KAMPALA
«J’ai appris que j’étais séropositif l’année dernière, mais je ne veux pas le dire aux autres enfants car sinon ils risquent de m’exclure», explique le jeune Alfred en regardant les collines verdoyantes du district de Mpigi, au sud-ouest de Kampala, la capitale ougandaise.
Alfred [un nom d’emprunt] est l’un des sept orphelins séropositifs qui vivent avec 500 autres orphelins dans le village d’enfants de Suubi, une communauté de 93 maisons gérée par l’ONG Watoto Child Care Ministry.
«Quand j’ai appris la nouvelle [que j’étais contaminé au VIH], j’ai voulu quitter Watoto, car je croyais que ce n’était pas possible de vivre longtemps avec le virus», raconte Alfred, 17 ans.
Les enfants orphelins du VIH/SIDA sont les victimes oubliées de la pandémie. En Ouganda, quelque 900 000 enfants ont perdu leur père, leur mère ou leurs deux parents à cause d’une maladie liée au sida.
Lorsque l’un de leurs parents décède, une longue bataille s’annonce pour les enfants et les autres membres de la famille, qui doivent se débrouiller seuls.
«Presque tous les orphelins sont arrivés au village car à la mort de leurs parents, leur famille ne pouvait pas s’occuper d’eux», a expliqué Joshua Mugabi, responsable du village.
M. Mugabi s’est dit surpris que seulement sept enfants étaient séropositifs, connaissant le grand nombre d’enfants qui ont perdu leurs parents des suites du sida en Ouganda. Les orphelins du sida sont victimes d’une grande stigmatisation sociale, a-t-il ajouté.
«Ils sont souvent rejetés de leur communauté à cause de la stigmatisation qui accompagne le virus et des connaissances limitées qu’ont les gens sur la maladie. En Ouganda, c’est presque un pêché de mourir du sida, si bien que la famille et notamment les enfants de la personne décédée se retrouvent exclus.»
Selon James Kaboggozza, coordinateur du secrétariat des orphelins et des enfants vulnérables auprès du ministère des Genres, l’Ouganda est confronté à une «crise des orphelins.»
«Malheureusement, la situation risque de se détériorer avant de s’améliorer, puisque des dizaines de milliers de parents meurent du VIH/SIDA», a-t-il déclaré.
Les Ougandais et le gouvernement commencent à prendre conscience de la réalité de cette crise, et se rendent compte que la famille élargie était incapable de gérer ce phénomène seule.
A l’issue d’une enquête, menée en 2002, 1,8 millions d’orphelins ont été répertoriés à travers le pays. La moitié était des orphelins du sida, a précisé James Kaboggozza.
Elle a également souligné la manière dont la pandémie du VIH/SIDA touchait directement la famille élargie ougandaise : en 2002, un foyer sur quatre s’occupait d’au moins deux orphelins.
En réponse aux préoccupations des Ougandais, le gouvernement du président Yoweri Museveni s’est focalisé sur les communautés locales -- le placement en institution des orphelins est uniquement envisagé lorsque les autres solutions ont échouées.
L’Initiative des femmes ougandaises pour sauver les orphelins (UWESO), crée en 1986 par Janet Museveni, la première dame, afin d’apporter une aide aux enfants orphelins de guerre, adopte la même démarche que le gouvernement ougandais.
«Selon nous, les orphelins doivent, dans la mesure du possible, rester dans leur famille élargie, comme ce qui se faisait traditionnellement dans la culture africaine», a affirmé Ian Nshana, responsable de programme auprès d’UWESO.
L’UWESO a mis en place un système d’aide financière aux familles et aux foyers dirigés par un enfant pour les aider à s’occuper des orphelins et à souscrire des prêts pour augmenter leurs revenus.
Selon un rapport publié par le Programme commun des Nations unies sur le VIH/SIDA (Onusida), les enfants ougandais ont, à la mort d’un ou de deux de leurs parents, deux fois moins de chances de continuer d’aller à l’école.
En outre, ils courent deux fois plus de risques de souffrir de malnutrition qui empêche leur bon développement, la famille élargie n’ayant pas les moyens de subvenir à leurs besoins.
Pourtant, les financements font défaut, malgré la bonne volonté du gouvernement, a souligné Ian Nshana.
Environ 500 millions de dollars américains seraient nécessaires pour financer le plan stratégique national sur quatre ans pour les orphelins et les enfants vulnérables, selon James Kaboggozza.
Le Fonds mondial de lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose se serait déjà engagé à verser 56 millions de dollars, tandis que le Plan d’aide d’urgence du président George W. Bush (Pepfar) prévoit de débloquer 16 millions de dollars supplémentaires.
Grâce au village d’enfants de Watoto, Alfred a retrouvé le goût de vivre. Il a confié vouloir devenir un médecin, «comme ça je pourrai aider les enfants séropositifs comme moi».
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