A 23 ans, Stephen Mukasa, pêcheur sur le lac Victoria, en Afrique de l’Est, est bien plus terrifié à l’idée de se noyer dans les eaux du lac qu’à l’idée de mourir des suites d’une maladie opportuniste liée au VIH/SIDA.
« Les accidents mortels en mer sont plus pleurés que quand une personne meurt du VIH/SIDA », a-t-il expliqué à IRIN/PlusNews. « Quand quelqu’un meurt brusquement, c’est tragique, tandis que mourir du sida, c’est un processus prolongé ».
« Un corps tiré des eaux lorsqu’un bateau a chaviré, ce n’est pas beau à voir, et ça traumatise tous les pêcheurs », a renchéri Richard Kiwanuka, un autre pêcheur.
Selon James Kigozi, porte-parole de la Commission ougandaise de lutte contre le sida (UAC), qui gère les opérations nationales de lutte contre l’épidémie, des enquêtes menées en 2007 ont confirmé que les pêcheurs craignaient plus les eaux du lac que la pandémie du sida.
Près d’un million d’Ougandais sont morts du VIH/SIDA depuis que le premier cas a été décelé, en 1982, à Kasensero, une localité située au sud-ouest de Kampala, la capitale, et habitée par une communauté de pêcheurs.
« La nature de leur travail les expose à des dangers », a expliqué M. Kigozi. « Bon nombre d’entre eux nous ont dit qu’ils pouvaient mourir dans le lac chaque fois qu’ils vont pêcher et qu’ils trouvaient notre façon de parler du VIH [...] déplacée, parce qu’ils pensent que cette maladie les épargne pendant au moins cinq ans et plus ».
Selon l’UAC, le taux de prévalence du VIH au sein des communautés de pêcheurs atteindraient 38 pour cent dans certaines régions, soit plus de cinq fois la moyenne nationale (6,4 pour cent).
Dans la plupart des points de débarquement et des îles du lac, les pêcheurs, de l’argent plein les poches après avoir vendu leurs prises de la journée, font appel aux services des travailleuses du sexe ou rivalisent pour obtenir les faveurs des quelques autres femmes disponibles.
« Bon nombre d’entre eux pensent que le lac est leur banque, l’endroit où, les bons jours, ils peuvent aller pour renflouer leurs portefeuilles », a expliqué M. Kigozi. « Certains croient encore qu’en naviguant sur les eaux du lac, on est automatiquement lavé ; c’est pourquoi [ils sont persuadés que] les gens qu’on trouve sur les îles [du lac] n’ont pas la maladie ».
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Selon une enquête du service des pêches du ministère de l’Agriculture, la propagation du VIH chez les communautés de pêcheurs s’explique entre autres par le fait que ceux-ci voyagent et sont ainsi souvent séparés de leurs épouses et des normes socioculturelles qui régulent les comportements au sein des communautés stables.
Le style de vie des pêcheurs suppose aussi qu’ils travaillent dans des environnements isolés, où ils ont peu de divertissements, mais où ils peuvent aisément obtenir les services des travailleuses du sexe, ainsi que de la drogue et de l’alcool.
Malgré ce que l’on sait sur le comportement très risqué des pêcheurs, trop peu de cliniques, de pharmacies et d’organisations non-gouvernementales (ONG) distribuent des préservatifs aux points de débarquement et sur les îles, a toutefois noté M. Kigozi.
En outre, en raison de la forte mobilité des pêcheurs, il leur est difficile de suivre des programmes de traitement antirétroviral (ARV).
Inverser la vapeur
Pour renverser certaines de ces tendances, le ministère de l’Agriculture a élaboré un plan stratégique destiné à améliorer les moyens de subsistance, les services sociaux, les infrastructures, l’organisation sociale et la gouvernance des communautés de pêcheurs ougandaises.
« Il semble que le VIH ait plus de risques de se propager dans ce type d’environnements, et que les populations ne soient pas en mesure de trouver l’aide sanitaire et autre dont ils ont besoin lorsqu’elles tombent malades », a indiqué Aventino Bakunda, chargé du VIH au sein du ministère.
Selon M. Kigozi, de l’UAC, le gouvernement prévoit également de mettre en œuvre un programme de proximité agressif qui comprendrait la mise en place de cliniques mobiles et le recrutement d’agents « du changement » au sein des communautés, chargés de promouvoir l’utilisation des préservatifs et d’en distribuer.
Selon le ministère, la décimation continue des communautés de pêcheurs par la pandémie du sida pourrait avoir de lourdes conséquences sur une industrie qui représente plus de 200 millions de dollars américains en revenu d’exportation annuel, et fait vivre environ 700 000 habitants à travers le pays, selon les estimations.
« Les pêcheurs emmagasinent des connaissances et des compétences sur les questions liées au climat, à la navigation, aux littoraux et aux points de débarquement, au mouvement des bancs de poissons, aux techniques de manipulation des bateaux et de l’équipement, à l’entretien et aux marchés », peut-on lire dans le plan stratégique.
« Les pères qui meurent jeunes ne peuvent pas former leurs fils. Or, il faut du temps aux nouveaux travailleurs pour acquérir les connaissances et les compétences nécessaires ».
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