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Limiter les grossesses précoces, une mission délicate

Cela va faire six mois que Tumi, une adolescente de 17 ans, sort avec son petit ami et elle ne sait plus quoi inventer comme excuses pour refuser les avances sexuelles de cet élève du lycée d’Athlone, un quartier populaire de la ville du Cap, en Afrique du Sud.

« J’invente des excuses. Je lui dis par exemple que j’ai mes règles ou que j’ai mal au ventre », a confié Tumi (un nom d’emprunt). « Je lui ai même dit que j’avais mes règles pendant un mois ! Je dois mentir car si je lui dis la vérité il me laissera tomber ».

La vérité, c’est qu’elle ne se sent tout simplement pas prête à avoir des rapports sexuels, mais la pression de son petit ami est croissante et l’éducation sexuelle qu’elle reçoit au lycée ne répond pas à toutes ses questions.

« Il m’a dit qu’il voulait un bébé », a-t-elle déclaré. « Il dit ‘Je t’aime, tu es la femme de ma vie’, mais à mon avis, s’il veut un enfant, c’est parce que son ami en a déjà deux. »

A une époque où les adolescents sont inondés d’informations sur le VIH/SIDA et ont un meilleur accès aux moyens de contraception que les générations précédentes, l’annonce par les media d’une forte augmentation du nombre de grossesses chez les jeunes sud-africaines suscite un débat national.

En 2006, dans une école rurale de la province du Cap oriental, 144 filles sont tombées enceintes, et la province du KwaZulu-Natal a enregistré 5 868 grossesses adolescentes, soit le taux le plus élevé du pays.

La même tendance semble se dessiner dans les autres provinces du pays. Par exemple, au Gauteng, le centre économique du pays, le nombre de grossesses chez les jeunes filles a doublé en un an, passant de 1 169 en 2005, à 2 336 l’année suivante.

Cependant, des spécialistes comme Rachel Jewkes, directrice du genre et de la santé au Conseil de recherche médicale d’Afrique du Sud, ont indiqué qu’il ne fallait pas tirer de conclusions hâtives de ces données incomplètes.

Autrefois, il n’existait pas de procédé systématique visant à répertorier les grossesses précoces en Afrique du Sud, et l’augmentation actuelle du nombre de mères adolescentes provient certainement d’un manque de notification par le passé, ont rappelé ces experts.

Des sources plus fiables, comme des recensements de la population, ont, à l’inverse, révélé une baisse constante du taux de grossesses adolescentes au cours des 15 dernières années.

« Personne ne nie l’existence du problème », a affirmé Rachel Jewkes. « Je pense seulement qu’il ne s’agit pas d’un problème grandissant ».

Selon elle, la baisse du nombre de grossesses adolescentes est liée à un meilleur accès et à un plus grand recours aux moyens de contraception, notamment aux préservatifs. En outre, les adultes discutent plus facilement de sexualité avec les enfants, en partie à cause de l’épidémie de sida.

Cependant, Rachel Jewkes a reconnu que l’éducation sexuelle était toujours de qualité « inégale » selon les écoles et qu’elle véhiculait des messages ambigus sur la promotion de l’abstinence et de la contraception.

Aptes à la vie quotidienne?

Dans le programme scolaire sud-africain, l’éducation sexuelle, dont la sensibilisation au VIH/SIDA, est considérée comme une matière faisant partie des « aptitudes à la vie quotidienne ».

« Le programme des aptitudes à la vie quotidienne s’étend du cours préparatoire à la terminale », a expliqué Lynne Herrmann, coordonnatrice du programme de lutte contre le VIH/SIDA auprès du ministère de l’Education dans la province du Cap-occidental. « Le programme est conçu en fonction de l’âge des élèves, ainsi au début, on parle des relations en général, puis de la sexualité et enfin du VIH/SIDA. On aborde également des questions comme le viol et les grossesses adolescentes ».

L’ensemble des instituteurs du primaire est formé pour enseigner les aptitudes à la vie quotidienne, les professeurs du secondaire, quant à eux, peuvent se spécialiser sur un sujet. Cependant, la formation sur l’éducation à la prévention du VIH/SIDA est optionnelle et n’est dispensée que les week-ends.

« Tout le monde ne peut enseigner [la prévention au VIH/SIDA] », a rappelé Mme Herrmann. « Certaines personnes ne sont pas très à l’aise [avec le sujet] et il faut que les élèves puissent facilement communiquer avec les responsables de cette matière. »

En outre, trouver la bonne méthode d’enseignement est également très important, a-t-elle souligné. « On ne peut pas se contenter de prêcher. Les jeunes veulent parler, et nous ne leur accordons pas assez de temps pour cela », a-t-elle dit.

Rachel Jewkes a fait des recherches sur l’efficacité d’un programme de prévention du VIH/SIDA pour les jeunes, dans la province rurale du Cap oriental.

« Ils [les jeunes] veulent savoir comment bâtir de bonnes relations et comment résoudre les problèmes qu’ils rencontrent avec leurs petits amis. Ce ne sont pas des sujets qui peuvent être abordés dans un cours magistral », a-t-elle déclaré.

Le cours sur les aptitudes à la vie quotidienne que Tumi vient de suivre ne ressemble en rien à un cours magistral. En effet, l’enseignant a organisé une discussion interactive avec ses élèves sur les démarches à adopter en cas de harcèlement sexuel commis par une personne en position d’autorité.

Le sujet a été tiré des livres de classe, mais le professeur, qui a souvent des difficultés à s’imposer face à l’enthousiasme de ses élèves, a fait de son mieux pour rendre le cours animé et pertinent.

Cependant, malgré tous ces efforts, Tumi ne pense pas que ces cours changent la situation.

« Vous dites aux jeunes de ne pas faire quelque chose et la plupart du temps, ils vont le faire de toute façon, donc tout cela est inutile », a-t-elle déploré. « Vous pouvez leur dire de ne pas avoir de relations sexuelles, mais ils en auront car ils pensent que cela fait bien. Ou si votre petit ami vient vers vous et vous dit ‘Je t’aime, je veux un bébé’, vous allez tomber enceinte juste pour lui, par amour ».

Des parents peu loquaces

D’après Mme Jewkes, il est faux de croire que les grossesses adolescentes ne sont pas désirées. Beaucoup de jeunes garçons incitent leurs petites amies à avoir un bébé et les deux sexes subissent une pression et doivent prouver leur fertilité quand ils sont encore jeunes.

« Ma sœur est tombée enceinte quand elle était en terminale », a confié Zandile Mkonto, une élève de 16 ans, qui vit à Khayelitsha, le plus grand bidonville de la ville du Cap. « Son compagnon avait un travail et elle a décidé qu’elle voulait un bébé ».

Selon Zandile Mkonto, si sa soeur a pris une telle décision, c’est à cause de leurs parents qui refusent de parler de la sexualité, un sujet sensible.

« Mes parents ne prendront jamais la peine de s’asseoir pour me parler du VIH/SIDA », a reconnu Tumi. « Ma mère ne veut pas parler des garçons alors qu’elle-même a été une fille-mère. Elle ne veut jamais parler de quoique ce soit avec moi ».

Diverses organisations non gouvernementales (ONG) ont établi une nouvelle ligne de défense là où les parents et les enseignants semblent avoir achoppé : elles proposent des formations aux jeunes pour que ces derniers puissent adresser des messages sur les rapports sexuels à moindre risque à leurs pairs.

Zandile Mkonto ne compte pas suivre les traces de sa sœur. En effet, elle est l’un des 30 pairs éducateurs de son école et a reçu une formation par l'Association pour la planification familiale d'Afrique du Sud (PPASA), une ONG dédiée à la promotion de la santé sexuelle et de la reproduction.

Lors d’une récente séance de formation, un membre de la PPASA a animé une discussion sur les préservatifs et a demandé aux participants si les préservatifs devaient être disponibles au sein des écoles. Selon la politique nationale actuellement en vigueur, la décision de distribuer des préservatifs aux élèves revient aux conseils scolaires.

Selon Lynne Herrmann, près de la moitié des écoles de la ville du Cap ont choisi de distribuer des préservatifs aux élèves, mais le plus souvent à l’appréciation de l’infirmière scolaire ou du conseiller.

« A l’école, ils nous apprennent à nous protéger des IST [infections sexuellement transmissibles], donc ils doivent nous donner des préservatifs », a estimé un des participants à la formation.

« Si des préservatifs sont distribués, alors les élèves vont s’en servir et faire l’amour dans les toilettes », a rétorqué un autre participant.

Des services destinés aux jeunes

A Khayelitsha, la PPASA a ouvert une clinique qui s’adresse spécialement aux jeunes. Les adolescents y sont reçus par des conseillers en santé de la reproduction et ont accès à divers services, après l’école, lorsque les cliniques de planning familial publiques sont déjà fermées.

« On me donne des conseils ici », a confié Sibusiso Soga, une jeune fille de 18 ans. « A l’école, ils ne font que parler, ils vous donnent seulement des informations et s’attendent à ce que vous en fassiez bon usage. Ici, vous avez la possibilité de vous exprimer. »

Sur les recommandations des conseillers qui travaillent à la clinique, Sibusiso Soga se protège contre le VIH en utilisant des préservatifs et elle reçoit une piqûre contraceptive tous les trois mois pour ne pas tomber enceinte.

Cependant, toutes les adolescentes ne prennent pas autant de précautions que Sibusiso Soga.

« Beaucoup de jeunes filles reçoivent ces piqûres pour ne pas tomber enceintes, mais elles oublient la menace du VIH », a regretté Thembele Nofemele, un autre pair éducateur de la PPASA.

Les cliniques s’adressant spécifiquement aux jeunes, comme celle gérée par la PPASA, sont rares et les adolescents s’attirent des regards désapprobateurs lorsqu’ils tentent d’accéder aux services de planning familial dans les cliniques publiques.

« Il y a encore des infirmières dans ces cliniques qui empêchent les jeunes d’avoir accès aux moyens de contraception », a déploré Rachel Jewkes. « Elles pensent que leur travail consiste à empêcher les jeunes de devenir sexuellement actifs. »

Selon Olivia Mboma, une mère adolescente qui dit avoir eu accès aussi bien aux moyens de contraception qu’aux informations relatives à leur utilisation, la raison pour laquelle elle est tombée enceinte est plus complexe. Elle a reconnu qu’elle et son compagnon n’utilisaient pas de contraceptifs.

« Dans un coin de votre tête, vous savez que vous ne devez pas faire cela », a-t-elle déclaré. « Mais vous le faites sous l’impulsion du moment. Je n’ai pas pensé au danger du VIH sur le coup, cela m’a traversé l’esprit le lendemain, au réveil. »

Par le passé, le prix à payer pour « un acte commis sous l’impulsion du moment » était une grossesse. A l’époque du sida, le prix peut être beaucoup plus élevé.

Convaincre les jeunes de penser aux conséquences a toujours été un défi de taille, mais d’après Rachel Jewkes, les efforts de prévention porteront leurs fruits si les jeunes voient en l’avenir d’autres possibilités que d’avoir un enfant.

« Dans de nombreuses régions du pays, les enfants arrêtent d’aller à l’école et ont peu de choses vers lesquelles se tourner », a-t-elle conclu.

ks/he/cd/ail


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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