maison… Ma tante dit que c’est parce qu’il y a trop de garçons dans le quartier», dit timidement la jeune fille. «Avec ma tante, ça ne se passe pas bien. Elle veut que je fasse les travaux domestiques et je ne peux pas parce que je me sens très fatiguée à cause des ARV [antirétroviraux]». A leur mort, les parents d'Oumy lui avaient laissé un petit pécule. «Un jour, mon oncle m’a dit qu’on avait utilisé l’argent de l’héritage pour m’acheter des médicaments», raconte-t-elle. «Je n’ai jamais vu la couleur de cet argent». «Sauver l’enfant dans sa famille» L’exemple d'Oumy ne surprend pas les acteurs de la lutte contre le sida, qui connaissent les difficultés et la stigmatisation dont souffrent les enfants dans leur famille ou leur communauté. «Les enfants infectés au VIH sont parfois accusés de dégrader l’environnement familial», constate le docteur Ngagne Mbaye, pédiatre et président de l’association ‘Synergies pour l’enfance’ au Sénégal. «On leur reproche d’être souvent malades, de coûter cher, de ne pas manger la même chose que les autres ou de mobiliser une personne pour s’occuper d’eux. Ils finissent parfois par être rejetés», a-t-il ajouté.
Les familles doivent participer à la prise en charge des enfants, pour lesquels elles doivent redevenir leurs premiers lieux d’accueil
Pourtant, il faut essayer dans la mesure du possible de maintenir l’enfant dans sa communauté ou sa famille, estiment ces acteurs. «Il faut tout faire pour réintégrer l’enfant dans son milieu naturel, c’est-à-dire dans sa famille et sa communauté», analyse Mbaye. «Les centres d’hébergement ou les orphelinats sont des pis-allers, car l’enfant va alors grandir en marge de sa communauté et il risque d’avoir du mal à s’intégrer dans la société par la suite.» C’est pour cela, poursuit-il, qu’il est très important de reconstruire l’environnement familial s’il est détruit, «de le restaurer, le promouvoir. Il faut sauver l’enfant dans sa famille». Marie Cissé Thioye, directrice de l’AASEED, partage cet avis. «Le pire serait de créer des centres uniquement réservés aux enfants affectés ou infectés par le VIH/SIDA. Il faut donc éviter que les enfants ne soient rejetés ou stigmatisés par leur entourage, mais aussi s’assurer du suivi des traitements par les familles». D’autre part, souligne Mbaye, la prise en charge d’un enfant dans une structure coûte environ six fois plus cher que dans son milieu naturel. Les membres de l’AASEED, tout comme ceux de Synergie pour l’enfance ou de l’association catholique Sida Service, effectuent des visites à domicile pour connaître l’environnement de l’enfant et sensibiliser la famille et la communauté. «Cette démarche est une forme de prise en charge assez particulière et assez lourde, à laquelle il faut se préparer», reconnaît Georges Diouf, de Sida Service. «Mais elle est nécessaire pour l’enfant : comment l’enfant suit-il son cursus scolaire ? Est-il perturbé sur le plan affectif ou émotionnel ? Pour quelles raisons ?» Les éducateurs hésitent à introduire des personnes tiers dans les familles sensibilisées, de peur de stigmatiser davantage les enfants et leurs parents vis-à-vis de leur entourage, explique Mbaye. Il reconnaît néanmoins que cette réticence vient «peut-être de nous plus que de la famille». Bientôt un programme national de prise en charge des orphelins En 2003, selon la dernière étude sentinelle, 18 600 enfants étaient devenus orphelins après la mort de l’un ou de leurs deux parents tandis que 5 140 enfants de moins de 15 ans vivaient avec le virus. Dix millions de personnes vivent au Sénégal, où le taux de prévalence est estimé à 1,5 pour cent. A ce rythme, plus de 40 200 enfants seront orphelins du sida en 2010 tandis que 136 670 personnes seront infectées, selon cette étude sentinelle. Pourtant il n’existe pas encore de programme national de prise en charge des orphelins au Sénégal. «Les bailleurs de fonds ont pendant longtemps jugé plus raisonnable d'associer la prise en charge des orphelins à la lutte contre la pauvreté», explique le docteur Ibra Ndoye, secrétaire exécutif du Conseil national de lutte contre le sida (CNLS). «Quand on a réalisé que les efforts étaient disparates, nous avons essayé d'établir un plan national d'action pour coordonner les efforts de toutes les associations», a-t-il dit.
Aucun plan d’action national n’existe au Sénégal pour venir en aide aux enfants vulnérables
Sur proposition des associations, un plan d'action pour la prise en charge des quelque 24 000 orphelins et enfants vivant avec le VIH/SIDA au Sénégal devrait être mis en place en 2006, dès que l’analyse, en cours, de la situation de ces enfants sera terminée, selon Mbaye. Tous les activistes reconnaissent que, jusqu’à présent, les problèmes spécifiques des enfants n’avaient pas été entendus ni compris. «Le taux de prévalence étant faible au Sénégal, il était prioritaire de freiner la propagation du virus et de renforcer la prévention afin de réduire le nombre de malades et de décès», a expliqué Ndoye. «Nous avons ciblé la mère et la question de la transmission de la mère à l’enfant pour limiter le nombre d'orphelins infectés». Abdou Aziz Ndiaye, chargé de programme à l’AASEED, rappelle que «la lutte contre le sida est une chaîne, tout est lié». Pourtant, dit-il, un maillon, l’enfant, a été oublié. «Il se rappelle à notre bon souvenir parce qu’avec la propagation de l’épidémie, ce ne sont plus les parents qui prennent l’enfant en charge mais l’inverse. L’enfant devient chef de famille et doit gérer des séquelles psychologiques : il perd ses référents familiaux car le père ne travaille plus, reste à la maison, perd du poids. L’enfant finit par accompagner les derniers jours de ses parents». L’enfant, une personne autonome L’augmentation du nombre d’orphelins dans des communautés déjà fragilisées par l’épidémie a amené les acteurs de la lutte à reconsidérer leur réponse. Avec les progrès de la médecine, la transmission de la mère à l’enfant n’est plus inéluctable et les enfants ne sont plus condamnés à mourir, «même s’ils sont toujours les derniers servis en matière de traitements», souligne Mbaye. L’enfant est aujourd’hui considéré comme une personne autonome avec des besoins en matière d’éducation, de santé et de prise en charge psychologique. «En Afrique, on s’est toujours arrêté au problème médical, sans s’occuper de l’aspect psychologique», constate Mbaye. «Mais l’enfant infecté au VIH a des problèmes spécifiques : il est plus petit que les autres à cause des ARV, sa fratrie est disloquée, il voit ses parents mourir. Parfois l’enfant est orphelin plusieurs fois car ses parents, grand-parents ou autres adultes de la famille disparaissent». Selon Mbaye, certains enfants finissent par refuser de manger, ils hurlent la nuit, leur rendement scolaire baisse, ils se replient sur eux-mêmes, sont tristes, déprimés et ne jouent plus. «On n’est pas assez formés pour reconnaître tous ces signes», avoue-t-il, «alors que pour ces enfants le problème n’est plus de survivre -- car avec une bonne prise en charge, ils vont le faire. Le problème est de ne pas compromettre leur avenir sur le plan psychologique». Crééé en 2002, l’AASEED est l'une des rares structures à accueillir des enfants affectés ou infectés par le VIH/SIDA au Sénégal. A travers ses 24 cellules réparties sur tout le territoire, l’association s’occupe de 697 enfants, orphelins du sida, enfants victimes de pédophilie ou d’abus sexuels et enfants de la rue.
Au Sénégal, beaucoup de familles envoient leurs enfants travailler dans les centres urbains où ils ne doivent compter que sur eux-mêmes pour survivre
A Dakar, 67 enfants infectés au VIH sont suivis par le centre, selon Cissé Thioye, la présidente. La confidentialité, un problème à gérer Deux fois par semaine, Oumy se rend au centre de l’AASEED, situé au premier étage d’un immeuble du quartier populaire de la Medina, à Dakar. Grâce à des volontaires de l’association, Oumy prend des cours de Français. «Depuis que je viens au centre, je me sens mieux», affirme-t-elle. «Si je pouvais, je viendrais chaque jour mais je ne viens que mercredi et vendredi pour apprendre». Ce jour-là, une dizaine d’enfants de tous âges, installés autour de deux grandes tables, jouent dans la pièce de l’appartement de l’AASEED dont les murs sont tapissés de leurs dessins colorés. Au milieu des livres, des feutres et des jouets, deux volontaires françaises tentent de canaliser l’énergie des enfants et de leur faire suivre une activité. Grâce à une ‘marraine’ française qui la soutient financièrement, Oumy est sous ARV, un traitement qu’elle prend chez elle, matin et soir, qu’elle dit aimer prendre «parce que c’est ce qui assure ma santé et la santé n’a pas de prix». «Je sais que je suis séropositive, mais au centre beaucoup ne savent pas qu’ils le sont et que les médicaments qu’ils prennent sont des ARV», poursuit Oumy à voix basse. Appuyée contre le mur, elle jette un coup d’œil par-dessus son épaule vers son amie qui l’attend au bout du couloir. «Et je ne vais jamais leur dire parce que quand on me l’a dit, ça m’a fait un choc et ça m’a fait mal. Je ne veux pas qu’ils ressentent ce que j’ai ressenti. Je ne veux pas non plus gâcher le travail des médecins». Oumy affirme qu’elle préfère connaître son statut sérologique. «Comme ça, je pourrai protéger les autres parce que j’aime les autres autant que je m’aime et je voudrais qu’ils ne leur arrivent que du bien», dit-elle avec un très large sourire, en caressant sa coiffure impeccable. Les experts sont divisés sur cette question. Faut-il ou non révéler sa séropositivité à un enfant le plus tôt possible ou faut-il attendre ? «Nous attendons que l’enfant ait atteint l’âge de la raison, qu’il soit majeur», dit Diouf de Sida Service. «On ne peut pas dire à un enfant qu’il est séropositif, né de parents séropositifs décédés. On tente de revaloriser l’enfant par rapport à son état d’orphelin mais aussi par rapport à son statut. Bien sûr, le parent ou la personne responsable de l’enfant est informé de ce que nous faisons». «La confidentialité par rapport à la communauté, la famille, l’école est l’un des problèmes auxquels on est confronté dans la prise en charge des orphelins infectés ou affectés par le VIH/SIDA», ajoute Diouf. «Quand nous les inscrivons à l’école et payons la scolarité, le chef d’établissement se demande parfois pourquoi nous, une association, venons payer pour tel ou tel enfant».

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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