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IRIN interview avec Michel Kassa, chef du Bureau des Nations Unies pour la Coordination des Affaires Humanitaires.

Michel Noureddine Kassa, le chef du Bureau des Nations Unies pour la Coordination des Affaires Humanitaires en République Démocratique du Congo (RDC) termine son mandat dans ce pays.

Kassa, nommé chef du bureau d'OCHA pour la RDC en 2000, a accordé samedi dernier une interview à l'IRIN. Il évoque son expérience humanitaire après avoir passé huit années et demi en RDC.

QUESTION: Vous terminez votre mandat en RDC en tant que chef d'OCHA. Vous avez également oeuvré pendant huit ans et demi dans le domaine humanitaire dans ce pays. Quel est le bilan de vos actions humanitaires?

REPONSE: Ces huit années ont été, en fait, huit années passées à observer, à tenter de répondre aux besoins des populations ballottées par les violences armées notamment dans l’Est du pays, mais aussi au Sud et au Nord du Katanga [dans le sud-est de la RDC]. De plus en plus nous avons eu des difficultés à retrouver, à identifier, à compter et à essayer d’aider ces populations à se relever.

Je dirais que le phénomène le plus douloureux que j’ai pu observer et auquel nous avons eu à faire face, c’était surtout cette difficulté d’avoir accès aux personnes vulnérables parmi les plus vulnérables: les paysans, les familles rurales, les femmes rurales de l’intérieur du Congo. Ces populations ont été victimes d'attaques et de contre-attaques. Elles ont totalement été déconsidérées par leurs frères armés ou par des soldats étrangers présents sur le territoire ou par les miliciens qui se sont servis d’eux.

Ce qui me rassure en revanche au moment de partir, c’est de voir que la sortie de crise dans ce pays va correspondre également à un retour à la dignité, un retour à la considération pour ces civils, ces gens qu’on peut appeler des sans voix.

Par ailleurs, il faut prendre en considération les liens avec ce qui se passe plus largement sur la scène internationale. Notamment le commerce des armes qui est devenu malheureusement démocratique. N’importe qui peut s’adonner à ce trafic compte tenu surtout du nombre d’armes légères en circulation, libérées depuis 15 ans par l’ancien empire soviétique.

Il convient bien entendu de prendre en compte les deux cotés de la relation. Il faut des vendeurs mais des acheteurs aussi, des gens intéressés par la possession d'armes parce que cela va leur permettre d’avoir un statut politique par des moyens violents. C’est ceux-là qu’il s'agit surtout de combattre. Il n’y aura pas de vendeurs d’armes ici s’il n’y a pas d’acheteurs. Il ne faut plus qu’il y ait encore des gens convaincus qu’ils arriveront au pouvoir par la violence. Nous les humanitaires, nous en voyons malheureusement tous les effets collatéraux.

Les effets collatéraux, c’est ce chiffre par exemple de 3,3 millions de morts décomptés par l’ONG International Rescue Committee. Des morts qui auraient pu être évités. Ces décès résultaient de maladies bénignes comme la malaria ou des problèmes respiratoires aigus. Toutes ces maladies sont faciles à gérer mais n’ont pu l’être parce que ces personnes n’ont pas eu accès aux soins médicaux quand il le fallait. Elles n’avaient pas les ressources ou étaient sûres qu’en allant aux centres médicaux près de chez eux, elles ne trouveraient pas de personnel médical.

Ces morts-là sont, pour une large partie, dûs aux seigneurs de guerre, des potentats locaux qui nous ont empêchés d’accéder à leurs frères qui étaient derrière eux et qu’ils prétendaient protéger. En fait, ils ne les ont pas protégés, ils les ont laissés mourir en nous empêchant de faire notre travail.

C'était le plus douloureux de toutes ces années.

Q: Quelle est votre vision de l’humanitaire après autant d’années passées comme un responsable onusien dans ce domaine ?

R: Je me suis efforcé au Congo-Kinshasa de faire de l’humanitaire qui donne de la dignité, de l’humanitaire qui relance l’être humain dans sa capacité d’agir et de prendre en main sa destinée. Je n’ai pas travaillé une seconde pour l’humanitaire-charité, l’humanitaire qui veut se faire plaisir en nourrissant un être dépendant. Je fais de l’humanitaire pour que l’être humain se relève. Le succès de l’humanitaire, c’est quelqu’un qui est debout en face de vous et qui vous dit merci et qui veut vous dire surtout 'au revoir, je m’en sors tout seul maintenant'.

Q: Ne partez-vous pas avec un sentiment de frustration de n’avoir pas toujours entrepris ce que vous vouliez en étant parfois privé d’accès aux personnes dans le besoin?

R: J’ai le réconfort d’avoir eu cette semaine le rapport de mission de quelques uns de mes collègues qui sont partis avec OCHA, d'autres ONG et la MONUC à Ubwari dans le Sud-Kivu, voir des gens que nous avons tenté de rencontrer pendant des années sans pouvoir le faire parce que nous n’avions pas l’autorisation de nous y rendre.

Les nuages sont donc en train de se dissiper. C’est toutefois un mélange de frustration et sérénité car il aurait été déraisonnable d’espérer pouvoir apporter une réponse strictement humanitaire à ces 20 millions de personnes qui souffrent dans ce pays de la crise et des séquelles de la guerre.

Ce pays pourra ressusciter dès que la violence armée se sera dissipée, dès que la raison aura gagné les chefs de tous les groupes armés de ce pays, y compris ceux de l’armée nationale,[...] aujourd’hui.

Q: Quel est la situation humanitaire au Congo, à l'heure de votre départ?

R: Le pic a été atteint en terme de déplacés internes sûrement en juin dernier avec probablement jusqu'à un million de personnes contraintes de quitter brutalement l’Ituri [région du nord-est de la RDC) pendant les événements de mars à juin. Des centaines des milliers se sont déplacées autour de Kanyabayonga et de Lubero en raison des offensives de juin dernier dans le Nord-Kivu. Les combats qui ont eu lieu du coté de Chabunda, de Lulingu en juin dernier au Sud-Kivu, ont conduit également à des dizaines des milliers de déplacements. Ce qui fait un total d'environ 3 millions de personnes. J’espère que l'on n'atteindra plus jamais ce sommet-là. Un bon nombre de ces trois millions est néanmoins déjà rentré chez lui.

Parfois les déplacements ne durent pas plus de 48 heures, mais le mal est fait: les objets personnels ont été pillés, la peur s'est installée, les traumatismes parmi les enfants se révèlent.

Par ailleurs, une vingtaine de millions de personnes environ souffre d'une sous alimentation chronique.

Les violences sexuelles font, aussi, l’objet d’une grande attention aujourd’hui. D'abord, parce que leur nombre a considérablement augmenté. Ensuite, parce que l’écœurement d’un nombre croissant de femmes par rapport à ce qui leur a été fait ou a été fait à leurs proches a conduit ces victimes à témoigner beaucoup plus qu’auparavant. Les tabous tombent pour stopper l’infernal et le monstrueux que tout cela représente.

Au-delà de la violence, la mortalité maternelle atteint des chiffres astronomiques, y compris à Kinshasa.

La mortalité infantile est tout aussi importante. Un enfant sur deux meurt avant d’atteindre l’âge d’un an. Là encore, même la ville de Kinshasa n’est pas épargnée. Cela n’est pas le fait uniquement de la guerre. C’est le fait de décennies de budgets de santé extrêmement minces, une sorte d’abandon du secteur de santé et de l’éducation depuis une vingtaine d’années.

Je parle d’éducation, je crois qu’après sept ans de crise ouverte, l’éducation est également devenue un secteur d’urgence humanitaire. Considérez simplement le cas d’un enfant qui aurait eu quatre ans en 96 quand la première guerre a commencé, il aurait aujourd’hui 11 ans.

Il faut un budget national d’éducation et que les instituteurs soient payés. Il est temps que l’Etat reprenne en charge le paiement de ses cadres chargés de l’éducation de la jeunesse dans ce pays.

Q: N’avez-vous pas l’impression que tout, en RDC, relève un peu de l’humanitaire quand on considère le nombre d’enfants abandonnés, vivant dans la rue, les salaires des fonctionnaires impayés durant de longues périodes ou leur caractère dérisoire quand ils sont payés?

R: Précisément non. Je crois qu’il serait une grosse erreur de le considérer comme cela parce que nous courrions au devant de grandes désillusions. Bien au contraire, il y a une meilleure réponse que l’humanitaire, mais il faut le réserver pour les cas de vulnérabilité aiguë.

La réponse, elle doit être fondamentalement avant tout économique. Vous avez des millions de personnes ici qui sont entre le dénuement et la renaissance économique. Il faut simplement donner un coup de pousse pour qu’elles passent d’une case à l’autre plutôt que de tomber dans la case des plus vulnérables qui devraient relever de l’humanitaire.

Ce sont ces communautés qui peuvent à la fois redémarrer sur le plan économique et profiter d’occasions, je l’espère. Nous sommes en train, par exemple, de procéder à la ré-ouverture du fleuve, des rivières, et j’espère bientôt à la réouverture du train au Sud-est du pays et à la réhabilitation des routes. [Toutes ces démarches favoriseront la reprise des échanges commerciaux].

Des milliers de tonnes de nourriture pourrissent sur pied à l’intérieur du pays. Peut-être que dans peu de temps, les gens qui les ont produites vont avoir une lueur d’espoir, vont voir un train passer, vont voir des travailleurs avec des bêches ou des matériels lourds commencer à réhabiliter la route qui passe à côté de chez eux. Et c’est cet espoir là qui fera reculer cette grande pauvreté.

Q: Parlez-nous des interventions humanitaires?

R: Les interventions ont eu un caractère extrêmement varié. Elles allaient de la lutte contre [la fièvre] ebola ou marbourg au transport de des examens scolaires nationaux à travers le pays en passant surtout par le médical, le sanitaire et le nutritionnel. Il faut se souvenir du travail d’ONG, comme MSF [Médecins Sans frontières], ACF [Action contre la faim] mais aussi de toutes ces plates-formes locales de la FOLECO [Fédération d'ONG laîques et économiques en RDC] et du CNONGD [Conseil national des ONG de développement] dans certains endroits qui a sauvé des millions de vies.

De petits avions partaient chaque jour de Goma [Est de la RDC] ou de Lubumbashi [Sud-Ouest du pays], ou à partir de Kinshasa, en transportant du matériel et des médicaments qui ont sauvé des milliers de vies. Parfois même, malgré la volonté de certains seigneurs de guerre.

Je dirai qu’il s’agissait souvent d’actions multi-disciplinaires, très rapides par voie aérienne étant donné que la gouvernance de ce pays pendant des décennies s’est exprimée par le refus d’entretenir les routes par peur des coups d’état. Donc, vous pouvez vous imaginer le décor dans lequel nous avons travaillé ici, apocalyptique en fait. Un pays de 2,3 millions de kilomètres carrés sans routes. Il a été très difficile de mobiliser de l’argent pour intervenir. Les interventions se sont faites par petits avions parce que nous n’avions que de petites pistes pour nous poser. Parfois l’action que vous pouviez mener dans un village ne pouvait pas avoir d’impact dans le village à côté, à 10 km, tout simplement par manque de moyens logistiques. Mais ces petites actions mises bout à bout ont sauvé, je répète, des centaines des milliers de vies.

Q: Estimez-vous avoir suffisamment eu de moyens de votre action?

R: Nous avons toujours plafonné autour de 50 à 60 % des fonds que nous demandions. Mais du coté des agences des Nations Unies, les réponses ont souvent été plafonnées à hauteur de la moitié de ce que nous demandions parce qu’il y avait un certain scepticisme de la part de la communauté internationale quant à notre capacité à atteindre les victimes ou civils dans des endroits retirés. Du point de vue de financement, il y a donc toujours eu une certaine réticence liée notamment au coût logistique de l’action humanitaire dans ce pays et aussi, à la considération que la réponse doit être autant politique qu’humanitaire.

Il ne faut cependant pas passer sous silence l’effort de certains bailleurs de fonds: la Hollande, la Belgique, l’Union Européenne (ECHO) en passant par Fonds Européen de Développement, mais aussi certains pays comme l’Italie, le Japon, la Suède et la Norvège qui ont fait des efforts remarquables pendant ces années de crise.


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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