Avant la fin de l’hiver, des milliers de jeunes garçons sud-africains auront suivi le rite de passage d’un mois qui fera d’eux des hommes.
Mais devenir un homme peut être une entreprise périlleuse. En effet, ce rite ancestral a été critiqué au cours des dernières années, depuis que des autorités sanitaires ont fait état de graves complications résultant de circoncisions mal faites par des praticiens traditionnels.
Dans la province du Cap-Oriental, où la circoncision est source de fierté pour le groupe ethnique Xhosa, 12 initiés sont morts et plus de 20 praticiens traditionnels, qui exerçaient en toute l’illégalité, ont été arrêtés au cours du mois dernier. Selon le service de santé de la province, près de 100 jeunes ont été hospitalisés, tandis que 350 ont été sauvés de prétendues « écoles [d’initiation] ».
Au cours des deux derniers mois, des agents de santé publique ont parcouru en voiture les terrains accidentés et montagneux de la province et fait des descentes impromptues dans ces fausses écoles d’initiation pour sauver les jeunes garçons des risques d’infection, d’amputation du pénis et de la mort.
L’impact des résultats des recherches sur le VIH
La circoncision masculine est, plus que jamais, un sujet d’actualité: en mars 2007, l’Organisation mondiale de Santé (OMS) et l’ONUSIDA ont fait un certain nombre de recommandations, notamment le recours à la circoncision masculine comme outil de prévention du VIH, après les résultats d’une d’étude qui montrait qu’elle pouvait réduire le risque d’infection.
« Cette information a enthousiasmé tout le monde… Est-ce que cela poussera plus d’initiés à aller [se faire circoncire] ? Je ne sais pas, ce n’est que le début », a dit à IRIN/PlusNews Henderson Dweba, responsable du service de Médecine traditionnelle au Département de la santé du Cap-Oriental.
Le gouvernement sud africain n’a pas encore décidé s’il allait proposer ou non des services de circoncision dans le cadre de son programme de prévention et de traitement du VIH. Il y a aussi le risque de voir se multiplier le nombre de charlatans et de chirurgiens peu scrupuleux, en raison de la demande croissante de circoncisions.
« Si le nombre [de praticiens sérieux] ne permet pas de faire face à la demande … les hommes pourraient opter pour une opération à risque et chercher des alternatives dans le milieu traditionnel », a prévenu Catherine Hankins, directrice associée du Département des Politiques, Evidence et Partenariats à l’ONUSIDA.
Photo: Juda Ngwenya/PlusNews |
Comme ces jeunes, des milliers garçons entrent chaque année dans des écoles d'initiation pour se faire circoncire et devenir des hommes. |
Le rite de passage Xhosa, appelé aussi « séjour en brousse » ou « dans les montagnes », comprend une période d’isolement dans une case qui peut durer un mois, avec très peu de contact, si contact il y a, avec des femmes. L’ablation, réalisée par un praticien traditionnel, est effectuée sans anesthésie- la douleur étant nécessaire pour devenir un homme.
« On ne peut pas la considérer comme une circoncision clinique, c’est une circoncision traditionnelle. Elle est pratiquée depuis des temps immémoriau. Les gens ont l’habitude de la pratiquer de cette manière-là ; il n’y a jamais eu d’assistance médicale », a commenté M. Dweba.
Mme Hankins, conseillère scientifique pour l’ONUSIDA, a qualifié la circoncision de problème « majeur », et a souligné que les principaux obstacles à l’extension de sa pratique comme méthode de prévention n’étaient pas seulement liées au coût de l’intervention, mais aussi aux conditions de sécurité ; d’où la nécessité de la pratiquer en milieu médical.
Conscient de l’importance que les communautés accordent à la circoncision traditionnelle, le gouvernement de la province du Cap-Oriental a choisi d’adopter une approche plus réaliste en prônant « le respect de normes sanitaires dans un contexte traditionnel ».
Selon M. Dweba, « l’[approche] médicalisée est refusée par une grande partie de la communauté ; ce n’est [donc] pas quelque chose d’envisageable ».
Un système qui fonctionne?
Il y a six ans, le gouvernement du Cap-Oriental a fait voter une loi stipulant que les praticiens traditionnels qui réalisent des circoncisions devront obtenir l’autorisation préalable d’un responsable médical, qui doit également délivrer un agrément à chaque école de circoncision. La loi, qui prévoit une amende pouvant aller jusqu'à 10 000 rands ou 10 ans de prison à tout contrevenant, prévoit également l’inspection des écoles par des fonctionnaires du département de la Santé.
« Ce n’est pas la loi de la jungle ici !», a affirmé M. Dweba. « Ces charlatans n’ont aucune chance. Nous avons réglementé [cette pratique], nous avons introduit un système qui fonctionne, nous avons un budget…les iingcibi [praticiens traditionnels] sont formés, nous avons désigné des médecins d’encadrement, des infirmiers d’Etat, des agents de promotion de la santé ainsi que les praticiens de la médecine naturelle ».
« Aucune circoncision ne sera faite sans [notre] autorisation. Tout le monde devra suivre les procédures, personne n’est au-dessus des lois », a-t-il insisté.
« Ce n’est pas la loi de la jungle ici, ces charlatans n’ont aucune chance » |
En 2004, lorsque Richard, 21 ans, décida de « devenir un homme », son frère aîné l’avait laissé devant les portes de l’hôpital Thafalofefe, un petit centre médical de quartier situé près de Gcina, un village sec et poussiéreux de la commune rurale de Centani.
« Le centre était bondé et j’ai dû attendre des heures parce qu’il n’y avait qu’une seule personne pour nous guider. Finalement, lorsque l’infirmier m’a vu, il m’a donné un cours sur la sexualité, puis m’a fait une injection ; j’ai dû encore remplir tous les formulaires administratifs », a dit l’étudiant en technologie.
Le jeune homme travaille aujourd’hui comme infirmier à l’hôpital de Thafalofefe; il a commencé à travailler avec des initiés lors de la période de circoncision de l’été 2006 ; il a fait partie des premiers infirmiers traditionnels et initiés de la région à être appelés. Il parcourt un épais registre contenant des notes manuscrites d’initiés, des adresses d’écoles, des noms de praticiens et infirmiers traditionnels remontant à la période 2004.
« Lorsqu’ils viennent pour les papiers, ils reçoivent aussi des antibiotiques et des conseils de santé, et je leur dis : ‘ce n’est pas parce que vous allez devenir des hommes que serez immunisés contre les maladies, ou que vous pouvez vous adonnez à des pratiques à risques. Vous devez faire attention et vous contrôlez avant d'aller en brousse ».
Selon Matron Ndandane, son responsable hiérarchique, il y a eu 32 admissions l’année dernière pendant la période de circoncision de l’hiver : 29 jeunes hommes ont développé une septicémie après leur « séjour dans la brousse » ; les trois autres étaient épileptiques et psychologiquement faibles.
A en croire les responsables médicaux de l’hôpital, la lourdeur des formalités administratives n’était pas le problème majeur :
« Des complications peuvent survenir même lorsque vous êtes agréés, celles-ci pouvant être dues au mauvais suivi de la cicatrisation de la plaie après l’intervention », a affirmé un infirmier qui a souhaité garder l’anonymat.
Dans les bureaux du département de la Santé de Bhisho, la capitale provinciale, M. Dweba partage cet avis :
« L’ablation en elle-même n’est pas un problème ; ce sont les plaies mal désinfectées, la déshydratation qui peuvent entraîner la perte du pénis et la mort».
Selon lui, les praticiens et infirmiers traditionnels ne sont pas toujours formés à la microbiologie.
« Ces personnes ne savent rien des germes ; ils en ont bien entendu parler, mais ils ne peuvent pas se référer à quelque chose qu’ils ne peuvent pas voir ».
Photo: Ilvy Njiokiktjien/PlusNews |
Dans la province du Cap-Oriental, en Afrique du Sud, les garçons Xhosa qui ont été circoncis dans des hôpitaux ne sont généralement pas considérés comme de "vrais hommes". |
Selon Dodoma Mthandekisi, un membre du conseil coutumier du village de Gcina, ce sont certains infirmiers traditionnels – des jeunes hommes qui accompagnent les initiés après leur circoncision – qui sont les principaux responsables.
« Ecoutez…ils fournissent de l’alcool, du dagga [de la marijuana] et des cigarettes aux initiés… alors qu’à ce stade, les jeunes hommes ne sont pas tout à fait remis de leur circoncision et peuvent se blesser rapidement ; ils souffrent de déshydratation, ils sont affamés…ils sont abandonnées à eux-mêmes, et c’est ce qui les tue », a-t-il affirmé à IRIN/PlusNews.
Pour M. Mthandekisi, les infirmiers traditionnels de la région étaient un peu plus consciencieux, parce qu’ils étaient suivis par les membres du conseil coutumier.
« Nous n’avons pas autant de morts ici. Il existe désormais une loi fixant les conditions dans lesquelles les circoncisions doivent se réaliser », a commenté le vieux sage. « Aussi longtemps que nous serons impliqués, nous suivrons ces directives ».
Les lois sont là, les ressources financières sont disponibles, tout comme les personnes habilitées à contrôler les circoncisions traditionnelles ; mais chaque année, les autorités du Cap-Oriental font état de décès et de graves complications dues à des circoncisions traditionnelles.
« Je ne comprends pas pourquoi il n’y a pas de réactions plus énergiques, surtout de la part des mères. Certains enfants meurent à la suite de ces opérations », a plaidé le docteur Denis Mahoney, qui consulte à Port St Johns, ville côtière près de Lusikisiki, et dans d’autres zones rurales où l’on enregistre quelques-uns des taux de complications post-circoncision traditionnelle les plus élevés.
M. Mahoney et les autres médecins de Port St Johns pratiquent rarement des circoncisions.
« Je n’en ai fait que six cette année. Les gens préfèrent les faire de façon traditionnelle ; ils ne vont pas voir les médecins », a-t-il dit à IRIN/PlusNews.
D’où vient le problème? Le problème, selon Sizwe Kupelo, est que des chirurgiens non qualifiés et des charlatans attirent des jeunes qui essayent de gagner du temps en évitant de suivre la procédure légale. Ces jeunes garçons s’enfuient de chez eux pour se faire circoncire par des chirurgiens qui exercent illégalement et qui ne demandent pas de certificat de consentement signé par les autorités et les parents ; certains garçons, qui n’ont pas encore l’âge requis, sont soutenus par leurs parents et mentent en faisant croire qu’ils ont 18 ans.
M. Dweba prévient que son département continuera de traquer les écoles d’initiation illégales et « ces bouchers ». « Nous les mettrons en prison- on ne joue pas avec la vie d’un enfant ».
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