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Les déplacés toujours à la merci de la violence sexuelle

La population d’un camp de déplacés implanté à Nakuru, dans la province de la vallée du Rift, dans l’ouest du Kenya, a été profondément choquée lorsqu’un groupe d’hommes a attaqué et agressé sexuellement cinq garçons, mais pendant les flambées de violence qui ont suivi le scrutin présidentiel contesté de décembre 2007, les professionnels de la santé s’occupant des victimes de violence ont dû s’immuniser contre ces atrocités.

« Le nombre de cas de violences enregistrés depuis le début des affrontements est égal à celui généralement recensé au cours d’un même laps de temps. En revanche, un élément important diffère : dans 90 pour des cas, les personnes que nous aidons ont été victimes de viols collectifs », a déclaré Lucy Kiama, infirmière en chef à l’hôpital des femmes de Nairobi, un centre médical spécialisé dans le traitement des agressions sexuelles.

« Les viols collectifs sont commis par des groupes composés de deux à 11 hommes », a-t-elle précisé.

Depuis le début de l’année, quelque 300 femmes victimes de viol ont reçu des soins. Un grand nombre d’entre elles ont quitté la province de la vallée du Rift pour rejoindre Nairobi, la capitale et ont ainsi parcouru des centaines de kilomètres en bus - un voyage pouvant s’étendre sur plusieurs heures.

Les femmes arrivent généralement trop tard pour avoir accès aux kits de prophylaxie post-exposition (PEP), qui permettent d’éviter une contamination au VIH s’il est administré dans les 72 heures suivant l’agression. Toutefois, elles reçoivent un soutien psychosocial post-traumatique et des médecins soignent leurs autres blessures.

Pendant quelques semaines, les barrages routiers sur les routes principales reliant la vallée du Rift à Nairobi ont empêché de nombreuses personnes de se rendre aux hôpitaux pour recevoir un traitement.

Lucy Kiama a indiqué ne pas écarter la possibilité que ces viols collectifs aient été prévus et motivés par des raisons ethniques. Mais, il s’agit également d’actes criminels perpétrés par des hommes qui ont profité du manque de sécurité pour commettre ces atrocités.

Selon Jeanne Ward, consultante internationale en matière de violence à l’égard des femmes, la recrudescence des viols collectifs lors d’une situation semblable à celle que le Kenya a connue en début d’année n’est pas inhabituelle.

« La plupart des actes de violence sont perpétrés par des groupes lors de périodes de démantèlement de l’ordre et de la loi. En conséquence, les viols collectifs sont une simple réplique des autres types de violences utilisant les mêmes méthodes », a-t-elle dit. « Il existe des facteurs de prédisposition qui ne cessent d’alimenter le type de violence sexuelle que nous voyons dans les camps. Parmi ces facteurs figurent l’absence de respect des droits humains et le fait que les auteurs de ces crimes pensent agir en toute légalité ».

Des facteurs aggravants

« Cependant, il existe des facteurs aggravants qui entrent en jeu, comme l’abus d’alcool, le manque de sécurité et le fait que les camps soient clos ou que les hommes se retrouvent soudainement privés de leur rôle traditionnel. Tous ces facteurs créent un environnement où les viols deviennent courants. En outre, les criminels savent qu’ils peuvent commettre ces actes en toute impunité », a-t-elle souligné.

« Dans les zones urbaines comme Nairobi, Mombasa [ville portuaire kényane] ou Nakuru, les victimes peuvent faire appel à la justice, en revanche, dans les régions rurales, les femmes n’ont aucun accès aux services juridiques », a-t-elle renchéri.

La coercition sexuelle et l’exploitation des jeunes filles et des femmes par des personnes occupant des postes à responsabilité ou possédant un certain pouvoir sont également deux phénomènes très répandus au sein de nombreux camps de déplacés internes.

D’après les résultats d’une évaluation menée par diverses agences s’intéressant à la violence à l’égard des femmes, lors des premières phases d’implantation du camp sur le terrain d’exposition de Nakuru [un centre d’exposition agricole], les membres de la communauté auraient amené des filles au sein de camps afin de s’en servir comme domestiques, et celles-ci se trouveraient ainsi davantage exposées à l’exploitation sexuelle.

Toujours d’après la même étude, les femmes ont déclaré que les hommes vivant dans la communauté à proximité du camp situé à Eldoret, une autre ville de la province de la vallée du Rift, incitaient les jeunes filles à quitter le camp en leur promettant de « leur faire goûter quelque chose de sucré ».

« En outre, dans certains cas, les responsables des équipes chargées de distribuer de la nourriture ont exigé des faveurs sexuelles en échange de vivres, auxquelles les jeunes filles avaient droit », a déploré Lucy Kiama.

« En conséquence, même dans le cas de rapports sexuels consensuels, il s’agit souvent de sexe de survie – les jeunes filles et les femmes n’ayant pas le sentiment d’avoir le choix », a-t-elle rappelé.

''Le type de traumatisme dont nous sommes témoins est différent. Ces femmes sont non seulement victimes de viols, mais la plupart d’entre elles ont perdu des êtres chers, leur terre et leurs biens. Elles se sont retrouvées du jour au lendemain dans un environnement étranger qu’est un camp de déplacés internes ''
Les premiers secours psychologiques ne suffisent pas

D’après Mme Kiama, de nombreuses femmes sembleraient être traumatisées.

« Le type de traumatisme dont nous sommes témoins est différent. Ces femmes sont non seulement victimes de viols, mais la plupart d’entre elles ont perdu des êtres chers, leur terre et leurs biens. Elles se sont retrouvées du jour au lendemain dans un environnement étranger qu’est un camp de déplacés internes », a-t-elle expliqué.

« Nous leur offrons seulement une sorte de premiers secours psychologiques, mais soigner ces cas nécessiterait des soins à long terme. Et étant donné qu’un grand nombre de déplacés internes continuent de se déplacer d’un endroit à l’autre, cette tâche sera difficile » a estimé Lucy Kiama.

« Nous avons accueilli une dame qui était tellement traumatisée qu’elle n’a pas parlé pendant plusieurs jours. Elle avait besoin d’être traitée par un orthophoniste. Certaines victimes ont des idées de suicide, d’autres de vengeance », a-t-elle déclaré.

Ces actes criminels présentent non seulement des risques pour la santé physique, tels que le VIH et les grossesses non désirées, mais la santé psychologique des victimes est également en danger, à long terme.

« Il y a encore tellement de mouvement au sein des déplacés internes que nous ne disposons d’aucun moyen permettant de garder contact avec ces femmes et de leur offrir le soutien à long terme dont elles ont besoin », a-t-elle poursuivi. « Les conséquences de cette violence se feront ressentir à long terme ».

Mieux protéger les femmes

Les cas de viol et d’exploitation sexuelle ont souligné le besoin d’offrir une meilleure protection aux femmes et aux jeunes filles vivant dans les camps.

Ainsi, de nombreuses organisations, sous l’égide du groupe de travail « Protection Cluster » des Nations Unies, ont uni leurs efforts afin de s’assurer que les nouveaux camps disposaient de latrines séparées pour les hommes et pour les femmes, étaient suffisamment éclairés et comprenaient des zones de couchage plus organisées.

La Croix-Rouge kényane a organisé des séminaires sur la violence à l’égard des femmes.

« On nous a enseigné les lignes directrices du Comité permanent inter-organisations [un mécanisme qui rassemble les principales agences des Nations Unies et autres groupes et qui coordonne l’aide humanitaire] », a expliqué John Mbugua, coordonnateur des services de santé aux camps de déplacés internes, à Nakuru, dont l’équipe a participé au séminaire sur le Comité.

« Après les séminaires, nous avons formé des groupes. Nous avons commencé à diffuser le message et avons réfléchi à la manière de protéger les gens », a-t-il dit.

Les lignes directrices présentent des mesures préventives et curatives afin de lutter contre la violence à l’égard des femmes dans les camps de déplacés internes.

Elles préconisent, par exemple, de proposer des activités sportives aux jeunes qui s’ennuient, de mener des projets générateurs de revenus afin d’occuper les hommes et les femmes et de leur permettre de soutenir leur famille.

D’autres initiatives sensibilisent les habitants des camps au caractère inhumain de la violence sexuelle et à ses dangers, renforcent le système juridique et s’assurent que la police et les autres groupes qui s’occupent des cas de violence sexuelle sont correctement formés.

Maintenant que le président kényan Mwai Kibaki et son ancien rival Raila Odinga ont signé un accord pour la formation d’un pouvoir de coalition, il est bon d’espérer que les camps de déplacés internes seront démantelés et que les 600 000 personnes déplacées regagneront leur domicile.

Cependant, selon les responsables des camps à Nakuru, très peu de personnes ont quitté les camps et bon nombre d’entre elles y demeureront tant que le gouvernement ne leur garantit pas une sécurité ou ne leur propose un nouveau domicile.

Lire aussi: Les hôpitaux confrontés aux violences sexuelles liées aux émeutes post-électorales

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This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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