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Les travailleurs migrants, mal informés et peu protégés

Il y a sept ans, dans sa petite ville du Myanmar, Tha Zin, 30 ans, qui travaillait dans une usine de vêtements, a vu une de ses plus proches amies – une fille de quelques années plus jeune qu’elle – tomber malade et finalement mourir des suites d’une maladie opportuniste liée au sida.

Plus son état de santé se détériorait, plus les personnes de sa communauté s’éloignaient d’elle, mais Tha Zin, au grand désespoir de ses parents, continuait de rendre visite à son amie mourante, la réconfortant du mieux qu’elle le pouvait, et ce malgré le fait qu’elle-même ne savait pas si elle pouvait être contaminée ou non.

Tha Zin, qui avait alors 22 ans, ne savait pas exactement comment son amie était tombée malade, bien que les rumeurs qui circulaient disaient que c’était à cause d’une relation que son amie avait eue avec un ‘sugar daddy’.

« A ce moment là, je ne savais pas grand-chose sur la maladie et la manière dont on pouvait l’attraper ; je pensais alors que comme j’avais un cœur pur, tout allait bien se passer pour moi », a raconté Tha Zin.

Aujourd’hui, elle connaît bien mieux les voies de transmission du VIH. Dans la ville thaïlandaise frontalière de Mae Sot dans laquelle elle est arrivée il y a trois ans à la recherche d’un emploi, elle a assisté à plusieurs réunions de sensibilisation sur le sida organisées par l’organisation caritative World vision dans le cadre d’un projet quinquennal de 12 millions de dollars dont le but est d’aider les travailleurs étrangers en Thaïlande à réduire les risques de contamination au VIH.

Tha Zin est désormais une pair-éducatrice ‘non officielle’ dans l’entreprise où elle travaille, partageant ses nouvelles connaissances avec les autres travailleuses dont la plupart sont, comme elle, des jeunes Birmanes, venues seules en Thaïlande.

Parler du VIH avec ces femmes n’est pas chose facile. « C’est très difficile de partager ses connaissances et de les sensibiliser », a-t-elle dit à IRIN/PlusNews.

« Lorsque je leur explique tout cela, certaines me dévisagent. Elles doivent se dire ‘elle en connaît beaucoup sur le sujet, elle a dû être une prostituée’. De leur point de vue, la maladie est liée à la drogue et aux travailleuses du sexe. Elles ne savent pas qu’on peut l’attraper par des seringues ou par le sang ».

Il y aurait en Thaïlande près de deux millions de travailleurs immigrés qui occupent des emplois sous-payés dans des usines, des fermes, des chantiers de construction ou des chantiers navals – des emplois désignés en anglais par les trois ‘D’, dirty, dangerous or degrading (en français ‘sale, dangereux ou dégradant’), que bon nombre de Thaïlandais rechignent à accepter.

La plupart des travailleurs étrangers vivent dans des zones densément peuplées, comme Mae Sot, une ville à la frontière birmane qui est devenue un des centres de l’industrie vestimentaire thaïlandaise, ou encore à Samut Sakhon, à 28 km au sud-ouest de Bangkok, la capitale thaïlandaise, une région devenue un des centres de l’industrie de traitement des produits de la mer, qui requiert une main d’oeuvre importante.

Des connaissances limitées sur le VIH

Bien que des chiffres précis sur le nombre de travailleurs immigrés en Thaïlande ne soient pas disponibles, la grande majorité de ces travailleurs – 90 pour cent environ – viennent du Myanmar. Dans ce pays, cela fait à peine six ans que la junte militaire très conservatrice a reconnu le sida comme une réelle menace pour ses populations, après avoir affirmé durant des années que le pays ne connaissait pas ce problème.

Le régime en place contrôle encore fortement le efforts de sensibilisation au VIH : les organisations non-gouvernementale (ONG) se sont plaintes du nombre limité de personnes pouvant participer aux ateliers sur le VIH, et des nombreuses restrictions sur leurs opérations dans certaines parties du pays, en particulier dans les zones sensibles habitées par des minorités ethniques.

Ceci implique que la plupart de travailleurs birmans arrivent en Thaïlande avec des connaissances limitées sur le VIH/SIDA et sur les moyens de s’en protéger lorsqu’ils quittent leur famille, et se trouvent de ce fait plus exposés au risque de contamination. De même, les immigrés du Cambodge ou du Laos – qui viennent des parties les plus pauvres de leur pays– sont eux aussi très peu informés sur la maladie.

Les statistiques sur la séroprévalence des travailleurs immigrés ne sont pas disponibles, car le gouvernement ne fait pas d’étude séparée sur cette population ; cependant, des évaluations sur certains échantillons de populations, comme chez les pêcheurs étrangers et les travailleurs du sexe dans les villes frontalières, ont montré que les taux de séroprévalence entre 2002 et 2004 dans 20 provinces thaïlandaises étaient élevés mais variables, selon le Projet prévention du VIH/SIDA chez les travailleurs migrants (PHAMIT en anglais), mené dans 20 provinces thaïlandaises.

En 2004 par exemple, le taux de séroprévalence parmi les pêcheurs, pour la plupart des Birmans, était de 9,6 pour cent dans la province de Chumpon et de 5,6 pour cent dans la province de Phuket.


Photo: Naresh Newar/IRIN
Les horaires de travail très lourds de la plupart des travailleurs migrants rendent ces derniers difficiles d'accès pour les campagnes de sensibilisation sur le VIH/SIDA
Parmi les travailleuses du sexe, pour la plupart des Birmanes, établies à Ranong, un port important de la province de Ranong située à la frontière avec le Myanmar, le taux de séroprévalence s’élevait à 28 pour cent ; et parmi les travailleuses du sexe, pour la plupart originaires du Cambodge, dans la province de Trad, à la frontière cambodgienne, le taux de séroprévalence atteignait les 38 pour cent, selon le ministère de la Santé.

Le PHAMIT, financé par le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, est composé de différentes ONG et travaille avec le ministère thaïlandais de la Santé afin d’aider les travailleurs migrants à être mieux informés sur le VIH/SIDA.

Dans le cadre du projet, le Fonds mondial a financé le développement d’outils d’information, d’éducation et de changement de comportement en langues birmane, cambodgienne et dans plusieurs dialectes de minorités ethniques birmanes, afin d’aider les migrants à comprendre les problèmes liés au VIH, à la santé génésique et au planning familial, et à avoir accès aux centres de soins thaïlandais.

Informer les travailleurs migrants

Cependant, même avec l’appui du ministère de la Santé, c’est avec difficulté que les efforts pour toucher les travailleurs immigrés sont menés : essentiellement en raison de leur situation précaire, conséquence de leur statut de clandestins, de la menace permanente de reconduite à la frontière et de rythmes de travail souvent écrasants.

Même si la Thaïlande dépend fortement des travailleurs immigrés, la moitié d’entre eux ne sont pas enregistrés et sont donc illégaux, ce qui les rend vulnérables au harcèlement policier et à l’exploitation par leurs employeurs, selon des organisations de droit du travail.

A Mae Sot, où World vision et d’autres organisations humanitaires ont cherché à former dans chaque usine de vêtements des femmes en tant qu’éducatrices pour leurs pairs, la plupart des femmes qui sont illégalement en Thaïlance, sont obligées de travailler six jours sur sept, jusqu’à des heures tardives. Certaines d’entre elles n’ont qu’un jour de congé par mois, ce qui ne leur laisse pas, ou peu, de temps, pour participer aux ateliers d’information sur la santé ou sur d’autres problématiques.

Pour pouvoir mener des formations approfondies d’une journée, les organisations doivent faire la demande directement aux propriétaires des usines pour qu’ils donnent l’autorisation à certaines travailleuses d’assister à ces réunions. Peu d’entre eux sont disposés à le faire ou alors changent d’avis le jour même de la formation.

« C’est selon le bon vouloir de l’employeur », a indiqué Mie Mie, une coordinatrice birmane séropositive de World vision. « Certaines fois ils disent ‘Oui, vous pouvez venir donner une formation’, mais le jour où nous sommes là, ils disent ‘nous avons trop de commandes’ ».

Les organisations caritatives doivent également payer aux femmes la somme qu’elles perdent lorsqu’elles assistent à ces consultations.

Le docteur Ei Ei Khin, un praticien birman et conseiller technique pour le projet de World vision sur les travailleurs migrants en Thaïlande, a dit que même si les travailleurs comprenaient comment se protéger d’une infection au VIH, leur préoccupation première restait de se faire arrêter et incarcérer dans des centres de rétention, avant d’être libérés ou expulsés, ce qui leur faisait perdre beaucoup de jours de salaire.

Cette peur a souvent pour conséquence de décourager les ouvrières de Mae Sot de quitter les locaux de leur usine dans lesquels elles vivent pour la plupart, ce qui réduit fortement l’accès aux préservatifs, à moins que les organisations caritatives ne leur en fournissent directement là où elles vivent.

« Si les ONG ne travaillent pas dans ces usines, il est très difficile pour les travailleuses d’avoir accès à des préservatifs », a indiqué le docteur Khin.

Ces dernières années, l’attitude des autorités thaïlandaises envers les immigrés, plus particulièrement dans certaines provinces, s’est durcie, avec de nouvelles restrictions qui réduisent la mobilité des travailleurs immigrés.

Dans plusieurs provinces, les autorités locales ont interdit aux immigrés d’utiliser des téléphones portables, de se déplacer en moto, d’être dehors après 20 heures, ou encore de se réunir à plus de cinq personnes.

Malgré ces obstacles, le docteur Khin a estimé que le message atteignait petit à petit les travailleurs étrangers en Thaïlande. « Les comportements changent », a-t-il dit, « ce n’est pas suffisant, mais on constate un changement ».

ak/kn/he/sm/ail


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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