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Le sida contre quelques grammes d’or

Aux confins du Sénégal, entre le Mali et la Guinée, les milliers d’hommes et de femmes qui creusent pour trouver de l’or tombent trop souvent sur le VIH, s’alarment les activistes. Selon les associations et le personnel médical qui tentent de juguler, seuls, la progression de l’épidémie, le sida est, dans cette région, une vraie «bombe à retardement». La ruée vers l’or de Tenkoto a débuté dans les années 80, alors qu’on détectait, à Dakar, les premiers cas de sida. Les ressources aurifères de cette région, située dans l’extrême sud-est du Sénégal, étaient alors exploitées par une poignée d’orpailleurs, prêts à creuser des mètres sous terre pour quelques paillettes et de petites pépites. Mais le bruit s’est répandu et, depuis deux ans, des hommes venus d’autres régions du Sénégal mais aussi du Mali, de Guinée, de Gambie ou encore de la lointaine Côte d’Ivoire grossissent les rangs des ruraux, femmes, hommes et enfants creusant la terre rouge, pliés en deux sous le soleil cuisant. Le recensement de 2002 a estimé à 115 000 le nombre d’habitants vivant dans la région. Mais nul ne sait en réalité combien et où sont ces hommes venus chercher fortune dans les mines d’or autour de Tenkoto et de Kédougou, une vaste zone aurifère située à environ 750 kilomètres de Dakar, la capitale du Sénégal. «L’or fait pousser le village et avec, les cas de sida. Une chose est sûre, l’augmentation (…) est vertigineuse», assure Aly Sagne, chargé de programme à La lumière, une ONG locale qui intervient dans cette région difficile depuis des années. Le taux de prévalence du VIH à Tenkoto atteindrait ainsi 6,25 pour cent en 2005, contre environ 3,5 pour cent à Kédougou et 0,7 pour cent dans l’ensemble du Sénégal, des chiffres partiels mais qui révèlent les dangers que courent ces populations isolées et sous-informées, selon Mamadou Cissé, responsable du centre de santé de Kédougou, une bourgade située à soixante kilomètres de là, au bout d’une piste sineuse et accidentée. A Tenkoto, le sida touche en majorité des filles, âgées de 16 à 24 ans, selon les statistiques locales. «L’orpaillage réunit toutes les conditions pour que le sida se propage», affirme Mamadou Cissé, qui déplore le manque de moyens mis à la disposition du personnel médical et des associations de lutte contre l’épidémie.
[Senegal] A gold seeker in Tenkoto, south-east of Senegal. [April 2006]
A Kentoko, les populations rurales et les chercheurs d'or manquent d'informations sur le VIH
Ainsi, en dépit de la volonté affichée par le gouvernement de décentraliser la lutte contre le sida, il a fallu attendre décembre 2005 pour qu’un centre de dépistage volontaire et anonyme voit le jour à Kédougou, au grand soulagement des médecins locaux, également formés pour prescrire des médicaments antirétroviraux. L’information sur le sida n’atteint pas les villages Selon les autorités, 86 pour cent de la population du département vivent en zone rurale, dans des villages souvent très isolés, à deux ou trois heures de vélo (le mode de transport le plus répandu) de la première route praticable. Du coup, la majorité des habitants et des migrants, la plupart des chercheurs d’or, n’a pas accès à l’information sur les modes de prévention et de transmission du VIH, expliquent les activistes et les médecins. Ces populations «sont très conservatrices, le sexe est tabou, on n’en parle pas publiquement et les gens sont méfiants», confirme Mamadou Cissé. «Résultat, il y a des zones du département où .... [les populations] ne savent même pas ce qu’est le sida». A ce manque d’informations s’ajoute une forte mobilité des orpailleurs, généralement des hommes jeunes et célibataires qui se déplacent fréquemment à la recherche de nouveaux filons, suivis de près par les femmes et les enfants. «Les familles se fixent en fonction de la disponibilité des ressources», explique Aliou Bakhoum, de La lumière. «Il est fréquent d’entendre que l’or est apparu à tel endroit, alors les familles vont et viennent et les enfants ne vont que quelques jours à l’école.» Pour avoir leur «part du gâteau», des femmes ouvrent des petits restaurants et se prostituent clandestinement, affirme Aliou Bakhoum. «Les hommes sont célibataires ou loin de leurs femmes, alors ils n’hésitent pas : la sexualité ici n’est pas un problème, les gens font comme ils veulent». Aliou Wagué est l’adjoint au chef de village de Tenkoto, un bourg d’environ 5 000 âmes niché sur les collines. Il s’y est installé il y a près de 20 ans, lui aussi pour chercher le précieux métal. Il a depuis pris sa retraite, à 60 ans passés, mais conserve précieusement son ‘daman’, son trou d’eau. Sa femme, elle, est toujours à Salémata, son village, à plus de 100 kilomètres de là. Comme il ne la voit pas souvent, «seulement quand elle vient chercher de l’argent», il «s’arrange», dit-il d’un air évasif. Son ami, Alpha Bâ, orpailleur comme lui, affirme qu’il «cherche une deuxième femme». «Je dis souvent: il faut se méfier, s’abstenir, on ne sait pas… On est vulnérable parce qu’on est nombreux, que les gens bougent, et puis beaucoup n’ont toujours pas compris comment ça marche, le sida», commente le chercheur d’or, installé à Tenkoto depuis 2003. Par ‘dévouement pour son village’, Alpha Bâ est depuis deux ans l’une des 20 personnes-relai de La lumière : après avoir suivi une formation et reçu de la documentation, il fait de la sensibilisation auprès des populations des villages et des campements voisins, avec le soutien financier du Conseil national de lutte contre le sida. Ses boîtes à images sous le bras, il sillonne la campagne pour 15 000 francs CFA (28 dollars) par mois, deux visites à domicile et une causerie avec 25 personnes; les préservatifs qu’il distribue sont gratuits, ainsi que ses informations sur les symptômes, les modes de transmission et les soins. Mais connaissant les modes de vie de la région, la pauvreté de ses habitants et les espoirs qui les animent quand ils tamisent dans les ‘daman’, M. Bâ ne se fait pas d’illusion. «Quand je vois des femmes qui sont malades, je leur dit de consulter au centre de santé de Kédougou. Mais reste à savoir si elles y vont…. L’or, c’est très variable alors s’il n’y a pas d’argent, le trajet en ‘Sept places’ (transport en commun de sept passagers), à 2 500 francs CFA (4,70 dollars) devient cher». Une fille vierge pour ‘libérer l’or’ Pour trouver de l’or, «une chose mystique», et ainsi gagner enfin de l’argent, les orpailleurs ont recours à toute sorte de croyances, certaines dangereuses pour leur santé et la survie de la communauté.
[Senegal] A woman near her 'daman' (hole) in the goldmines area of Tenkoto, south-east of Senegal. [April 2006]
Les familles se déplacent au gré de la découverte de nouvelles pépites
«Des génies se cachent et il faut faire certaines pratiques pour que les génies libèrent l’or. Comme par exemple avoir des rapports sexuels avec une jeune fille vierge», explique Bilal Fall, responsable du centre de dépistage de Kédougou. «Pour trouver beaucoup d’or, c’est mieux», opine Alpha Bâ. Cet ensemble de facteurs à risque est régulièrement dénoncé par les activistes de La lumière, mais M. Bakhoum admet que la tâche est ardue. «Ce n’est déjà pas facile de parler du sida et d’inciter les filles de 15 ans à se faire dépister, mais [à Tenkoto] c’est encore plus compliqué sur le plan éthique», note-t-il. L’ouverture du centre de dépistage a marqué une étape dans la prise de conscience par les autorités sénégalaises de l’urgence du problème. Elle a aussi révélé les besoins des populations puisque les candidats au dépistage ont été deux fois plus nombreux que prévus à se rendre au centre de Kédougou. Mais les activistes et les médecins estiment pouvoir mieux faire pour les orpailleurs et les populations rurales, laissés pour compte de l’Initiative sénégalaise de prise en charge, en cours de décentralisation dans les 11 régions du pays. «La situation est suffisamment urgente pour qu’on aille au devant des populations, mais il y a toujours un problème de moyens et d’engagement du gouvernement», constate Aly Sagne. En février, l’équipe du centre de dépistage est partie à la rencontre des villageois les plus isolés, toujours près de zones aurifères, pour une opération mobile de dépistage gratuit et d’informations sur le virus et ses modes de transmission, que le centre aimerait pouvoir reconduire chaque mois, dans différentes localités. «Tenkoto est aujourd’hui une véritable poudrière», s’alarme Ibrahima Sorry Diallo, le directeur de La Lumière, ajoutant que le village n’est pas un cas isolé dans une région qui compterait plusieurs dizaines de points miniers. Et pourtant, déplore Aly Sagne, «on sent qu’on est seul dans cette affaire: notre rapport sur la vulnérabilité de la zone avait horrifié beaucoup de personnes l’année dernière mais, depuis, aucune action n’a été prise par les autorités sanitaires. Les gens s’intéressent à la zone pour ses ressources, les populations on s’en fiche».

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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